Rivières d'argent, de Michel Gaulthier : Faire barrage aux barrages
Société

Rivières d’argent, de Michel Gaulthier : Faire barrage aux barrages

Dans son documentaire Rivières d’argent, le cinéaste MICHEL GAULTHIER s’en prend au projet de construction de petites centrales hydroélectriques sur plusieurs rivières du Québec. Un projet au profit de promoteurs privés, mais au détriment de l’environnement. Entrevue.

Dans un proche avenir, une dizaine de rivières du Québec pourraient bien perdre leur charme naturel au profit de projets hydroélectriques. C’est que le gouvernement québécois a consenti, en mai dernier, à céder en location à des promoteurs privés quelque 14 sites sur 11 rivières où pourront être construites des mini-centrales hydroélectriques.

Le cinéaste Michel Gauthier, lui, veut sauver ces rivières, comme la Batiscan en Mauricie, avant que ne débutent les constructions et que le tout ne se transforme comme entre 1990 et 1994, lorsque le gouvernement Bourassa a permis la construction de 57 petites centrales privées… Photographe de plateau depuis 17 ans, Gauthier a décidé de réaliser un premier documentaire sur le sujet, intitulé Rivières d’argent, afin de dénoncer ce qu’il appelle un "saccage" qui a cours au Québec depuis un peu plus de 10 ans. Dans ce film, des promoteurs privés s’expliquent, des citoyens s’opposent, le gouvernement (et surtout le ministre des Ressources naturelles François Gendron) minimise l’affaire, les artistes adoptent symboliquement des rivières, les défenseurs de l’environnement s’époumonent. Bref, un débat fort intéressant.

Le film du réalisateur de 43 ans, qui lui a demandé trois années de recherches et de tournage, a été présenté en première le 16 juillet dernier sur RDI, mais sera rediffusé dans sa version intégrale d’une cinquantaine de minutes à l’émission Zone libre de Radio-Canada le 2 août à 21 h. Michel Gauthier a bien voulu répondre à nos questions…

Votre documentaire s’inscrit dans la lignée des films sur l’environnement comme L’Erreur boréale et Bacon, le film. Avez-vous l’impression que le Québec dilapide son patrimoine naturel et que les citoyens commencent à peine à se réveiller?
Oui, la même chose se passe avec les rivières et les forêts. Le gouvernement est en train de dilapider notre patrimoine écologique au profit de quelques promoteurs privés. Mon but, c’est de sensibiliser la population du Québec; pas seulement les Montréalais, mais les populations locales aussi, celles-là qui vont voir ces projets se réaliser dans leurs rivières. Je veux que mon film éveille les consciences et parvienne à changer les mentalités. Bref, je veux qu’on oublie cette idée de production privée d’hydroélectricité au Québec!

Pourtant, le gouvernement et les promoteurs privés (Boralex et Innergex, entre autres) estiment que ces mini-centrales favorisent le développement régional…
D’accord, il y a des problèmes économiques en région. Le gouvernement propose alors comme moyen de s’en sortir de construire des petites centrales hydroélectriques. Il dit aux MRC qu’elles peuvent investir jusqu’à 49 % dans la construction des petites centrales pour en tirer 49 % des profits au bout du compte. L’autre 51 % est donné au producteur privé. Le gouvernement dit qu’il crée de l’activité économique en région, mais une bonne partie de l’argent va au privé et retourne… à Montréal. D’après moi, et on l’a demandé à des économistes de l’UQAM, 70 % de cet argent revient à Montréal, c’est-à-dire la part du producteur, des constructeurs d’équipements, des spécialistes requis qui ne viennent pas de la région. Tout ce qu’il y a en région, ce sont les bétonneurs, les camionneurs, les patates frites, les hôtels. Ça me dépasse, ce développement économique régional: tout revient à Montréal!

C’est plutôt du développement électoral pour le PQ. Je pense que le gouvernement est complètement perdu.

Le week-end dernier, vous vous êtes justement rendu au Lac-Saint-Jean afin de présenter votre film. Quel a été l’accueil de la population?
Je suis allé à Saint-André-du-Lac-Saint-Jean, une communauté de 500 personnes, où la rivière Métabetchouane est visée par un promoteur. C’était une projection-test assez éloquente, merci.

Quand je suis arrivé là-bas, quatre gros gars m’attendaient et m’ont dit: "Tu ne viendras pas de Montréal pour nous dire quoi faire à Saint-André!" Ils voulaient me faire peur: ils étaient du bord du promoteur…

Dans la salle, 75 personnes ont regardé le film et posé ensuite des questions. Par exemple, certains se demandaient comment faire entendre leur opposition. Le BAPE, pour toute centrale de 5 MW ou plus, fait des audiences sur l’environnement ouvertes à tous. Sinon, pour une centrale de moins de 5 MW, comme celle de Saint-André, il est pratiquement impossible de se faire entendre comme citoyen! Il n’y a même pas d’audiences! Les gens ont commencé à s’inquiéter.

