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Jane Goodall : Dame Nature
Après plus de 40 années consacrées à l’étude des singes et à la défense de l’environnement, JANE GOODALL est sans aucun doute l’une des militantes les plus respectées dans le monde. À quelques semaines du Sommet de Johannesburg sur le développement durable où elle doit jouer un rôle de premier plan, Voir vous propose une entrevue avec cette femme fascinante.
Isabelle Porter
Disons-le quand même, la dame peut traumatiser les non-initiés. Il faut la voir, du haut de ses 60 quelques années, entonner le cri du chimpanzé dans ses conférences, racontant ensuite comment la guenon Flo lui a servi de modèle comme mère et comment sa fille Fifi a une belle personnalité! "Je pense que les gens n’ont pas encore compris à quel point est mince la frontière qui sépare les êtres humains des animaux. À quel point les animaux ont des sentiments, des âmes. Les gens n’ont pas compris à quel point le monde naturel se détruit rapidement alors que nous en avons tant besoin pour notre développement spirituel et psychologique", nous a-t-elle expliqué de l’aéroport de Heathrow, où elle s’envolait vers l’Afrique.
Les autres
C’est connu, les chimpanzés sont nos plus proches parents avec un pool génétique à 96 % identique au nôtre. Mais de là à les traiter comme des personnes… La communauté scientifique a longtemps grincé des dents face aux travaux de cette autodidacte que le professeur Louis Leakey avait envoyée en Tanzanie sur un coup de tête en 1960. Mais aujourd’hui, l’approche Goodall est un modèle en anthropologie. En vivant parmi les singes pendant des années, la jeune Anglaise a découvert que les hommes n’étaient pas les seuls êtres vivants à confectionner des outils puisque les chimpanzés se fabriquent des tiges spéciales pour chasser les termites. Elle a aussi vu se manifester chez eux des traits de caractère humains comme la jalousie, l’attachement, la honte.
Ses livres se lisent comme des romans, avec cette seule différence que les personnages sont des chimpanzés: pouvoir, sexe, jalousie, fraternité et guerre de clans, tous les ingrédients du feuilleton y passent. Et l’approche a prouvé son efficacité, comme en témoignent les succès des In the Shadow of Man (1971) ou Through a Window (1990). Au fil de la lecture, même le sceptique finit par adopter le regard de Goodall, à reconnaître sur les photos les traits de Passion, Goblin ou Frodo et à les concevoir comme des êtres. Il arrive même qu’un regard attrapé sur un cliché nous déstabilise… On se demande ce qui se passe derrière. Et de prendre en pitié ces chimpanzés utilisés comme cobayes dans des grands laboratoires…
Le mythe
Au-delà de l’oeuvre, la vie de Jane Goodall a fait l’objet d’un véritable mythe que la principale intéressée à su bien utiliser pour pousser ses idées. "Je suis née avec l’amour de la nature. J’ai toujours trouvé là une grande force spirituelle. C’était particulièrement fort quand j’étais seule dans la forêt pendant des semaines, ce qui n’est pas surprenant au fond parce que je vivais alors à un rythme complètement différent. Je suis née avec ce sentiment vis-à-vis de la nature sauf qu’avec le temps j’ai appris à mieux l’exprimer. J’ai pu m’en rapprocher quand j’étais dans la forêt à penser. Au plus fond de moi, je suis aujourd’hui plus sûre de cette connexion avec la nature."
Nombreux sont les gens à se rappeler ces photographies des années 1960: une jeune fille blonde au visage angélique assise parmi les singes, l’air sérieux et calme. La belle et les bêtes. Il y avait quelque chose comme une loi de la jungle renversée dans son histoire d’amour avec Hugo Van Lawick, ce photographe du National Geographic venu l’observer sur place. Cette fois, ce n’était pas Tarzan, mais Jane qui se faisait découvrir en pleine jungle. Dans l’imagerie populaire, Goodall est aussi parfois associée ou confondue avec une de ses collègues de l’époque, Dian Fossey, assassinée en 1985 par des braconniers alors qu’elle étudiait les gorilles au Rwanda. On se rappelle le film Gorillas in the Mist avec Sigourney Weaver, qui relatait cette tragique histoire avec brio trois ans plus tard.
La cause
D’une certaine façon, la lutte que mène aujourd’hui Jane Goodall pourrait permettre de venger des gens comme Dian Fossey. On estime qu’il reste moins de 150 000 chimpanzés dans le monde aujourd’hui par rapport au million du début du siècle dernier. Même scénario pour les gorilles, les éléphants… "J’espère sincèrement que nous arriverons à contrôler le trafic de viande de singes et d’autres animaux menacés. C’est très important. En deuxième lieu, je pense que même si nous travaillons très fort pour sauver les chimpanzés, ça ne servira à rien si en même temps on n’éduque pas les jeunes à en prendre soin, à devenir de meilleurs intendants que nous", a-t-elle répondu lorsque nous lui avons demandé la chose qu’elle tenait le plus à accomplir dans l’avenir.
