"Ça y est! Ja! Je l’ai! Ich got it!" s’écria Konrad Broutelschtroumpf, épuisé mais radieux derrière le bureau de son laboratoire de Kouildebarouett en Bavière du Nord.
Konrad aurait bien crié "Eurêkaaa", mais nous étions en 42, l’Allemagne nazie occupait la Grèce et la célèbre expression d’Archimède aurait pu paraître suspecte aux oreilles indiscrètes de la police secrète qui le surveillait constamment.
Fils de pasteur luthérien tuberculeux, Konrad ne nourrissait que peu d’intérêt pour autre chose que ses remarquables recherches sur la liquéfaction et la compression des gaz, travaux qui l’avaient d’ailleurs mené au sommet de l’élite de son pays.
Mais les plus grands honneurs et l’argent n’y faisaient rien, Konrad poursuivait inlassablement sa quête. Il rêvait de réussir un jour à compresser, dans un contenant pratique, des parfums que l’on pourrait vaporiser selon l’humeur. Nostalgique des étés de son enfance passés près de la mer Caspienne à pêcher le gros, il avait une préférence pour les effluves de l’esturgeon gris qu’il rêvait de répandre sur le corps laiteux de sa charmante épouse, Guertrud, avant de la prendre comme une bête, ivre de ses odeurs, dans la position de la barouette chinoise…
Découverte majeure vers le succès, aujourd’hui Konrad avait compris que les gaz de type CFC permettaient de propulser aisément des liquides dans l’air. Mais la tournure de la guerre devait ruiner ses ambitions.
Et lorsqu’en mars 44 les Américains trouvèrent, intacts, les plans du vaporisateur dans les décombres de son laboratoire, Konrad, impotent et mentalement affecté par le départ de sa femme pour le Kibboutz Golda Meir, avait tellement perdu goût à la vie qu’il ne daigna même pas détourner les yeux de sa fétide soupe au chou. Tout comme il ignora ensuite sciemment que, depuis ce jour de juillet 69 où les astronautes d’Apollo 11 emmenèrent avec eux une bombonne de Raid extra fort sur la Lune (on sait jamais), les Pam, Ventolin, Flecto, Barbasol, Florian, Evian, Bon Ami et autres Alberto VO5 allaient changer la face du monde…
"Ostie! J’en peux plus! Elles me bouffent tout cru!" s’exclama Gaston le Nonorignal du fond de sa forêt québécoise.
Un été très humide ayant succédé à un printemps anormalement pluvieux, la forêt boréale, cette saison-là, pullulait de tant de mouches noires et d’immondes frappe-à-bord que même Gaston le Nonorignal, rompu à la vie rude et à la solitude des grands espaces sauvages, était au bord de la crise de nerfs. Son grand corps de cervidé le démangeait de partout et il se sentait presque défaillir à la pensée de tout ce sang concédé goutte à goutte aux terribles insectes des bois.
N’en pouvant plus, il se résolut, malgré le risque, à chercher refuge sur la route où les bebites ne le suivraient pas. La 204 dans le bout de Saint-Clotaire est peu fréquentée, se dit-il, et, de toute manière, j’ai amplement le temps de voir venir… parce que…
Gaston n’eut pas le temps de finir de ruminer sa phrase…
BANG!
Quelque chose le frappa de travers, le sciant littéralement en deux. Avant de mourir, il eut tout juste le temps d’entendre un cri.
Il y eut trois victimes: deux jeunes hommes du coin et un vieil orignal pouilleux.
L’enquête conclut que la cause principale de cette collision était la chaleur extrême qui, favorisant la multiplication des insectes, poussait les orignaux hors des bois.
Elle ne dit pas quelle était la cause de ce dérèglement de la température.
Ne dit pas qu’il était causé par la détérioration de la couche d’ozone et l’effet de serre (… de serre comme dans Charles Tyserre).
Ne précisa pas que la détérioration de la couche d’ozone était due à l’usage abusif des polluants et particulièrement des gaz CFC.
Il n’y eut que quelques hurluberlus pour considérer que ces deux morts, en attendant les grands feux de forêt, étaient les premières victimes canadiennes connues du réchauffement de la planète.
Et il n’y eut que quelques rêveurs pour songer à la tombée de la nuit que Konrad Broutelschtroumpf n’avait probablement jamais visité Kyoto et encore moins rencontré un orignal durant sa triste et singulière existence. Mais peut-être était-ce finalement préférable, car outre sa culpabilité d’avoir créé le mal, la vue de l’animal lui aurait immanquablement rappelé sa compagne infidèle et, à 107 ans, raviver ce terrible chagrin aurait pu l’achever.