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Les Simpsons à Montréal : Le péril jaune
Toute la joyeuse bande des Simpsons débarque à Montréal dans le cadre du Festival Juste pour rire. TIM LONG et IAN MAXTONE-GRAHAM, coproducteurs exécutifs et scripteurs, ont accepté de répondre à nos questions sur ce phénomène télévisuel. The Simpsons: grosse farce ou savante critique sociale?
Tommy Chouinard
Photo : 2002 Twentieth Century Fox Film Corporation
"Oh, Marge… Les dessins animés n’ont absolument aucune signification profonde", soupire Homer Simpson en lisant religieusement le Reading Digest (sic).
"Ce ne sont que des dessins stupides qui font rire le monde à bon marché!" lance-t-il avant de perdre toute dignité et crédibilité lorsque ses pantalons laissent entrevoir la craque de son postérieur…
Après 13 saisons à l’antenne, le dessin animé The Simpsons, avec son sens aiguisé de l’autodérision et de la satire sociale, prouve bien le contraire de cette fameuse réplique. Par elle, les scripteurs de l’émission répondent tout simplement à leurs détracteurs… Eat my shorts!
Car l’affirmation ne correspond pas à la réalité. Les aventures de cette famille dysfonctionelle du 742 Evergreen Terrace à Springfield sont maintenant diffusées dans plus de 60 pays et suivies par plus de 60 millions de personnes chaque semaine. Près de 300 épisodes mettant en vedette Homer, Marge, Bart, Lisa et Maggie ont été diffusés jusqu’à maintenant, qui ont valu à leurs artisans une dizaine de trophées Emmy. Time Magazine l’a même sacré meilleur show de télévision du siècle au tournant de l’an 2000! Dans un sondage rendu public en début d’année, la famille Simpson (qui a sa propre étoile sur Hollywood Boulevard!) était trois fois plus populaire que la famille royale auprès des jeunes Britanniques. Quel show peut se targuer d’avoir une telle influence?
"Nous avons de la difficulté à nous en rendre compte nous-mêmes, surtout quand on pense que nos réunions se résument à faire des blagues trop salaces pour les passer en ondes! Et dire qu’on gagne notre vie en faisant ça!" En conférence téléphonique, Tim Long et Ian Maxtone-Graham, fans de longue date de Mad Magazine et de la bande de National Lampoon, mais surtout coproducteurs exécutifs et scripteurs pour The Simpsons, répondent un peu aux questions comme le ferait Bart: en blaguant. Les réponses se transforment presque systématiquement en farces ou en références sur le Québec… Histoire de satisfaire leurs fans, les deux artisans du dessin animé se trouvent actuellement dans la Métropole (tout comme le créateur Matt Groening) afin de présenter le spectacle Les Simpsons en chair et en os à la Place des Arts, les 19 et 20 juillet. Succès monstre à Londres et au Festival d’Édimbourg, le show prend la forme d’une lecture en direct des péripéties des Simpsons par les comédiens qui prêtent leur voix aux personnages, notamment Dan Castellaneta (Homer, Krusty, Barney).
Critique politique
Créé en 1987 dans le cadre du Tracey Ullman Show par Matt Groening qui trouvait "la télévision trop stupide" (dixit une entrevue au magazine Wired), The Simpsons, le rendez-vous hebdomadaire du réseau Fox depuis 1989, a catapulté son créateur au rang de superstar, lui qui s’est toujours assimilé à la contre-culture. L’homme de 48 ans est paradoxalement devenu un dessinateur célèbre (sa bande dessinée Life in Hell est maintenant publiée dans 250 journaux dans le monde), un éditeur à succès (Bongo Comics: des dizaines de livres basés principalement sur les Simpsons) et un producteur prolifique (il a lancé une nouvelle émission en 1999, Futurama).
Ajoutez à cela une véritable machine qui génère des millions de dollars de profits grâce à une pléiade de produits dérivés, que reste-t-il du côté "contre-culturel" si cher à Groening? "O.K., le marketing d’un show ne peut être mieux organisé que celui des Simpsons, reconnaît Maxtone-Graham. Par contre, je pense que le contenu du show est très contre-culturel."
Un exemple? "On se fout de l’autorité et du décorum. Policiers, politiciens, directeurs, curés, chefs d’entreprise: nous voulons les montrer comme ils sont dans la vraie vie, c’est-à-dire stupides et avides de pouvoir. Je pense que c’est sain d’apprendre aux jeunes que ceux qui sont en position d’autorité ne sont pas tous des dieux, qu’il y a des gens qui abusent. Notre message, c’est que les autorités morales n’ont pas toujours l’intérêt de la population en tête. C’est ainsi qu’on forme, je crois, un public critique. Pour nous, un public sceptique est un public en santé", poursuit Maxtone-Graham en se défendant bien de rendre les gens désillusionnés de la politique. "Les politiciens parviennent très bien à le faire tout seuls!" lance-t-il.
