![Josey Vogels : Filles d'aujourd'hui](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/10/12991_1;1920x768.jpg)
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Josey Vogels : Filles d’aujourd’hui
JOSEY VOGELS est l’un des secrets les mieux gardés du Canada anglais. Intellectuelle féministe, cette journaliste analyse les rapports amoureux depuis huit ans, dans sa chronique My Messy Bedroom. Elle livre aujourd’hui un ouvrage rafraîchissant: The Secret Language of Girls.
Pascale Navarro
Photo : Victor Diaz-Lamich
Rencontrer la columnist et auteure Josey Vogels, qui lance ces jours-ci The Secret Language of Girls, son quatrième ouvrage, c’est faire l’expérience cruelle des deux solitudes: alors que les Anglo-Canadiens se délectent des conseils et des réflexions de féministes branchées sur leur réalité, nous devons nous contenter au Québec d’errer dans un affligeant désert intellectuel (ce qui pourrait s’appliquer à bien des thèmes, mais ce n’est pas notre sujet…).
Bref, il fait bon lire des ouvrages comme ceux de Josey Vogels, qui essaie de jeter un nouvel éclairage sur la condition féminine, sans repartir à la guerre des sexes.
Cette Ontarienne de 37 ans signe depuis huit ans la chronique My Messy Bedroom (publiée d’un océan à l’autre et même à New York), y discutant sexe, relations humaines et sujets féminins. Cette chronique au ton réjouissant et décapant a également fait l’objet de recueils et d’une série de 26 émissions diffusées sur le Women Television Network, animée par Vogels. Si l’émission ne revient pas l’an prochain, c’est que l’auteure prépare un autre projet, dont on ne peut encore parler.
Par contre, elle est loquace pour évoquer ce sujet qui la passionne,"le langage secret des filles", puisqu’il faut bien oser une traduction. Dans cet essai, Vogels examine à la loupe le langage (images, figures de style, sous-texte) utilisé par les femmes pour parler entre elles, mais également pour nommer le monde. Avec humour, en s’appuyant sur des témoignages et des recherches en histoire et en sociologie, la columnist se penche sur un univers qu’elle connaît et admire: celui des femmes. De la petite enfance à la maternité, de la chambre à la cuisine en passant par les lieux où elles travaillent (et où elles font du shopping, passion avouée de l’auteure), Josey Vogels analyse la vie des femmes à la lumière de leurs amitiés, de leurs amours, de leurs préoccupations, de leur intimité.
Filles ou femmes?
Choisir le titre de son livre a déjà été une question hautement philosophique pour Josey Vogels. En effet, pourquoi avoir choisi de parler des "filles" et non des femmes? "Dans la culture anglophone, explique l’auteure, ce mot est symboliquement très chargé: depuis les dernières années, le fameux girl power a voulu se réapproprier le mot "fille". Ce n’est plus péjoratif, comme ça l’a déjà été. C’est comme si l’on voulait redonner de la force et de la fierté au fait d’être une fille. "Femme" ça fait trop sérieux. De plus, je voulais que les jeunes filles s’identifient à ce livre."
Vogels est toutefois mitigée sur la question du girl power, phénomène un peu trop apprêté à la sauce marchande… "C’est vrai que c’est surtout une affaire de marketing, dit-elle, ça sert à vendre des t-shirts et beaucoup de choses inutiles… Mais en même temps, le marché n’invente rien, ce courant existait bien avant, et il a profité de cette nouvelle génération de filles qui voulaient s’affirmer. Le girl power, c’est aussi un mouvement qui permet aux filles de se reconnaître les unes les autres, et surtout d’exister en tant que groupe, d’obtenir une reconnaissance sociale. Même si c’est une affaire de marketing, elles sentent qu’elles ont un pouvoir puisqu’elles influencent le marché."
Cette question de la force et du pouvoir qu’acquièrent les filles en se rassemblant est au coeur du livre de Josey Vogels. "Les filles d’aujourd’hui s’identifient à la solidarité féminine. Contrairement à l’époque où j’étais moi-même adolescente, je vois beaucoup plus de filles se tenir par le bras, s’affirmer devant les garçons de leur âge. Sans compter qu’elles sont majoritairement de mères sinon féministes, du moins indépendantes et modernes."
