Droit de cité : Une claque salutaire
Société

Droit de cité : Une claque salutaire

Appelez ça la rencontre des grands esprits, ou l’air du temps, ou un simple phénomène de champ électromagnétique hyperconducteur à faible intensité. Mais au moment où un journaliste de quotidien lui posait la question, qu’il répondait avoir eu l’idée, eh bien, à des kilomètres de là, au moins deux en tout cas, moi aussi j’ai eu l’idée.

Même que je l’ai eue avant lui. Le vice-président du comité exécutif, Michel Prescott, dit avoir pensé loger des sans-logis dans des édifices saisis par les banques, présentement inoccupés, après le deuxième squat éclair organisé le week-end dernier, rue Valois, dans Hochelaga-Maisonneuve. L’Association pour la défense des droits sociaux (ADDS), les squatters, voulait alors démontrer qu’un autre immeuble vide du quartier, propriété d’une institution financière saisissante, était habitable. Quelques jours plus tôt, ils avaient investi un immeuble semblable sur une rue voisine, un quintuplex, lui aussi désespérément vide dans une ville désespérément pleine. Moi, c’est après ce premier raid que le flash m’est venu.

Anyways, peu importe qui a eu quoi avant l’un ou l’autre, ce qui compte, c’est que l’idée ait suffisamment fait son chemin jusqu’au numéro trois de la Ville de Montréal pour qu’elle y soit défendue. Quand Michel Prescott confirme vouloir rencontrer les banques et caisses pop propriétaires de ces reprises de finance, c’est du sérieux. Et cela prouve une fois de plus que, contrairement à ce qu’affirment les porteurs de la bonne parole, à gauche comme à droite, il n’y a pas de solution magique à la crise locative. Chaque détail, chaque proposition originale peut apporter sa pierre à l’édifice à logements.

Et tout ça grâce à quoi? Ou à qui, plutôt? À un groupe d’individus que M. Prescott, dont la feuille de route des appuis aux squatteurs était pourtant bien garnie jusque-là, qualifiait à mots couverts de voyous. La question était claire, lors du premier squat d’il y a deux semaines, quand l’ADDS – dont les représentants, il faut le dire, n’ont ni la bonhomie, ni la politesse, ni les lunettes de François Saillant du FRAPRU – avait pris d’assaut un immeuble d’une manière pas très légale. Qu’est-ce qu’on fait? "C’est une affaire de police", avait répondu M. Prescott.

Il y a un an pourtant, dans une autre canicule, et dans un autre rôle et un autre squat, celui de l’îlot Overdale, M. Prescott avait été d’une grande promptitude à embrasser la cause des squatteurs et leur message, même si celui-ci pouvait se résumer à "Mort aux capitalistes" et "Détruisons le système". Mais c’était des jeunes, ils étaient beaux avec leurs cheveux rouges et leurs squeegees à la boutonnière.

Cette fois-ci, un des porte-parole avait l’air d’un portier de bar de danseuses invalide, vivant de sa seule petite rente de la justement bien nommée Régie des rentes. D’apparence moins sympathique, faque on va laisser faire la police.

Mais cette stratégie du raid, qui rappelle le blitzkrieg mis au point par les Allemands pendant la guerre civile espagnole, en générale de la grande première de 1939 chez les Sudètes, a porté ses fruits. On attaque à la vitesse de l’éclair, sans s’annoncer, dans le but avoué de surprendre l’ennemi à l’heure du repas, juste au moment où il a la bouche pleine de bortsch. Ou de blé d’Inde. Résultat: la nouvelle frappe en plein front. Deux attaques, deux immeubles vides, deux fois plus habitables que certaines résidences privées de p’tits vieux, et deux fois détenus par des banques. En deux semaines.

Et quand les porte-parole de l’ADDS posent la question "Il y en a combien de ces immeubles?", la réponse est inévitable: ce serait une maudite bonne idée de le savoir. Il y aurait 400 immeubles à logements saisis par les banques. Mais combien sont inoccupés? Et combien d’appartements abritent-ils, combien sont habitables, et combien ne font pas l’objet d’une contestation juridique? On ne le sait pas.

Parce qu’après tout, s’il y a 0,6 % de logements inoccupés à Montréal, c’est qu’il y en a encore, des logements inoccupés. Sur près d’un demi-million de logements (472 000 pour être précis), ça veut dire, après une règle de trois bien réglée, qu’il y a au moins 2800 unités d’habitation locative de libres. Bon nombre de ces logements ne sont pas sur le marché, soit parce qu’ils font l’objet de reprises de finance, soit pour des raisons qu’on ignore. Et il serait étonnant qu’il ne s’agisse que de trous à rats. En général, les rats à qui ils appartiennent trouvent toujours à les louer à quelques simples d’esprit ou immigrants trop fraîchement débarqués pour se rendre compte qu’ils se font escroquer par des rats.

Forcément, sur le lot, certains doivent bien être en mesure de loger quelques dizaines de familles sur le presque millier de personnes réfugiées chez les parents, les amis ou dans les gymnases d’écoles.

Bref, tout ce verbiage pour vous dire que, parfois, il faut plus que des lectures de poésie pacifiste pour chercher à atteindre une mondialisation humaniste. Il faut parfois des claques dans la figure pour réveiller les autorités… et les journalistes.