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Agriculture communautaire : Terre promise
Vous en avez assez des OGM et des légumes bourrés de pesticides? Pourquoi ne pas devenir partenaire d’une ferme biologique locale et recevoir des produits frais et sains pendant tout l’été… L’agriculture soutenue par la communauté (ASC) rassemble de plus en plus d’adeptes et franchit cette année le cap significatif des 10 000 consommateurs. Un pied de nez au système actuel.
Tommy Chouinard
Photo : Tommy Chouinard
Ça y est, c’est fait: je suis viré bio. Un peu par hasard, puisqu’une amie m’en a glissé un mot cet hiver, mais surtout par conviction. Devant la domination des hypersupermarchés, la malbouffe trafiquée avec des organismes génétiquement modifiés encore trop peu testés, les mégaporcheries, les sols saturés et les cours d’eau pollués, les fruits et légumes arrosés (voire noyés) de pesticides et le boeuf dopé aux hormones de croissance, le rural devenu urbain que je suis a commencé à se poser des questions sur les aliments qu’on se met dans le gosier et la façon dont ils sont produits…
Au Québec, le secteur de l’alimentation se retrouve en crise. D’un côté, de plus en plus d’agriculteurs n’ont d’autre choix que de s’engager dans la culture conventionnelle, la mégaproduction (engrais chimiques en prime), afin de survivre. De l’autre, les consommateurs sont condamnés à ne pas savoir ce qu’ils mangent.
La donne semble vouloir changer, car agriculteurs et consommateurs ont décidé de s’organiser dans le but de défier le système alimentaire dominant. C’est ce qu’on appelle l’agriculture soutenue par la communauté (ASC). Peut-être la connaissez-vous, puisqu’il s’agit d’un mode de consommation alternatif qui gagne la ferveur de bien des adeptes. La mienne comprise.
En plein essor, l’ASC encourage l’agriculture biologique locale, une culture qui bannit toute utilisation d’engrais chimiques, de pesticides de synthèse et d’organismes génétiquement modifiés. Ce concept lie des citoyens à des fermes bio grâce à une formule de partenariat toute simple. Pour devenir partenaire d’une ferme, un citoyen achète, au début de la saison estivale, une part des récoltes (environ 400 $ pour deux personnes). La ferme s’engage en retour à lui livrer au point de chute de son quartier, chaque semaine (et ce, pendant plus ou moins 20 semaines), un panier contenant de 6 à 15 légumes fraîchement récoltés dans ses champs. Les partenaires soutiennent ainsi financièrement une ferme respectueuse de l’environnement tout en consommant des aliments sains, tandis que les agriculteurs se constituent une clientèle fidèle et assurent donc leur survie. Bref, tout le monde y trouve son compte.
L’ASC se taille une place dans un monde dominé par l’agrobusiness. Une place modeste et marginale, certes, mais une place qui prend de l’ampleur. En 1996, seulement sept fermes adhéraient à cette forme de mise en marché alors que le Réseau québécois de l’ASC était mis sur pied par Équiterre, un organisme voué à la promotion de choix écologiques et socialement responsables. Cette année, le projet d’Équiterre, qui a pour but de soutenir le développement des fermes biologiques tout en rendant leurs produits accessibles, s’est étendu à 62 fermes réparties dans 13 régions du Québec (une centaine de fermes ASC existent dans tout le Canada, d’après un modèle importé d’Europe). En fait, environ le tiers des maraîchers et jardiniers bio au Québec prennent part à l’ASC. De plus, quelque 4500 parts de récolte ont été achetées via le réseau cette année, si bien qu’environ 10 000 personnes s’alimentent directement de fermes bio en 2002. "C’est un réseau à contre-courant qui se développe petit à petit", affirme Frédéric Paré, coordonnateur du programme d’agriculture écologique chez Équiterre.