Éloge des liens féminins
Josey Vogels s’est beaucoup inspirée des femmes qui l’entourent pour écrire son livre qui aborde autant la question de l’image que celle des ambitions professionnelles."Depuis huit ans, je me suis constamment nourrie des expériences de mes copines et des femmes qui m’entourent pour alimenter mes chroniques. J’ai soudain réalisé que toute cette matière constituait un savoir: une sorte d’école de la vie. J’ai toujours tenu ça pour acquis, jusqu’à ce que des hommes me fassent remarquer que ces relations, ce monde féminin, étaient vraiment objet de curiosité pour eux; que ce monde était spécifique, comportait ses codes, ses lois. J’ai donc voulu en savoir plus long et prendre le temps de réfléchir à tout ça."
C’est que, selon Vogels, l’univers des femmes a longtemps été déprécié, négligé, car jugé léger, futile, insignifiant. "C’est d’ailleurs pour cela que les femmes se sont regroupées au cours de l’histoire: elles se sont créé un monde à elles. Et sous couvert de sentimentalité, de superficialité, les femmes ont toujours discuté de sujets primordiaux à travers le temps, que ce soit dans les salons de coiffure, les salons de thé ou en s’occupant des enfants: je m’excuse, mais la maternité, la sexualité, le mariage, savoir si on va être capable de nourrir sa famille, tout ça ce sont des thèmes cruciaux. On a longtemps qualifié les propos des femmes de commérages et de bavardages. Aujourd’hui, on réalise que lorsque des femmes s’organisent un souper de filles, par exemple, c’est souvent pour soutenir l’une d’entre elles qui passe des moments difficiles."
La question du pouvoir
The Secret Language of Girls évoque également le sujet du pouvoir au féminin. Les sociologues sont légion qui nous disent que la société d’aujourd’hui s’est féminisée, ce que reconnaît Vogels. "On se rend compte que les femmes ont beaucoup à offrir, et qu’elles peuvent changer des manières de faire et de voir, de travailler, d’exercer le pouvoir. Le monde du travail s’étant transformé, on s’aperçoit que le style de gestion des femmes, leur façon de réfléchir en collégialité, de partager le pouvoir, est plus approprié au monde actuel, et donne de bons résultats. Cela dit, la conception du pouvoir est encore très dominée par une vision masculine de la force, de l’autorité et du contrôle."
Et comme les femmes n’ont pas cultivé ces valeurs, elles se retrouvent souvent dépourvues devant la compétition, et surtout les conflits."Ça, c’est le côté négatif de l’amitié féminine! On veut à tout prix que tout le monde soit content… On cherche toujours le consensus, on ne veut blesser personne… C’est bien gentil, mais cela ne cadre pas avec l’exercice du pouvoir."
Une question d’éducation? "Oui certainement, mais je crois qu’une partie de l’explication a trait à la "biologie".Je sais que c’est un peu délicat de dire ça, mais enfin il doit y avoir une raison ancrée en nous qui nous pousse à vouloir protéger tout le monde, cela dure depuis si longtemps! Cela dit, la socialisation joue un plus grand rôle que la nature, c’est incontestable."
Difficile de croire qu’après 30 ans de féminisme, les filles ont encore peur des conflits! "Je l’ai constaté à travers les entrevues que j’ai réalisées pour le livre et aussi dans mon entourage: beaucoup de filles ont du mal à prendre leur place, à s’imposer, à confronter un avis contraire, à affronter une discussion un peu vive. Et c’est particulièrement vrai avec nos plus grandes amies. On ne veut tellement pas faire de mal! Dans le monde du travail, cela se traduit par une difficulté à exercer le pouvoir tel qu’on le conçoit. Les hommes savent qu’ils seront respectés s’ils démontrent leur pouvoir: les femmes vont plutôt analyser la situation pour savoir comment elles vont parvenir à susciter le respect, alors qu’elles pourraient tout simplement s’imposer. Elles ont encore très peur des conséquences."
The Secret Language of Girls
de Josey Vogels
Thomas Allen Publishers
2002, 276 pages
Traduction prévue aux Éditions de l’Homme, en 2003