Cette attitude subversive s’exprime même envers leurs patrons. "Nous n’hésitons pas à mordre la main qui nous nourrit, c’est-à-dire le réseau Fox, reconnaît Long. On s’en moque souvent. Mais grâce à la popularité et au style de l’émission, on peut se permettre beaucoup de choses." Est-ce que Fox, réseau contrôlé par le magnat Rupert Murdoch, a déjà imposé des limites? "Nous sommes totalement libres, répond Maxtone-Graham. Par contre, je me souviens d’un épisode où Marge disait à quel point NBC était un réseau de télévision merveilleux et que les shows y étaient très intéressants. Les patrons de Fox n’étaient pas contents…"
"Nous avons eu aussi des petits problèmes cette année parce que, dans un épisode, Homer est devenu… dépendant de la marijuana, ajoute Tim Long. Personne n’avait jamais fumé un joint en ondes, et comme on désirait critiquer la politique antidrogue des États-Unis, on voulait briser la glace… C’est sûr que cela n’a pas plu énormément à Fox, mais ils n’ont pas trop rouspété. Après tout, ils savent que nous sommes des génies!"
Franchement plus progressistes que conservateurs, les artisans des Simpsons écorchent sans hésiter la droite américaine, "pour faire avancer les choses socialement", estiment les deux scripteurs. De la politique antidrogue au lobby pro-armes, en passant par la peine de mort et la répression contre la délinquance juvénile: ils servent des critiques en règle à tout ce qui est cher aux conservateurs… ce qui ne manque pas de faire sursauter ces derniers… "Les familles américaines devraient aspirer à être un peu plus comme les Waltons (famille traditionnelle et conservatrice des années 30) et un peu moins comme les Simpsons", a affirmé George Bush alors qu’il était défait par Bill Clinton lors des élections présidentielles de 1992.
Malgré les critiques, ceux-ci persistent et signent. Mais les événements du 11 septembre n’atténuent-ils pas leur célèbre ironie à l’égard du patriotisme américain? "Un épisode durant lequel on voit le World Trade Center a été retiré des ondes pour une certaine période de temps, affirme Ian Maxtone-Graham, auteur de cet épisode. Autrement, nous ne cessons pas tellement nos critiques." À l’automne, Krusty le clown se présentera même à la présidence, fier candidat des Républicains.
Médias junkies
The Simpsons fascinent non seulement les téléspectateurs, mais aussi les intellectuels américains. Deux bouquins ont récemment été publiés au sujet des Simpsons. Dans The Gospel According to The Simpsons: The Spiritual Life of the Most Animated Family, l’auteur Mark I. Pinsky analyse la présence de la religion dans l’émission. Dans The Simpsons and Philosophy: The D’oh! of Homer, William Irwin fait des parallèles entre le marxisme et le mode de vie de certains personnages, Lisa et l’anti-intellectualisme américain, Marge et la moralité, tout en comparant Bart avec Nietzsche et Homer avec Aristote…
"Wow! C’est un peu fou… mais je pense tout de même qu’on peut aller loin tout en étant drôle, car l’humour est une arme puissante, croit Ian Maxtone-Graham. Notre force est d’ailleurs de satisfaire tout le monde avec des situations cocasses, des références culturelles et des critiques politiques. Le meilleur épisode des Simpsons est celui qui se situe à plusieurs niveaux."
Et comment déniche-t-on les idées? "Nous lisons des vieux numéros du magazine québécois Croc. C’est actuellement notre principale source d’inspiration (rires)." "Personnellement, renchérit Ian, je préfère les numéros des années 70 de MacLean’s (rires). C’est une bonne source d’humour."
Peut-être ces lectures particulières ont-elles inspiré Tim Long, Canadien d’origine, pour l’écriture d’un épisode diffusé en février dernier où la famille Simpson se rend à Toronto et durant lequel tous les clichés sur le Canada y passent. "Les Américains aiment bien le Canada mais ils ne savent pratiquement rien à son sujet, estime L0ng. Je me suis donc amusé en leur montrant ce que c’était!"
Et Montréal, alors? "Je ne sais pas, répond Tim Long. J’aimerais bien faire plus d’épisodes avec du contenu canadien. Tiens, j’aimerais en faire un sur Mario Dumont et l’Action démocratique du Québec!"
Faudrait faire vite, car selon l’aveu même de Matt Groening au magazine Hour, l’émission est plus près de la fin que du début… "Honnêtement, j’espère que la fin ne viendra jamais, car je n’ai absolument aucune autre compétence", avoue Long en rigolant. Ces deux coproducteurs, qui avouent ressembler à Homer avec le côté espiègle de Bart, admettent aussi que les Simpsons, c’est un peu toute leur vie pour le moment (comme pour Matt Groening d’ailleurs, dont le père et le fils se prénomment Homer: vous voyez le genre!). La preuve: ils n’ont ni femme ni enfants, faute de temps… "Par contre, lance Ian en conclusion, j’ai bien l’intention de remédier à la situation lors de ma visite à Montréal." Ay, caramba!