Alors que la belle saison bat son plein, les agriculteurs commencent à distribuer les paniers aux partenaires. Mon premier panier devait être livré cette semaine, dans le Mile-End. Or, la température décevante des dernières semaines a retardé les récoltes: il faudra attendre une semaine de plus. Pas grave. Après tout, c’est ça, l’ASC: partager les risques avec un cultivateur, pour le meilleur et pour le pire, et prendre conscience des aléas de l’agriculture…
Retour à la terre
Pour ce léger retard, les propriétaires de la Ferme Cadet-Roussel, dont je suis devenu partenaire, se confondent en excuses. "C’est la première fois que ça arrive en sept ans", se désole Madeleine Roussel. Personne ne leur en tient rigueur, car cette ferme à l’allure pittoresque, avec ses serres de tomates, ses petits potagers et ses champs en pleine effervescence, fait figure de pionnière. C’est effectivement avec Cadet-Roussel qu’Équiterre a lancé le tout premier projet d’ASC, en 1995. La ferme de la Montérégie comptait alors 25 partenaires et un seul point de chute, dans le quartier Mile-End. "Des jeunes sont venus nous présenter le projet à une période difficile pour la ferme, raconte la principale intéressée. Ils nous expliquaient que les gens de la ville voulaient soutenir l’agriculture biologique. J’étais sceptique au départ. Puis j’ai constaté les avantages et je n’ai jamais regretté depuis d’avoir choisi l’ASC." Il y a de quoi, puisque le nombre de partenaires de la ferme est passé de 20 à 300 en sept ans!
La Ferme Cadet-Roussel, établie en 1971 et s’étendant sur quelque 70 hectares, s’est convertie à l’agriculture bio en 1980, puis à la biodynamie en 1990 (seulement 15 fermes sont certifiées biodynamiques au Québec). "La biodynamie, explique Madeleine Roussel, c’est de l’homéopathie appliquée au sol." Par exemple, pour lutter contre les champignons et les mauvaises herbes, la ferme a recours uniquement à des substances naturelles. "Tous les produits utilisés proviennent de notre ferme: les animaux fournissent le fumier, nous faisons du compost 100 % naturel, certaines plantes servent à faire des décoctions pour produire des fongicides, etc.", ajoute celle qui, avec son mari Jean, emploie une dizaine de personnes à la ferme, des jeunes pour la plupart.
Au menu, plus de 30 variétés de légumes garniront les paniers dès le 11 juillet. "Nous avons longtemps été spécialisés dans les endives et les produits européens comme le céleri-rave, les échalotes françaises, les pommes de terre à chair jaune, indique la Française arrivée au Québec en 1968. Notre philosophie est d’offrir des légumes qu’on ne retrouve pas nécessairement dans les supermarchés. Nous avons aussi une panoplie de légumes courants: des artichauts, des petits pois, des haricots verts, des tomates, des poireaux, etc."
Toutes les fermes participant au réseau de l’ASC doivent être certifiées biologiques par un organisme de contrôle indépendant (OCIA, Garantie-Bio, Demeter, ou Québec-Vrai dans le cas de Cadet-Roussel). Par exemple, les producteurs de viande bio (peu nombreux en ASC) doivent nourrir leurs bêtes de graines bio et ne pas utiliser d’hormones de croissance ou de médicaments au cours de l’élevage. En 2001, environ 2 % des agriculteurs québécois détenaient une certification bio, un sceau officiel particulièrement rigoureux. "Les producteurs biologiques doivent toujours prouver qu’ils ne polluent pas et doivent absolument être certifiés pour se déclarer biologiques, ce qui coûte cher. Mais les agriculteurs industriels, eux, utilisent des produits chimiques ou des OGM sans être obligés d’en informer les consommateurs, souligne Frédéric Paré. C’est assez paradoxal."
"L’agriculture traditionnelle est fortement soutenue par le gouvernement avec des subventions, ce qui n’est pas du tout le cas de l’agriculture biologique, renchérit Madeleine Roussel. Il faudrait que le gouvernement y mette un peu du sien… Tout ce qu’on dit aux agriculteurs, c’est qu’il faut que ça fasse des sous, des sous, des sous. Et on n’encourage pas beaucoup le biologique…"
Pas étonnant alors de constater que l’agriculture bio a besoin d’un soutien de la communauté. L’engagement financier des partenaires auprès de la ferme, le plus souvent versé dès le printemps, permet à celle-ci de mieux planifier sa saison, de payer ses semences sans avoir à s’endetter, d’assurer un revenu convenable tôt dans la saison (en moyenne, 25 % des revenus des fermes ASC sont tirés de la production des paniers), de partager les risques d’une mauvaise année avec une clientèle compréhensive, de ne plus dépendre des grossistes et des intermédiaires pour la mise en marché… et quoi encore! "Tous ces avantages, c’est vraiment énorme pour nous", reconnaît Madeleine Roussel.
