![Droit de cité : Vacances vertes](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/09/13314_1;1920x768.jpg)
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Droit de cité : Vacances vertes
Éric Grenier
C’est connu, au Québec, n’importe quoi est touristique. Il suffit d’acheter une adhésion à une association touristique régionale (ATR), et vous voilà une attraction majeure, où accourront Québécois comme Japonais.
Alors, pour éviter de vous retrouver dans un Rigolfeur à Laval, comme on vous le suggère dans les guides touristiques officiels des ATR, je vous propose un petit guide de vacances inusité, des destinations qui ne figurent nulle part, malgré leur valeur culturelle, historique et naturelle inestimable. L’objectif: éveiller en vous la petite fibre environnementale qui ne vibre pas beaucoup, dans un pays où, pourtant, le seul vrai classique, le seul vrai monument, c’est la nature. Une nature en danger.
Rivières en péril
La rivière Rupert est inconnue du Québécois moyen. Il s’agit pourtant d’un des cours d’eau les plus importants du pays, tant sur le plan hydrographique qu’historique. C’est par cette voie que Radisson et Des Groseilliers ont ouvert le Grand Nord. Elle draine le lac Mistassini, le plus grand du Québec, jusqu’à la baie James.
Fleuve majestueux par ses eaux vives, qui disparaîtra d’ici quelques années, à la faveur d’un détournement majeur au profit des centrales de la Baie-James. Imaginez si le Colorado était asséché dans le Grand Canyon… C’est un peu à ce niveau que se situe l’outrage qu’Hydro-Québec, le gouvernement québécois et les Cris s’apprêtent à lui faire subir.
On fait grand cas de ces humains qui ont été les premiers: premier à atteindre le sommet, premier à fouler cette île… Mais dans ce cas-ci, vous avez le privilège d’être parmi les derniers humains à naviguer sur cette rivière, avant qu’elle ne coule à sec. Cependant, cette occasion de passer à l’Histoire n’est pas donnée: entre 1500 et 2000 $ par personne, pour une excursion guidée d’une petite semaine.
Pour moins que cela, vous pouvez canoter en compagnie de guides d’autres rivières patrimoniales. Elles sont des dizaines à être menacées par l’intérêt incompréhensible du gouvernement pour les petites centrales hydroélectriques privées qui, tout au plus, suffiront à peine à alimenter quelques ampoules. Il y a la Lièvre, notamment, dont une section sauvage et inaccessible, faite de canyons et de rapides, pourrait être noyée sous un réservoir. Il y a la Batiscan, la Gatineau, la Manitou, sur la Côte-Nord, et bien d’autres encore. Donc, pour être parmi les derniers humains à voir certaines sections d’eaux vives qui ont jadis fait frémir Champlain et Radisson, consultez le site de la Fédération de canot-camping (www.canot-kayak.qc.ca).
La route Hertel-Des Cantons
Toujours dans le voyage électrisant, faites plutôt la route Hertel-Des Cantons, ce parcours qui va de Saint-Césaire, sur la Rive-Sud, jusque dans les vallons du Haut-Saint-François, au nord-est de Sherbrooke. Hertel-Des Cantons, c’est cette ligne électrique imposée aux citoyens et au paysage contre le gros bon sens. Un pèlerinage qui n’a pas la sérénité de celui de Compostelle. Au contraire, c’est un parcours chargé de violence politique, de mépris, de mensonges. Cette ligne, construite en toute illégalité, est un monument à la turpitude d’un État inquisiteur, cachottier et avilissant. Mais aussi un monument à la gloire d’un groupe de citoyens qui ont fait le job des partis d’opposition, du ministère de l’Environnement et de la presse.
Un trajet de 150 km à travers de rares paysages bucoliques, à jamais défigurés pour quoi, au fond? Presque cinq ans après l’urgence de l’après-verglas de 1998, l’alibi en or qu’Hydro-Québec avait enfin trouvé pour ériger ce qu’il n’arrivait pas à imposer depuis 20 ans, il n’y a toujours pas un seul watt qui passe par ce rideau de fer. Il y avait pourtant urgence…
Visitez un chantier de bois
On se souvient de la commotion provoquée par le documentaire-pamphlet de Richard Desjardins et Robert Monderie, L’Erreur boréale. Depuis, les compagnies forestières sont en mode relations publiques. Dans cette foulée, elles vous invitent à visiter des chantiers forestiers, modèles il va sans dire, où elles font valoir leur conscience environnementale et sociale.
L’occasion est belle pour éprouver le discours appris par coeur du guide-accompagnateur. Demandez-lui comment il se fait que, malgré toutes les précautions prétendues des forestiers et du ministère des Ressources naturelles pour assurer la pérennité de la forêt, des régions comme la Gaspésie n’ont plus de forêts dignes de ce nom qui puissent être exploitées. Les compagnies forestières consultent-elles les autres usagers de la forêt – chasseurs, pêcheurs, Amérindiens, amateurs de plein air, pourvoiries – avant de raser 70 % d’un territoire grand comme Laval? Si oui, comment se fait-il que ces derniers se plaignent que leur avis ne compte pas? Et quel est l’impact sur les écosystèmes aquatiques et terrestres? Pourquoi coupe-t-on toujours plus depuis la sortie du film de Monderie et Desjardins, même si aucune preuve ne garantit que la forêt, elle, produit davantage?
Mais aussi, à l’inverse, cette visite vous permettra de constater qu’il n’est pas mal, en soi, de couper les arbres. C’est la manière qui compte. La coupe peut avoir un effet bénéfique sur les écosystèmes: une forêt coupée qui se régénère est 100 fois plus peuplée d’animaux qu’une forêt vieillie. Et vous serez enfin capable de faire la différence entre une épinette et un sapin.
Bonnes vacances!