Société

Cimetière Belmont

Il y a pas très loin d’ici, au cimetière Belmont, où ne vient jamais personne, dans une allée vers l’ouest, sur ce qui ressemble à une petite plaine à peine convexe, une tombe entourée de deux urnes.

On peut y lire: "À notre enfant bien aimé"… L’inscription sobre est suivie d’une date qui laisse entendre que celui qui repose là n’aura jamais sept ans.

À gauche, dans une des petites urnes, ses parents, probablement, ont déposé une balle tricolore et un guerrier de l’espace en plastique, dans l’autre, Kermit la grenouille repose, affalée, abattue sur elle-même…

Délavée et moisie par les hivers, la marionnette a pris la teinte des jeunes pommes vertes. Il y a dans sa pose molle, ses minces bras qui pendent désespérément, son sourire naïf et ses yeux lourds, un immense regret de cet ami perdu, soustrait au jeu, aux joies, aux odeurs, aux saveurs de la vie.

Cet enfant veillé par sa peluche, c’est bien, je crois, la chose la plus triste que j’aie vue.

Et même si, comme de raison, la contemplation prolongée du monde fait perdre foi en tout mais surtout en l’homme, on est tenté de prier pour lui.

Il y a en banlieue de Montréal, dans le coin de Lakeshore Hospital, une chambre d’hôtel dont on vient tout juste de réautoriser l’accès.

La semaine dernière, on y a découvert, morte, la mère d’une enfant de 12 ans, lourdement handicapée. Incapable d’endurer plus longtemps les souffrances de sa fille, elle l’avait tuée, il y a plus d’un an. Après quelque chose qui ressemble à un procès, elle s’en est allée finir de perdre la boule dans un asile où on lui a laissé assez de corde pour se pendre.

Culpabilité, désespoir, démence. Sa famille s’interroge sur l’incompétence de ceux qui l’ont laissée sans surveillance, d’autres, se souvenant du regard vide de Robert Latimer en route vers sa geôle, se questionnent sur la fragilité des frontières entre meurtre, délivrance et compassion.

Il y a loin d’ici, en terre sainte, des enfants encore en couche-culotte que l’on déguise en bombe humaine.

Sur les photos retrouvées par la police, on les voit ainsi affublés lors des fêtes, portant le bandeau aux couleurs du Hamas, une ceinture d’explosifs factice autour du petit pantalon et de la Pampers.

Quelques porte-parole palestiniens expliquent: "Il s’agit d’une coutume en vogue dans les mariages et les remises de diplômes… C’est dans ce terreau fait de désespoir et d’identité bafouée que naissent les vocations de martyr", ajoute-t-il, pour justifier l’immonde mode.

Il n’ira certes pas dire ce que l’on soupçonne. Depuis le 11 septembre, l’islam bascule peu à peu dans les camps des islamistes, fous de dieux de toute sorte, et en perd le sens de la société civile.

Mais de dieux, comme de la patrie, un enfant de deux ans n’en a assurément rien à foutre.

C’est un mensonge, de la démence, on ne construit ni une patrie ni une société en suicidant ses enfants.

Et la petite bombe qui sourit n’a pas de libre arbitre, il ne se pare de dynamite que pour faire plaisir à ses connards de parents qui lui disent: "Très bien, bravo, c’est ainsi que tu seras un homme, mon fils!"

Quel rapport entre ces trois histoires? Démontrer la différence entre la valeur que l’on attache à une vie d’enfant d’ici, à une vie d’enfant de Palestine? Non.

On raconte dans la légende de l’Apocalypse qu’il existe quelque part un réservoir d’âmes. Qu’il en est donnée une à chaque enfant lorsqu’il vient au monde. Que le monde s’arrêtera lorsque ce réservoir sera vide.

Mais a-t-on le droit de tricher?

Je voudrais bien savoir, quelqu’un, peut-être Kermit la grenouille, tient le compte entre ceux que l’on force à partir et ceux qui auraient bien voulu rester?