Pour certains cultivateurs, l’ASC représente même une planche de salut. "Certains nous ont clairement dit que sans l’ASC, ils n’auraient pas survécu dans le marché actuel", souligne Frédéric Paré. Pourtant, des agriculteurs traditionnels pensent plutôt que le biologique et la ferme à échelle "humaine" constituent un retour en arrière… "Aller de l’avant, est-ce produire toujours plus tout en polluant? L’ASC, à mes yeux, est plutôt une autre voie plus soucieuse de l’environnement, et non un recul", croit pour sa part Charles-Antoine Légaré, étudiant en agroéconomie à l’Université Laval de Québec et stagiaire à la Ferme Cadet-Roussel. "Je pense que l’ASC est une bonne façon d’appliquer le commerce équitable au Québec: le producteur fait affaire directement avec les consommateurs, sans intermédiaire. Et c’est un bel exemple de développement régional."
Beau, bon, bio!
En janvier dernier, Équiterre a divulgué les résultats d’un sondage CROP mené auprès de 1000 Québécois au sujet de l’alimentation biologique. Or, si peu de gens cernent véritablement ce qu’est l’agriculture biologique (30 % l’ignorent), la majorité souhaite son essor via un soutien financier du gouvernement (81 %). "Les gens sont de mieux en mieux informés et prennent conscience que ce qu’ils mangent est important, que c’est une question de santé et qu’il est intéressant de savoir d’où provient notre nourriture", affirme Frédéric Paré.
Les consommateurs peuvent également faire des économies: selon une étude comparative réalisée par Équiterre en 1997, le prix d’un panier ASC était de 10 à 50 % moins élevé que le prix d’un panier équivalent acheté dans les épiceries spécialisées. "Les gens qui n’ont pas l’habitude des produits bio se rendent compte que ce n’est pas beaucoup plus cher que d’acheter ses légumes au supermarché, et que c’est nettement meilleur au goût et pour la santé", précise-t-il.
À la Ferme Cadet-Roussel de Mont St-Grégoire, les partenaires ne font pas qu’économiser: ils prennent également part à des activités sociales (une fête des récoltes, par exemple) et prêtent main-forte aux travaux de la ferme (désherbage et repiquage, entre autres). "Les partenaires prennent plaisir à venir constater comment une ferme fonctionne, note Madeleine Roussel. Et c’est valorisant pour nous de rencontrer les gens qui consomment nos produits. Il y a vraiment un gros fossé entre les gens de la ville et les gens de la campagne, et des activités comme celles-là permettent de le combler."
Une affaire de granolas néo-hippies, l’ASC? "Le bio n’est pas simplement une mode, croit Charles-Antoine Légaré. C’est sûr que c’est encore marginal, mais c’est appelé à se développer." "Chez Équiterre, ajoute Frédéric Paré, on s’adresse aux partenaires en disant que ce sont des héros parce qu’ils sont en train de soutenir un modèle alimentaire différent du modèle dominant, qui n’est pas complètement mauvais mais qui a de gros effets pervers. Ils sont en train, petit à petit, par des gestes quotidiens, de changer le système."
À une époque où acheter est devenu un geste quasi politique, l’ASC représente rien de moins qu’une façon d’exercer son pouvoir d’achat efficacement…
Et loin de se limiter à l’agriculture soutenue par la communauté, les fervents de culture biologique créent maintenant des jardins collectifs et communautaires, ou encore des coopératives. À l’heure où vous lisez ces lignes, ces projets prennent forme de plus en plus et attendent que d’autres personnes virent, elles aussi, bio…