Société

Boxe bonnet

Passionnés de grosse politique sexy, amateurs de frissons… Bonjour.

Dans le coin droit, pesant 40 ans de carrière politique: Jean "Teflon" Chrééééééétien.

Dans le coin gauche, pesant 200 millions de dollars: Paul "Steamship" Maaaaartin!

Baladés de bâillement en bâillement entre le mariage de la fille de Joe Clark, le congrès au leadership du NPD moribond et le déménagement du chef de l’Alliance canadienne Stephen On-sait-plus-qui, les Canadiens ont depuis quelques années, selon les analystes, perdu beaucoup d’intérêt pour la scène politique canadienne, stagnante comme une moule grise neurasthénique dans une flaque d’huile d’olive.

Majorité écrasante des libéraux, incapacité des partis d’opposition de se concerter, sclérose du Bloc québécois… tout cela était aussi excitant qu’un cours de crochet dans le sous-sol de la salle paroissiale des Chevaliers de Colomb.

C’était sans compter sur cet incident intergalactique qui vint sonner le réveil des masses laborieuses il y a quelques jours.

Quoi, quoi, quoi! Quel incident? Le Pakistan a attaqué l’Inde? Teleglobe a remboursé les banques? Arafat s’est converti au judaïsme? Eh non! je parle bien sûr de la terrrrrible affaire Martin. Résumons: fuites et re-fuites, scandales financiers au sein du gouvernement; Jean Chrétien soupçonne que les traîtres qui laissent couler de telles informations se dissimulent parmi les partisans de son ministre des Finances qui voudraient bien profiter du prochain congrès pour ravir la place du premier ministre en le discréditant. Offusqué. Chrétien vire Martin. L’opinion publique s’emballe pour le pauvre ministre des Finances, le traître est devenu victime et héraut: l’arroseur est arrosé.

Eh ben! Mes aïeux, quel feuilleton! C’est un peu Dallas et À la Maison-Blanche, au pays du sirop de canisse.

Il n’en fallait pas plus pour que s’excite le Canayen moyen.

Le croiriez-vous? Plus de 90 % des électeurs d’ici, des gens qui se foutent des lois qu’on leur passe sous le nez un dimanche soir, des gens que le scandale n’émeut plus, des blasés de la péréquation, des tannés des points d’impôt, des écoeurés de la taxe sur le bois d’oeuvre, ont affirmé se sentir fort concernés par la destitution du ministre des Finances.

Mieux: aux nouvelles de 22 h, des dizaines de jeunes à peine en âge de voter se bousculaient devant la caméra pour déclarer le plus sérieusement du monde: "Je suis à 100 % derrière notre premier ministre…" ou: "Paul Martin a été congédié injustement."

Au secours! Étaient-ils subventionnés par la filière politique de Participaction Canada? Par les Bourses du millénaire? Recrutés au Club optimiste des épiciers de London, Ontario? Kidnappés après trois jours de traitement aux neuroleptiques expérimentaux chez Anapharm? Ou dans le rayon des bas blancs de chez Sears?

Pincez-moi, je rêve.

Faut-il supposer qu’il n’y a plus que le human interest, les chicanes de ménage, les coups et les cris pour compenser notre déficit d’attention? Je veux bien croire que les chicanes de deux bons messieurs d’un certain âge soient la version canadienne de la pipe et du cigare sous le bureau, mais que Canadiens et Québécois se passionnent pour les jeux de coulisses d’un parti politique canadien aussi sclérosé qu’inintéressant me dépasse.

En quoi la succession Chrétien changera-t-elle quoi que ce soit au paysage politique canadien? Faisons un pari: Paul Martin oriente déjà depuis des lustres la politique économique canadienne. Multimillionnaire de père en fils, il est de surcroît très lié aux grandes banques mondiales et proche du FMI. Premier ministre du Canada, il ne disposera que de plus de pouvoir afin de représenter de manière de plus en plus directe les intérêts de la finance qui, faut-il le dire, rejoignent rarement ceux des électeurs canadiens. Martin a-t-il jamais affiché l’ombre d’un projet de société pour le Canada? A-t-il pris part à quelque réforme sociale que j’ignorerais? Agit-il par simple appétit du pouvoir personnel?

Son accession aux fonctions suprêmes n’aurait qu’un seul avantage. Les Canadiens n’auraient plus à se mettre la tête sous un sac de papier après chaque intervention internationale de leur premier ministre.

Pour le reste, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Vente de gros du Canada sur le marché américain et dissolution constante du pays vers Washington. On peut retourner dormir tranquille, même baver de lassitude sur l’oreiller.

Et laisser nos amis canadiens se comporter comme des adolescents somnambules qui tournent sur eux-mêmes pour s’étourdir d’un rien.