Par le biais des Instituts Jane Goodall, fondés il y a 25 ans, la dame a notamment créé un programme d’éducation pour les jeunes, le Roots & Shoots, qui déborde les questions d’environnement. On y a organisé par exemple des forums de rencontres entre jeunes Arabes et Américains pure laine à la suite du 11 septembre avec un certain succès, semble-t-il. C’est dans ce même esprit d’éducation que Jane Goodall s’est impliquée dans la préparation du nouveau film IMAX Jane Goodall’s Wild Chimpanzees, qui relate son expérience à Gombe. Lancé en Ontario au début de l’été, le film a nécessité pas moins de sept années de travail. "Je pense que c’est un film fabuleux. Il donne un très bon portrait de ce que sont les chimpanzés. Certains ont 30 pieds de haut, c’est extraordinaire! Et moi aussi!" lance-t-elle en riant.
Mais tout de même, il n’y aurait pas des problèmes plus urgents à régler en Afrique que ceux des chimpanzés? "C’est triste, mais au fur et à mesure que l’environnement est détruit et que les ressources naturelles disparaissent, les conditions de vie des gens se détériorent. Ma réponse, c’est que toutes ces choses sont interreliées. D’ailleurs, nous appliquons ce principe dans notre travail. Par exemple, tout en essayant de protéger les forêts menacées de l’Afrique, nous travaillons à améliorer les conditions de vie des gens qui y vivent. Dans le cadre de ce que nous faisons au parc national de Gombe, ce sont les villageois qui deviennent les propriétaires du programme. Rien à voir avec ces programmes où les Blancs débarquent en disant "nous sommes désolés pour vous, voilà ce que nous allons faire pour vous…" Ça n’a rien à voir!"
La politique
En plus de ses séjours à Gombe, Jane Goodall se promène un peu partout pour faire avancer la cause sur le terrain politique. En avril, elle se joignait à une dizaine de personnalités (Jimmy Carter, Mikhail Gorbatchev, John Glenn…) pour enjoindre au président Bush de ratifier le protocole de Kyoto. Trois semaines plus tard, Kofi Annam la nommait messagère de la paix, lui demandant peu de temps après de le conseiller pour la préparation du Sommet sur le développement durable qui doit se tenir à Johannesburg en septembre.
À l’écouter donner sa version des enjeux, on ne peut que se dire que le secrétaire général de l’ONU a fait un choix judicieux: "En Afrique, vous avez des gouvernements qui vendent des concessions de forêt pour faire de l’argent avec le bois d’oeuvre. C’est la même chose au Canada et aux États-Unis sauf qu’en Afrique, c’est très difficile à contrôler à cause du manque d’infrastructures et de ressources financières. Soit vous avez des gens qui meurent de faim et détruisent l’environnement pour obtenir de l’argent, soit vous avez des gens qui veulent faire de l’argent tout simplement. C’est la pauvreté ou le règne de l’appât du gain."
Avec les recherches sur le sida, la protection des chimpanzés est vraiment au carrefour des débats qui animent l’Afrique. Des chercheurs viennent en effet de découvrir que le VIH nous vient des chimpanzés, lesquels auraient réussi dans le passé à s’adapter au virus. Déjà surutilisés dans le domaine de la recherche médicale, nos cousins sauvages se montrent à nouveau indispensables, d’où les débats actuels sur les égards qui leur sont dus. Pendant que Jane Goodall cache dans des orphelinats nouveau genre les chimpanzés de la contrebande, le monde scientifique préférerait souvent les garder dans des laboratoires pour sauver l’Afrique du sida ou encore de l’ebola… Bref, on n’a pas fini d’en entendre parler.
Ce dont Jane Goodall semble être bien consciente. Aussi délaisse-t-elle volontiers la discussion politique pour prêcher foi et espoir en nous-mêmes. "Il y a une dernière chose que je voudrais dire. Face aux problèmes mondiaux, les gens sont déprimés, ils perdent l’espoir et ça devient désespérant! Le message est que chacun de nous fait une différence et que si les gens pouvaient développer une meilleure relation avec les animaux et l’environnement, cela pourrait faire une énorme différence. Surtout pour ceux qui ont un pouvoir d’achat et la capacité de changer le comportement des compagnies. Nous vivons dans une société de consommation et si on ne les achète pas, certains produits ne seront tout simplement plus fabriqués. (…) Vous savez, les gens me demandent où je trouve l’énergie pour passer 300 jours par année sur la route. J’y arrive parce que je crois que j’ai une mission, un message que je veux donner aux gens. Et j’y arrive justement grâce aux gens extraordinaires que je rencontre." Qui a déjà rencontré Jane Goodall sait sûrement de quoi elle parle…