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Culture de cannabis : Touche pas à mon pot
Quelques graines en vente libre, de l’eau, un peu d’engrais et une source de lumière intense. Dans sa cour, sa garde-robe ou sur sa galerie, la culture domestique du cannabis est fort simple, amplement documentée, et les adeptes sont très nombreux. Assez pour que la tendance vaguement bio soit ici explorée et que nos cultivateurs en herbe, pris au milieu d’un flou juridique, apprennent à quoi ils s’exposent.
Julie Caballé
La loi canadienne de 1911 intitulée Loi sur l’opium et la drogue constituait la première prohibition criminelle des narcotiques en droit canadien. Elle ne faisait nullement référence au cannabis ou à la marijuana. En effet, le pot n’a été classé comme substance interdite qu’à partir de 1923. Si au Canada personne n’a été trouvé coupable de cette infraction avant 1937, aujourd’hui la tendance s’est inversée. La justice pénale consacre une énorme part de ses ressources limitées à la répression de la consommation personnelle du pot, y compris de sa culture "à la maison".
Canada canaphobique
Un rapport récent révèle que le Canada arrête plus de citoyens pour possession simple
(30 000 chaque année) que tout autre pays au monde. Il a été estimé qu’au cours des années 1990, plus de 600 000 Canadiens ont eu un casier judiciaire pour infractions liées au cannabis.
Marc-Boris Saint-Maurice, porte-parole du Bloc pot, fait partie de ceux-là. Il a été arrêté six fois pour possession. Il détenait 3,5 grammes quand on l’a arrêté pour la première fois et qu’on a ouvert son casier judiciaire. Cela n’a eu pour effet que de renforcer son âme de militant pro-cannabis. Aujourd’hui il lutte pour la dépénalisation. Dépénaliser l’usage du cannabis consiste à rendre sa culture à des fins personnelles non passible d’amendes ou de peines d’emprisonnement. Marc-Boris défend la culture-placard (quelques plants dans ta penderie): "Je pense que c’est une façon de lutter contre les organisations criminelles; les gens produisent pour être autosuffisants, au même titre que ceux qui pensent que le vin et la bière du dépanneur sont dégueulasses et qui décident d’en produire." Oui mais… selon la loi "réglementant les drogues et autres substances", loi fédérale rattachée au code criminel, trafic, possession, culture sont assimilés et par là même, aussi illicites les uns que les autres.
Graines autorisées, culture prohibée
Cependant, un autre paradoxe demeure: cultiver, c’est illégal, mais on peut sans mal se procurer des graines, dont la vente, elle, est permise.
À Québec, il y a cinq ans, Jean-Philippe Lapierre s’est lancé dans le commerce de plus de 150 variétés de semences. Dans sa boutique l’Échologik, on trouve tout pour faire pousser son chanvre. Argument-choc: "germination garantie ou argent rendu". Les prix sont compris entre 1 et 25 $ la graine, provenance Amsterdam, Colombie-Britannique, Montréal et Québec. Forcément, plus elles sont indigènes, moins elles sont chères. Interrogé sur la loi, Jean-Philippe se défend: "Mes graines sont 100 % légales, je pense que je réponds à un besoin. Les gens ne veulent plus fumer des trucs chimiques, ils recherchent une qualité supérieure, plus naturelle et moins dispendieuse. Après, ce que les gens en font… moi, je me dégage de toute responsabilité."
Et il a raison, Jean-Philippe, car même si la loi reste évasive au sujet des semences, elle existe néanmoins. L’achat des graines est légal si elles sont stérilisées, mortes. Mais pourquoi en acheter si on ne peut pas les faire pousser? Eh bien, les graines de chanvre sont riches en acides aminés et peuvent être vendues et mangées comme telles (!)… Donc, il est légal d’en faire commerce si elles ne sont pas viables. En cas d’intervention de la police, c’est à elle de faire la preuve que la graine confisquée est viable, donc il faut la faire germer. Pour Marc-Boris Saint-Maurice du Bloc pot, "une enquête comme celle-là mobiliserait près de 80 000 $, et puis il y a un autre débat: l’altération de la preuve. Si les flics font pousser du cannabis, ils modifient l’élément de preuve et ça, c’est une polémique qui peut aller devant la Cour suprême".
