Mardi matin, surprise, c’est mouillé. Dehors, c’est bouetteux, même là où il n’y a que du macadam et du béton. Ce qu’il y a d’ennuyeux avec les déluges, comme celui qui nous afflige depuis, ma foi, au moins octobre dernier – un mois d’octobre éternel -, c’est qu’ils emportent tout sur leur passage: la bonne graine, la mauvaise herbe, le gazon, les plants de pot, les radis, les vieux kleenex, les libéraux, les péquistes…
Ne reste que la bouette, de sorte qu’on a tous les jarrets noirs, comme les Beaucerons originels. Les Beaucerons, qui avant l’invention de l’autoroute 73 Sud empruntaient des pistes boueuses de terre noire pour aller vendre leurs cossins à Québec, noirs de boue jusqu’aux genoux. Alors, à Québec, en dignes inventeurs de la terrasse sur le bord de la rue, on regardait de haut ces crottés, en murmurant, tout en flatulant à un niveau supérieur: "Ah! Les jarrets noirs s’en viennent salir le tapis."
Bon, je m’en vais où comme ça avec mes raquettes dans la steppe? Sur le terrain politique! Parce qu’en ce matin mouillé comme les 500 derniers autres, y a un changement dans l’air: vous parlez politique, et non plus de ces plaisirs ludiques de l’épandage de varathane sur vos nouvelles en forme de vieilles armoires de cuisine. Vous parlez politique, mais au fond, vous êtes ébranlé, vous avez le shake, après la secousse partielle de lundi soir. Des copains de cette gauche espresso-Plateau évoquent rien de moins que le débarquement de l’extrême droite.
Quoi, l’ADQ, extrême droite? Alors, Jean-Marie Le Pen, c’est quoi? La droite infinie? Pat Buchanan, ce pape républicain de l’Amérique chrétienne qui fait passer Double V pour l’auteur du Kapital, la droite terminale?
Et son programme de droite? Bon, déjà que ce parti à peine plus intellectuel que Mike Tyson en ait un, c’est un point en sa faveur. Vous ferai-je remarquer que les libéraux de Charest n’en ont pas, et ne vous promettent que de gouverner par "euh… c’était quoi la question?".
Mario veut abolir la sécurité d’emploi dans la fonction publique pour la remplacer par des contrats de cinq ans? Grand ciel, si au moins une majorité de Québécois pouvait profiter d’un tel avantage, ce serait l’utopie sur terre. Et les deux tiers de fonctionnaires qui sont à quelques payes de la retraite, et l’autre moitié, des jeunes avec un emploi aussi précaire que dans un McDo, n’en demandent pas tant. Le taux unique d’imposition? Si, pour notre plus grand bien, un Mario premier ministre laisse budgéter l’an zéro de son gouvernement par un comptable, il va se raviser devant le trou plusieurs fois milliardaire qu’une telle mesure creuserait dans les finances publiques. Les bons d’éducation? Rassurez-vous, aucun être humain n’est venu à bout de la technocratie du ministère de l’Éducation. Le système de santé à deux vitesses? C’est toujours mieux que l’actuel à quatre vitesses:
1- Celle des régions, où l’on attend 17 mois pour se faire diagnostiquer une laryngite dans le seul demi-hôpital à 1000 kilomètres à la ronde.
2- Celle des travailleurs conventionnés où les assurances privées se soucient même des patches de Nicorette.
3- Celle des villes, où les Montréalais butinent de salle d’urgence en CLSC pour obtenir 50 prescriptions contre la migraine.
4- Et celle de la clinique privée du Club du Sanctuaire, où on vous guérit d’un cancer généralisé en moins de trois heures, moyennant un membership dans les cinq chiffres.
L’ADQ, un parti de droite? Non, c’est un parti parasitaire de nos petites peurs et de nos frustrations quotidiennes, qui flattent un peu trop tout le monde dans le sens du poil.
Mais ce qui inquiète le plus devant cette déferlante adéquiste, c’est sa nature 110 % pure laine régionaliste. L’ADQ est un parti de jarrets noirs, qui n’a d’urbain que son membre # 3147, un dénommé Urbain, agriculteur dans le coin de Sorel. Un parti blanc, classe moyenne, élevé à la campagne dans des maisons en clapboard de vinyle blanc du Domaine Roger-Beaulieu, sur le rang 7 à Sainte-Blancheville. Un parti qui n’a aucune racine en ville, ne connaît rien à Montréal, ne comprend rien à l’urbanité, et dont sa base, très région, est même très anti-Montréal. La revanche de Berthier, de Victoriaville et de Maniwaki contre l’omnipotence montréalaise. Parce qu’il n’y a que les Montréalais, et les gentlemen farmers d’origine montréalaise, qui n’aiment pas les cochons. Il n’y a que les Montréalais qui veulent accorder la vraie autonomie aux nations amérindiennes. Les Montréalais, c’est bilingue et ça laisse les immigrants menacés les p’tits Québécois avec des kirpans.
Puisqu’il faudrait être farfelu pour ne pas croire aux probabilités de l’ADQ de prendre le pouvoir, on ne peut que supplier Mario et sa main droite Marie Grégoire de venir faire un peu de colonisation adéquiste dans la Petite-Bourgogne, avec souper au Chic Resto Pop, puis un peu de trekking en métro dans Côte-des-Neiges. J’ai même une copine travailleuse sociale dans le CLSC du coin qui pourrait peut-être lui servir de guide.
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Bon, cette crisette passée, on va pouvoir parler d’autre chose, des vraies choses, comme la transformation de l’avenue du Mont-Royal en rue piétonne. Mais la semaine prochaine, seulement, le temps que je prépare mon propre plan d’en faire plutôt un vaste camp de réfugiés de la guerre immobilière qui sévit en ville et dont la prochaine offensive est prévue dans une semaine.