

La crise du logement : Ménages à la rue
Il y a des mois qu’on parle du 1er juillet avec appréhension. À quelques jours de la date fatidique, plusieurs familles craignent des lendemains douloureux. Elles sont au beau milieu d’une situation d’urgence. Et la réalité rattrape les chiffres. Visite de deux ménages au bord de la catastrophe.
Alec Castonguay
Photo : Victor Diaz Lamich
William, trois ans et demi et Angela, cinq ans et demi, sont tout sourire. Surtout William, un hyperactif qui passe son temps à se déguiser et à demander de l’attention à sa mère, Kim Larocque. Les enfants ne semblent pas se rendre compte que les heures qui passent affligent un peu plus leur maman, angoissée par le 1er juillet qui approche à grands pas. "Je pense qu’ils le sentent parfois, dit-elle. Ils voient que la situation est de plus en plus difficile. Je suis fatiguée, stressée."
Kim Larocque et ses deux enfants sont coincés, comme des centaines d’autres familles, par la tourmente qui secoue le marché locatif de Montréal. Dans le corridor de leur logement de Verdun, quelques boîtes s’entassent maladroitement. "On a commencé à paqueter, même si je ne sais pas où iront ces boîtes." Au mois de février, quand elle a décidé de résilier son bail, le ménage devait prendre la direction de Deux-Montagnes, en banlieue nord de Montréal. Angela doit faire le grand saut en maternelle cet automne et Kim Larocque voulait un endroit plus propice à l’éducation de sa fille. "Je ne juge pas du tout les écoles de Verdun, les profs font du bon travail, explique la mère de 36 ans. Mais c’est un milieu défavorisé. Je voulais un endroit plus calme que la ville."
Cette dernière ne s’attendait pas à ce que la crise du logement fasse aussi rage à Deux-Montagnes, à plus de 35 km du centre-ville de Montréal. Pendant trois mois, Kim Larocque et une amie qui réside dans ce secteur ont tout fait pour débusquer un appartement. En vain. "J’ai même demandé à mon propriétaire de me reprendre quand j’ai vu que rien n’aboutissait, mais il l’avait déjà loué."
D’un quartier à l’autre
Danielle Lefaivre et sa fille Mélanie voulaient elles aussi changer d’adresse. Leur appartement dans Hochelaga-Maisonneuve ne leur a jamais convenu. "Nous avions pris ce logement par dépit l’année dernière, parce que nous n’avions rien trouvé de mieux à cause de la pénurie, soutient la mère de 43 ans. C’est considéré comme un quatre et demi, mais on n’a qu’une seule chambre fermée. Avec une fille de 21 ans, le manque d’intimité est désagréable pour nous."
Pour ajouter à leur malchance, leur logis a été cambriolé au tout début de leur séjour, l’été dernier. Depuis, Danielle Lefaivre vit avec la peur au ventre. "J’habite dans une prison, confie-t-elle. Je n’ouvre pas les fenêtres parce que j’ai trop peur que les voleurs reviennent et je souffre d’insomnie chronique. J’ai les batteries à terre. Ce n’est pas un caprice, je dois déménager pour cause de problèmes de santé. C’est devenu insupportable."
Comme Kim Larocque, c’est en cherchant un nouveau domicile que l’ampleur de la crise lui est apparue. Présentement, elle regarde dans Rosemont et les quartiers autour. Même Hochelaga-Maisonneuve, là où elle craint les cambriolages, ferait l’affaire si elle trouvait un logement abordable. "Je ne cherche pas la perle rare! proteste Danielle Lefaivre. Je veux juste un endroit avec deux chambres fermées. C’est rendu complètement fou! Les appartements sont très petits et les propriétaires demandent entre 600 $ et 700 $! À ce prix-là, presque tout mon salaire y passerait. Je ne peux pas louer ça, je n’arriverai pas!"
Le cas de Danielle Lefaivre fait partie des milliers d’appels (plus de 2000 au 21 juin) qui ont inondé le service mis en place par la Ville de Montréal (868-GÎTE) pour aider les futurs sans-abri. Mais la Ville ne peut rien faire avant le 29 juin. "Je ne veux pas d’argent, j’en ai! Ce que je veux, c’est un logement. La Ville m’a dit qu’elle m’aiderait en situation d’urgence, mais que pour l’instant, elle n’y pouvait rien."
De son côté, Kim Larocque est sur le bien-être social pour élever ses enfants à temps plein. "William a besoin de beaucoup d’attention et je veux les élever comme il le faut, souligne-t-elle. C’est un devoir d’éduquer ses enfants." Sa situation précaire lui permet donc de bénéficier des suppléments au loyer accordés par le gouvernement du Québec. Elle espère que cet argent frais, même temporaire, pourra lui permettre de combler l’écart entre ses moyens et les demandes des propriétaires.
Discrimination, en avant la machine
Une fois la difficulté de trouver un logement abordable passée (ce qui est déjà une tâche immense), reste le plus dur: l’obtenir. D’après les deux mères, la discrimination est flagrante. "Je n’ai même pas pu visiter un seul logement encore! lance Kim Larocque, exaspérée. Dès que je dis que j’ai deux enfants, les propriétaires laissent entendre clairement que je devrais regarder ailleurs. Quand j’ajoute que je suis sur le bien-être social, c’est encore pire! Pourtant, j’ai une lettre de référence de mon propriétaire actuel qui affirme que j’ai toujours payé mon loyer."
Même constat pour Danielle Lefaivre, malgré que son "enfant" a 21 ans, donc est adulte depuis trois ans! "Les proprios pensent qu’elle va emmener des amis et faire du bruit! Voyons donc, elle n’a plus 15 ans!" Kim Larocque a elle aussi la rage au coeur. Selon elle, notre société se prépare des lendemains difficiles avec ce "glissement de valeurs". "Avant, on refusait les ménages avec des chiens, aujourd’hui c’est avec des enfants! On dirait que les gens sont trop habitués de voir les jeunes en garderie. Comme s’ils n’avaient pas le droit d’exister avant d’avoir 18 ans!"
Au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), on conseille aux familles de dire qu’elles n’ont pas d’enfants. "Rien dans la loi n’oblige à le mentionner, explique François Saillant. Les proprios font ce qu’ils veulent et là, on est en situation d’urgence. Quoi choisir? Mentir ou ne pas avoir de toit? C’est rendu grave!"
Mais Kim Larocque ne veut pas trafiquer la vérité. "Ils vont me prendre avec mes enfants ou pas du tout! C’est ce que j’ai de plus précieux."
Toutes les deux n’ont pas d’endroit où aller si les recherches demeurent infructueuses. Pour Danielle Lefaivre et sa fille, ça risque d’être l’hébergement d’urgence que va offrir la Ville. Kim Larocque est elle aussi dans le flou complet. "Ma mère pourrait nous prendre quelques jours, mais elle habite à Ottawa, raconte-t-elle. C’est un peu loin pour continuer à chercher. De plus, je ne veux pas trimballer les enfants d’un endroit à l’autre sans arrêt."
Gardent-elles le moral malgré tout? "Il le faut, dit Kim Larocque. Si on est pessimiste, rien de bon va nous arriver. Je garde espoir."