Droit de cité : La longue marche
Société

Droit de cité : La longue marche

La proposition de transformer l’avenue du Mont-Royal en rue piétonne, à défaut d’être un projet hautement probable, a au moins le mérite de ne pas passer inaperçue. Elle a fait sourciller, elle a titillé, certains ont souri d’amusement, d’autres se sont carrément mis à rêver.

Le projet "Avenue Mont-Royal verte" consiste à y interdire la circulation automobile sur toute la longueur de l’avenue, et à l’aménager pour le transport en commun électrique et les piétons. Seules huit artères – Saint-Laurent, Saint-Denis et Papineau, entre autres – la traverseraient. Les autres seraient transformées en culs-de-sac. Pour y accéder ou en sortir, les automobilistes emprunteraient les ruelles.

Le projet n’est pas marchand. Ses promoteurs n’ont pas comme objectif premier d’attirer des touristes ou de créer des emplois. Même s’ils prétendent qu’une avenue sans voitures aurait des répercussions bénéfiques sur le commerce.

En fait, c’est une campagne anti-automobile. Mort aux chars, pourrait-elle s’intituler. L’essentiel de la présentation de leur projet consiste en un long réquisitoire contre la voiture, dont on sort avec la nette impression qu’elle est responsable d’à peu près tous les maux de la Terre. (Même si l’essentiel de l’ozone au sol responsable du smog qui afflige Montréal à l’occasion provient de l’Ontario et du Midwest, et qu’il est dû pour une bonne part à la production d’électricité dans les centrales au charbon.)

Pour Gérard Beaudet, directeur de l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal, on ne fait pas une rue piétonne pour se débarrasser des autos. Ce n’est pas la motivation qui fait la réussite des voies piétonnes, mais leur caractère.

À titre d’auteur du livre Le Pays réel sacrifié, un pamphlet publié en 2000, il dénonce lui aussi le peu de cas que l’on fait des gens, des individus et des collectivités dans la planification urbaine d’aujourd’hui. Et l’auto, ou plutôt son abondance, est l’un des irritants les plus tenaces. Mais, croit-il, les adorateurs de l’avenue piétonne doivent prendre un bon coup de réalisme. "Nous avons tendance à idéaliser le concept d’avenue piétonne par nos visites en Europe", dit-il.

En général, fait-il remarquer, les rues piétonnes qui connaissent le succès mènent à un site digne d’intérêt, une grande place historique, par exemple. Dans ce cas-ci, elle nous mène soit à l’emberlificotage d’intersections autour de l’avenue du Parc, soit au Journal de Montréal. Elles sont aussi généralement courtes. Les rares exemples au Québec, dans la capitale notamment, comme les rues du Trésor ou du Petit-Champlain, ne font que quelques centaines de mètres tout au plus.

Elles doivent aussi avoir un cachet, de l’intimité. Elles doivent être serrées, emmurées, un espace urbain clos à l’abri de la rumeur de la ville. Ces dernières sont intéressantes dans la mesure où elles permettent l’exploration, où l’on va de surprises en découvertes au gré des courbes ou des côtes.

Avec ce projet, on risque plutôt d’engendrer un gadget artificiel, un souk sans nom, selon lui. Il craint même que l’on crée un désert. Va pour le temps d’une braderie, mais un lundi 14 janvier à 20 h, qu’en sera-t-il? Bref, ce n’est pas parce qu’il y en a ailleurs qu’il faut transformer l’avenue du Mont-Royal en rue piétonne.

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Ces bémols exprimés, il faut malgré tout reconnaître au comité d’"Avenue Mont-Royal verte" le courage de proposer une révolution culturelle. Depuis un demi-siècle au Québec, on s’est blindé contre les intempéries. La ville souterraine, creusée dans les années 60 et véritable pied de nez à l’activité commerciale en surface et au "pays réel", en est le monument extrême.

On s’est coupé de notre environnement pour vaquer à notre quotidien. De sorte qu’aujourd’hui, on a perdu le sens du pays, de son climat, de sa géographie…

Alors, puisque la proposition est sur la table, pourquoi ne pas en profiter pour en discuter? Qu’importe que le projet apparaisse, à sa toute première ébauche, un tantinet farfelu, ce n’est pas une raison pour le rejeter.

L’occasion est belle pour la Ville d’attraper au bond la balle lancée par ses citoyens et de prendre l’initiative. Elle pourrait amorcer une grande réflexion sur les rues piétonnes: lesquelles et pour quelles raisons? Pourquoi pas des rues résidentielles fermées à l’automobile aussi? Il en existe une notamment sur le Plateau, à l’ouest de Saint-Denis. Bien qu’elle soit publique, on y entre sur la pointe des pieds, comme un voleur, tant elle a un caractère privé, feutré.

La Ville pourrait aussi lancer un débat plus large sur le déplacement des personnes. Par exemple, le projet de Mont-Royal piétonne est en symbiose avec la solution "cocktail" en transport, où tous les types de transports contribuent à la cause du déplacement des gens. En d’autres mots, cesser de croire que la mission d’un réseau de transport en commun est de faire rouler des autobus, mais convenir plutôt qu’il sert à transporter du monde.

Mais la Ville, par la voix de la présidente de l’arrondissement Plateau-Mont-Royal Helen Fotoupoulos, a bêtement renvoyé les promoteurs à leurs planches à dessin. Comme si la tâche de planifier la Ville leur revenait en propre…

Pour en savoir davantage, consultez leur site: www.montroyal-avenueverte.com. Il y a un forum de discussion pas très animé pour le moment. Apportez-y un peu de vie et, surtout, de la circulation… d’idées.