Nouvelles façons de se loger : Habiter autrement
Société

Nouvelles façons de se loger : Habiter autrement

La pénurie de logements ne frappe pas seulement le Québec. La crise sévit également dans les autres grandes villes du monde, forçant les citoyens à trouver de nouveaux moyens de se loger. Additionnons à ce facteur des modes de vie en rupture avec le passé et on obtient l’émergence des tendances de demain. Tour de villes.

La crise économique de 1982 a durement frappé les industries manufacturières. Les espaces vacants laissés à l’abandon avaient rapidement été pris d’assaut par des artistes en quête de nouvelles dimensions. Le loft était né. Même s’il a encore la cote, le loft n’est plus à la portée de toutes les bourses. L’espace sans cloison est encore tendance, mais il faut les moyens pour suivre la cadence.

Le contexte est aujourd’hui différent. Les logements à un prix abordable sont de plus en plus rares et la métropole est loin d’être un cas unique. D’autres villes sont en crise, ce qui amène des habitants à user d’imagination. C’est le cas de Paris, en France, qui voit ses boutiques désaffectées être à la mode. Comme lors de la naissance des lofts, le début des années 2000 a vu de nouveaux espaces se libérer: les magasins qui donnent sur la rue. L’équivalent d’habiter une ancienne boutique de vêtements rue Sainte-Catherine! En octobre dernier, le journal Le Monde titrait "Habiter une boutique, c’est chic" et confirmait qu’en l’an 2000, le Service d’urbanisme de Paris avait reçu près de 200 demandes de changements d’affectation visant à transformer des magasins en locaux d’habitation. La pénurie de logements au centre-ville, conjuguée à l’effondrement du petit commerce, a provoqué cette situation dans la capitale de l’Hexagone.

Est-ce que le phénomène traversera l’océan? Il y a peu de chances, selon le professeur à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal, Daniel Gill. Étonnamment, il croit que la pénurie de logements n’est pas encore assez forte à Montréal! "La crise n’est pas assez prononcée pour voir un tel phénomène, pense-t-il. En Europe, les surfaces au centre-ville [là où le phénomène se produit] coûtent beaucoup plus chères que l’équivalent ici. De plus, les Européens sont habitués à vivre dans de très petits appartements, ce qui n’est pas le cas en Amérique, pour l’instant."

Mais le scénario n’est pas complètement exclu, soutient le chargé de communication de l’arrondissement Plateau-Mont-Royal et ancien conseiller en développement urbain et économique à la Ville de Montréal, Michel Tanguay. "Il y a sûrement des endroits en ville où la superficie commerciale s’adapte mal à l’usage qu’on veut en faire, explique-t-il. Des études pourraient être faites pour voir si la conversion en logements est possible."

Avec la nouvelle grande ville, chaque arrondissement décide du zonage des rues, et donc de la possibilité de transformer une boutique en local d’habitation. Il y a plusieurs types de zonages et certains interdisent carrément l’édification de logements au rez-de-chaussée. C’est la cas de la classification C4 qui est de "densité commerciale moyenne à forte" et de tout ce qui est plus élevé. Un exemple parmi d’autres, ce zonage est en vigueur rue Saint-Denis, du quartier latin jusqu’à l’avenue Laurier. Il est alors impossible de convertir quoi que ce soit.

Il peut toutefois arriver qu’un arrondissement change le zonage. Il y a quelques semaines, la rue Saint-Denis, entre Gilford et Saint-Joseph, est passée de C4 à C2. "Nous avons jugé que le commerce était plus faible et nous avons rétrogradé le zonage, explique Michel Tanguay. Maintenant, des logements au rez-de-chaussée peuvent côtoyer des magasins. Un proprio nous a dit qu’il voulait convertir sa boutique en logement, car la superficie commerciale était trop étroite pour trouver preneur. Nous avons les mécanismes pour nous ajuster à la demande et à la réalité changeante de l’habitation. D’autres arrondissements pourraient en faire autant. C’est du cas par cas."

Si Paris voit une ruée vers ses boutiques désertes, c’est aussi parce que le prix du commercial est tombé à moins de 50 % de celui du résidentiel. Une véritable aubaine. "À Montréal, avec les loyers les plus bas au Canada, ce n’est pas le cas du tout", souligne l’urbaniste au Service d’habitation de la Ville de Montréal, François Goulet.

Montréal, small is beautiful
Dans la métropole, c’est un autre phénomène qui attend au détour. Les années à venir verront apparaître une miniaturisation des logements, soutient Daniel Gill. "Il y a déjà beaucoup de 11/2 ou de 21/2 dans des endroits comme le Plateau, mais il s’agit souvent de rénovation ou de transformation, dit-il. Ce qui est nouveau, c’est qu’on va commencer à construire des petits condos ou des lofts neufs. Autour de 50 mètres carrés, soit l’équivalent d’un 31/2. C’est petit pour nous, mais les Européens sont habitués. Ils vivent souvent dans plus petit encore."

Mais à Montréal, ce ne sera pas pour cause de logements aux prix exorbitants comme sur le Vieux Continent. C’est plutôt parce que les modes de vie changent, d’après Daniel Gill. Le marché de l’immobilier se fractionne pour répondre à des styles d’existence nouveaux. "Les gens vivent de plus en plus seul, explique l’urbaniste. Surtout les 25 à 40 ans et les personnes âgées. Ils veulent alors vivre près des centres, là où l’activité est débordante. Mais acheter un 41/2 au centre-ville est très dispendieux. Non seulement autant d’espace ne leur sert à rien, puisqu’une personne seule passe beaucoup de temps dehors, mais ils veulent aussi dépenser leur argent dans les loisirs, les voyages ou l’auto. Les anciens standards ne leur conviennent pas."

Effectivement, Montréal est l’une des villes où le nombre d’habitants par appartement est le plus faible, avec une moyenne de 1,9 personne, contre environ cinq résidents dans des villes comme New York ou Londres. "Il ne faut pas exagérer non plus le phénomène, tempère Daniel Gill. La majorité de la population veut encore fonder une famille, alors ça prend des habitations adéquates. Mais le phénomène d’individualisation est visible. L’explosion des coûts de construction fait que le propriétaire veut que ce soit rentable. Vendre plus d’unités permet que ce soit profitable. Aujourd’hui, avoir un grand appartement en ville est un luxe qui n’est pas donné à tout le monde."

L’exemple de Londres
Daniel Gill tire quelques-uns de ses constats avec l’émergence d’une nouvelle vague à Londres. "Des expériences sont en cours pour vendre de petites unités d’habitation dans des grands magasins, explique-t-il. Les gens seuls veulent tout trouver à la même place, c’est plus simple." C’est donc dire qu’ici, on pourrait acheter un petit condo vendu par un Wal-Mart ou un La Baie et trouver la literie et les meubles au même endroit! Une offre tout compris! "Mais c’est encore loin de voir le jour ici, la mentalité étant différente", précise Daniel Gill.

Ça semble être effectivement la cas dans l’immédiat, car autant la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) que l’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec (APCHQ) ne constatent aucune effervescence dans la construction de petits condos ou lofts mesurant autour de 50 mètres carrés. Les deux porte-parole affirment que s’il y a un mouvement, il est encore embryonnaire et "reste très marginal". Mais d’après plusieurs, c’est une question de temps avant que l’Europe ne soit vraiment à nos portes…