Au district de Québec de la Sûreté du Québec, on est plutôt serein sur cette question. Jean Mainguy, responsable des relations publiques, explique: "Les plants doivent avoir pris racine, mais si on constate que la personne possède des articles pour la culture, on présume que les graines sont illicites. Alors on les envoie à analyser au laboratoire gouvernemental du Canada et le certificat d’analyses qu’il nous retourne tient lieu de preuve."
Crimes et châtiments
Pour le tout petit producteur autosuffisant, quels sont les risques? La peine maximale encourue pour production de cannabis, sans bornes de quantité, est de sept ans de prison. Une telle peine n’a jamais été appliquée à Québec: les amendes sont beaucoup plus répandues, l’emprisonnement n’est pas exclu, parfois pour plusieurs mois. Jean Mainguy explique: "À Québec, nous n’avons qu’une dizaine d’enquêteurs dans le domaine des stupéfiants, et ce, pour tout le district, alors on préfère frapper les gros cultivateurs plutôt que de jouer au chat et à la souris avec les particuliers." Effectivement, les policiers découvrent ces cultures personnelles la plupart du temps par hasard. D’autres fois, c’est la vengeance qui a motivé un délateur.
D’abord avec un premier mandat, les policiers vont perquisitionner et constater l’infraction. Ensuite ils reviendront armés d’un second mandat pour l’arrestation. Ces dernières années, elles se sont multipliées, mais les condamnations n’ont pas suivi le mouvement. Selon le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, "l’illégalité du cannabis entraîne des dépenses significatives de fonds publics notamment en temps policier, et une difficulté plus grande à faire de l’information et de la prévention. Par ailleurs, les politiques publiques semblent avoir peu d’effets sur les tendances d’usage".
Prolixe hydroponique
Et parmi ces "tendances d’usage" on trouve la culture hydroponique, comprenez "culture sans terre". Québec a vu exploser le nombre de magasins distribuant des lampes à sodium ainsi que divers engrais nécessaires à la culture à l’intérieur, et pas seulement pour faire pousser des tomates cerises. Du côté des centres jardin et des vendeurs de systèmes hydroponiques, on se garde de tout commentaire à ce sujet.
Il faut noter que c’est parfois légal. Suivant la loi du 30 juillet 2001, le Canada est le premier pays à avoir dépénalisé le cannabis à usage thérapeutique. Les personnes atteintes du sida, de la sclérose en plaques, d’épilepsie et d’autres maladies dégénératives ont désormais la permission de Santé Canada de cultiver leur propre marijuana afin de soulager leurs douleurs. Pour éviter l’éclosion de commerces illicites, la loi encadre les personnes autorisées à cultiver la plante. Ainsi, toute demande pour cultiver ou posséder du cannabis doit être appuyée d’une déclaration d’un médecin précisant la nature des troubles médicaux pour lesquels la marijuana est prescrite. Cette mesure est dans l’air du temps. Car la tendance canadienne, du côté des autorités, est à la "décriminalisation", c’est-à-dire faire en sorte que de cultiver du cannabis ne soit pas considéré comme un crime, sans pour autant rendre cette activité légale et conforme à la loi, ce qu’idéalement demandent les défenseurs du cannabis. Les mêmes, qui profitent de la confusion juridique entourant les semences, savent maintenant qu’il faut demeurer prudent. Un fumeur averti en vaut deux.
À l’inverse, d’autres s’inquiètent par rapport à la montée en puissance du libéralisme cannabique. Larry Collins, auteur et journaliste au magazine Newsweek, a mis en avant le fait que dépénaliser les drogues douces comme on l’a fait en Hollande est à double tranchant. Et le revers de la médaille, c’est d’ouvrir la porte aux trafiquants de drogues plus dures. "La Hollande est devenu le silo à drogue du continent européen", selon Larry Collins.
La peur de voir s’appliquer une telle situation dans la société nord-américaine rend les pouvoirs publics timides en matière de législation.
Pris entre deux feux, le Québec cherche une alternative, pendant ce temps-là le flou demeure.