Société

Bye bye boss

"Je demande à être jugé sur la part que représente ce que je gagne par rapport à ce que je fais gagner aux actionnaires." La phrase est de Jean-Marie Messier, ex-patron de Vivendi Universal, énorme conglomérat vendant de l’eau aux Français et du divertissement au reste de la planète.

C’est par cette équation salaire/profit que Messier, comme la majorité des très grands patrons du monde industrialisé, justifiait les sept millions de dollars qu’il gagnait chaque année. Par sa capacité à développer l’entreprise et à créer de juteux dividendes pour les actionnaires. Au mérite donc.

Et pourquoi pas.

Malheureusement, ces arguments ne tiennent pas puisque pendant les quatre années de son règne, les actions de Vivendi Universal ont plongé spectaculairement alors que son salaire allait en montant.

Il aura fallu une dévaluation de 300 % de l’action ordinaire pour que les frères Bronfman, actionnaires majoritaires désormais réduits au rôle de simples millionnaires après les pertes de Vivendi, le congédient.

Dans la foulée de ce congédiement amplement médiatisé, quelques études statistiques viennent confirmer l’incongruité de l’inflation salariale inaugurée par Messier. L’Oréal, Danone, Tyco, General Electric, les salaires des patrons qui ont cru de 535 % dans la dernière décennie ne suivent pas les penchants de la Bourse et leur performances sont loin du mérite. Sur 40 directeurs d’entreprise gagnant plus de deux millions de dollars annuellement, près des deux tiers ont fait plonger le chiffre d’affaires de leur entreprise dans les trois dernières années.

Même s’il ne s’est pas assuré une retraite à vie de 375 000 $ par année comme le patron de Webvan – qui a mis son entreprise en faillite en 18 mois -, pour le chômeur Messier, jusqu’à présent les choses se passent bien. Même si des soupçons pèsent sur Universal Vivendi, la chute des profits n’est pas – pour l’instant – attribuée à la découverte de manipulations de chiffres qui pourraient lui valoir la prison.

Car ces patrons cupides qui exigeaient l’abolition des plafonds salariaux au profit du seul mérite n’ont pas voulu que leur paye soit affectée par les complexes lois du marché et les événements internationaux.

Pour prévoir l’impondérable, ils ont bidouillé des règles comptables permettant d’afficher bilans et profits bidons, histoire de conserver salaires, commissions et de manipuler la valeur des actions.

Car en leur consentant le privilège d’acquérir en priorité, à titre de salaire, des dizaines de milliers d’actions des entreprises qu’ils dirigent, les conseils d’administration ont littéralement invité les patrons à manipuler le marché, à spéculer sur la valeur de leurs entreprises et à trahir en compagnie de quelques firmes de vérificateurs complices des secrets d’initiés.

La lasse politique qui cherche à les punir pour rassurer des milliers de petits épargnants et de travailleurs partiellement rémunérés en actions, qui constituent la voûte du système, n’a guère de crédibilité puisque les bas de laine des Bush, Cheney, Blair, Chirac et cie se sont souvent tricotés par l’accès aux mêmes privilèges de la part de ces grands contributeurs aux partis que sont les géants de l’économie mondiale.

Anecdote: nous avons reçu cette semaine le courrier d’un authentique membre du parti communiste canadien (eh oui! il en reste) qui se réjouit des ratés d’un système qui n’a plus d’ennemi que lui-même. Le monsieur voit dans ces avatars les prémices d’un effondrement du capital selon Marx. Autant penser qu’un jour l’instinct et le désir disparaîtront de l’âme humaine au profit (sic) de l’altruisme…

Les ouvrages sur l’histoire des guerres nous racontent tous la même histoire de bruit et de fureur. On voudrait croire qu’en des circonstances où la vie humaine est en jeu sont propices la stratégie, l’organisation, la réflexion. On constate vite que ce sont plutôt instincts, caprices, humeurs et jalousie qui y ont causé la perte de milliers de vies.

Il en va de même des affaires. La part occupée par la réflexion y est souvent supplantée en haut niveau par l’orgueil et l’instinct. Ce qui explique que l’on prête des milliards à une shop de peddlers comme Téléglobe ou que la Caisse de dépôt qui, sous Bernard Landry, s’est inventé une mission politique faute de mission sociale, ait pu permettre à Quebecor de faire un tel bordel de Vidéotron.

Le Nouvel Observateur rapportait cette anecdote: dans les années 70, l’économiste John Kenneth Galbraith s’est demandé ce qui poussait les grands patrons à exiger des augmentations de salaire de 100 000 $, sachant pertinemment qu’après impôt il n’en resterait presque rien.

Après avoir interrogé des dizaines de chefs d’entreprise, il s’est aperçu que c’est la symbolique qui comptait pour eux: ils jouaient à qui aurait le plus gros salaire avant impôt. Comme des enfants jouent à qui pisse le plus loin.