Je leur ai expliqué que, par année, cette centrale pourrait leur rapporter… deux dollars par personne dans leur MRC! Ce n’est pas du tout payant. Alors, est-ce que ça vaut la peine de tuer le coeur de la région pour faire deux dollars par personne? Je pense qu’ils ont été sensibilisés. Ils ont été troublés par le film.

Quel impact une mini-centrale peut-elle avoir sur l’environnement?
Je ne suis pas un expert en environnement; par contre, j’ai compris que pour construire un barrage, il fallait couper la rivière en deux, changer le niveau d’eau, le monter d’au moins 8 ou 9 pieds, ramasser l’eau dans un coin pour la conduire dans une turbine qui produit l’électricité. On fait passer le débit annuel moyen d’une rivière de 25 mètres cubes à un débit appelé "écologique" de 4 mètres cubes… Comment un poisson qui vivait dans 25 mètres cubes d’eau peut-il vivre soudainement dans 4 mètres cubes? C’est ça, les normes environnementales au Québec: la limite est même passée de 12 à 4 mètres cubes au cours des dernières années! Bref, l’écosystème est bousculé. On assèche des terres, on en inonde d’autres. Ça affecte les animaux comme la végétation.

Est-ce qu’on a vraiment besoin de ces centrales?
Par rapport aux besoins énergétiques du Québec, non, on n’en a pas besoin. En ce moment, on est en surplus, et on veut encore construire de grandes centrales. Si on n’en a pas besoin, alors l’idée, c’est de vendre l’électricité aux États-Unis. Et c’est payant. C’est une question de sous: on veut faire de l’argent au détriment de l’environnement. Mais il y a autre chose à faire que des barrages avec ces rivières!

Par autre chose, vous entendez probablement le développement des équipements récréotouristiques. À l’heure actuelle, des rivières avec des chutes splendides et un site magnifique souffrent de sous-financement. Et certains gestionnaires de ces sites en viennent même à souhaiter la construction d’une centrale pour obtenir un peu d’argent. C’est dramatique…
C’est paradoxal aussi, car avec une centrale, le parc perd de son charme. Par ailleurs, il faut valoriser ces sites pour le tourisme et le plein air, ce que le gouvernement ne fait pas en ce moment. Nous avons des richesses naturelles qu’il faut valoriser, et non pas exploiter avec l’hydroélectricité.

(Interruption de l’entrevue: Michel Gauthier a un appel sur une autre ligne. "C’était la gang de Rivière-Pentecôte, entre Port-Cartier et Forestville. Je vais y faire une projection au début du mois d’août. C’est une action importante pour moi. Car les promoteurs, eux, vont voir les maires dans les régions et essayent de vendre leur petit projet. Moi, je vais y aller aussi, mais je vais vendre l’environnement.")

Vous parlez de citoyens qui s’expriment… Les Ami(e)s de la Batiscan, qui se battent pour la protection de la rivière du même nom, luttent avec acharnement, comme on le constate dans votre film. Ce n’est pas décourageant de voir que les citoyens ont peu d’écoute de la part du gouvernement?
C’est difficile pour les citoyens, car le gouvernement minimise toujours leur opposition en disant qu’ils sont peu nombreux, ce qui est faux. Par ailleurs, les citoyens ne peuvent pas déduire de leurs impôts leurs actions, alors que Boralex et Innergex peuvent déduire à 100 % toutes les démarches de lobbying qu’ils font à tous les niveaux. Les comités de citoyens doivent tout payer, organiser des spectacles, ce n’est pas facile pour eux. C’est un combat inégal.

À Trois-Pistoles, un comité de citoyens se bat depuis trois ans contre le projet d’un promoteur. Ils sont même allés devant les tribunaux. Mais ce comité n’en peut plus. En avril, la direction du ministère de l’Environnement de la section Rimouski a donné le permis pour construire le barrage, comme s’il n’y avait jamais eu d’opposition, comme si 1300 personnes n’avaient pas signé de pétition. Le gouvernement a accordé le permis quand même! C’est ridicule.

Avez-vous reçu des échos du gouvernement au sujet de votre film?
On a eu un appel de l’attaché de presse de Rita Dionne-Marsolais (ministre déléguée à l’Énergie). Elle s’interrogeait sur le film, elle voulait savoir si c’était une autre Erreur boréale. Je pense que les politiciens sentent monter l’opposition…