Société

Du pain et des jeux

Panem et circenses: Du pain et des jeux.

La devise portée à son paroxysme par l’empereur Auguste autour du Ier siècle permit à bien des monarques par la suite de régner paisiblement sur des masses assoupies, béates de contentement, repues de fromage en crottes et de divertissements vaseux genre Dominique et Martin.

Distraire de l’essentiel, faire taire la contestation en remplissant superficiellement les ventres et les esprits… Comme chacun le sait, de Louis XVI à Jean Drapeau, nombre de versions subtiles de cette pratique de l’autruche ont sévi à travers les âges.

Mais l’histoire retiendra qu’aucune ne fut aussi sophistiquée que celle qui, grâce à l’invention de deux paliers de gouvernement, sépara, sous le règne des empereurs jumeaux Chrétienus et Landrux, le digestif du festif.

Des jeux à Ottawa, du pain à Québec.

Des jeux financés par le fédéral qui saupoudre les subventions sur le Québec afin que flotte bien haut la feuille d’érable rouge au coeur des plus belles fêtes du continent.

Pour que, réunis sous l’unifolié, au Festival du panais de Saint-Ouen, à la Quinzaine de la queue de veau de Val-Moron, ou sous le toit blanc du Madrid entre dinosaures et bigfoots, on se dise: Germaine, qu’est-ce qu’on est bien dans notre Canada.

Pour qu’on se souvienne d’avoir fait la file au guichet du Festival fantôme de Nulle-Part City, puisque à tellement vouloir afficher ses couleurs, le Canada a même acheté le vent dans lequel faire battre le drapeau du j’y suis, j’y reste. La prochaine fois, consultez l’almanach du peuple pour l’horaire des festivités.

Mais puisqu’il faut tout de même que de temps en temps la fête ait vraiment lieu, comment ne pas apprécier la dernière, qui réunissait les cow-boys et les Indiens.

Une sauterie présidée par Adrienne Clarckson si "résolument monarchiste" qu’elle en a adopté par mimétisme les manières engoncées d’Élisabeth II. Et tient maintenant à deux mains son petit sac devant le regard placide de son mari, désormais rompu aux vertus digestives du five o’clock tea. Ex-intellectuel vaguement gauchisant et penseur réputé, John Saul reste, en fait, le seul à savoir s’il éprouva le sentiment de trahir quelque idéal intime lorsqu’il apprit qu’il en avait coûté 12 millions pour rénover les nains et les jardins de la résidence familiale…

Sans sombrer dans le manichéisme, à sa place, je songerais tout de même à ce que cet argent aurait permis d’acheter et de distribuer. Douze millions de déjeuners, c’est tout de même plus substantiel que les becs sucrés lancés aux petits enfants rencontrés sur les chemins huppés de Victoria’s Island.

Ah! mais qu’est-ce qu’on s’amuse à cette fête! Germaine, où sont la nappe et les chaises de parterre? Je crois que nous allons rester.

Ici, dans la capitale, refusant de souscrire à cette mascarade, on prend les vertus de la politique au sérieux. Ouffff.

Et c’est ainsi que, écartelé entre ses propres dérives et la crainte de se faire déborder par l’Union des forces progressistes, le Québec de Bernard Landry a revêtu, un peu tard, les habits fleuris de la porteuse de pain. Peu importe que ces mesures antipauvreté puent atrocement l’électoralisme, l’énoncé, apprend-on, s’appliquerait tout de même dans quatre ans. Si le présent gouvernement tient bon. On peut du moins faire semblant de croire que c’est l’intention qui compte.

La mesure fera hurler les contribuables avec raison. Où va-t-on trouver tout le fric pour faire une société plus juste? En congédiant les intermédiaires et les cabinets de relations publiques? Mheeu nooon, sous votre troufillon de travailleurs déjà étranglés par les taxes.

Prédiction: la mesure atrocement impopulaire portera le coup de grâce aux naufragés. Qui se gargariseront en souvenir du passé lors d’une petite fête organisée pour la circonstance. On y dansera une rumba en plein air en chantant d’une seule voix: "Attends-moi, Mario Dumont", sur l’air de L’Hymne à l’amour.

Dès le lendemain les partitions auront été achetées à prix d’or par Ottawa, qui organisera un grand festival de la jeunesse présidé par Justin Trudeau. Pauline Marois distribuera du pain sec dans les estrades. L’avenir s’ouvrira devant nous, ce sera beau, ce sera grand… J’en ai déjà les larmes aux yeux.