Société

Courrier des lecteurs

Reçu d’un lecteur, ce commentaire:

"Quelqu’un pourrait-il m’expliquer par quelle ignorance crasse de l’histoire (…) par quelle odieuse indifférence au crime, des édiles, des élus, ont-ils laissé s’installer l’impensable et l’intolérable: un boulevard Pie XII à Sainte-Foy! Un criminel de guerre! À quand un boulevard Himmler? Une école Milosevic… un CLSC Goebbels?

Cher lecteur,

Si l’histoire s’encombrait systématiquement de considérations morales, il ne resterait plus que des chiffres et des lettres pour nommer les avenues et les places publiques du monde entier. Mais il n’y a que dans les ex-pays de l’Est que l’on déboulonne les statues et débaptise les villes à tous vents en effaçant des photos les camarades en disgrâce.

Des milliers de baby-boomers quinquagénaires ont eu bien du mal à comprendre ce qu’une statue de Duplessis venait faire sur la façade de l’édifice de l’Assemblée nationale. Des dizaines d’anciens combattants souillaient annuellement la statue de Charles de Gaulle sous prétexte qu’il n’avait participé à aucune guerre. Et pour un solide nationaliste québécois, la toponymie colonialiste du Québec, avec ses Durham, Moncton, Maguire, Fraser, Holland, frise probablement l’inacceptable. Le monument de Wolfe qui, comme celui dédié à Margaret Thatcher, perdit la tête dans les années 70 a-t-il sa place devant le Musée du Québec? Question de point de vue? Était-il héros, pillard, voleur ou conquérant? Quel héros d’hier sera le monstre de demain? Ronald Reagan qui mena l’Amérique au bord du conflit nucléaire est un dieu pour 200 millions d’Américains. Quel Churchill s’élève au coin de la Grande Allée et de la rue d’Auteuil? Le défenseur de la démocratie européenne ou le colonialiste qui considérait que les pays arabes, dont l’Égypte, devaient faire partie intégrante des colonies de l’Angleterre?

Mais vous faites ici sans doute référence au célèbre silence de l’Église devant l’holocauste tel que Amen, le film de Costa-Gavras, le raconte ces temps-ci. Faut-il rappeler que durant ces années noires, juste avant 39, et peu après, l’Occident, tout entier obsédé par la lutte au communisme, toléra la montée des extrémismes. Jusqu’à ce que la mécanique de guerre se déclenche.

On sait maintenant que Pie XII, devant l’intention avouée d’Hitler de "fermer et d’abattre les églises et de liquider le Vatican", suivit prudemment les orientations de l’Église d’Allemagne dont les évêques effrayés avaient exhorté les fidèles à obéir au nouveau régime

Mais la liste de tous ceux qui, ne serait-ce que par leur silence, méritaient la chaise électrique ferait péter les fusibles de LG2.

Parmi eux:

Theodore Roosevelt et son état-major qui jugèrent en 1942 qu’il n’était pas dans les priorités des alliés de bombarder les alentours d’Auschwitz.

Les services d’immigration américains qui récupérèrent pour espionnage ou recherche scientifique d’anciens nazis dont les inventeurs du programme Apollo, Arthur Rudolph et Gerhart Strenghold, qui testaient des températures extrêmes sur les prisonniers des camps de concentration.

Louis Aragon, le bon poète, communiste féroce qui cautionna les crimes de Staline jusqu’à sa mort.

Johann Strauss, le compositeur de valses viennoises, qui adorait diriger l’orchestre devant des parterres bondés de nazis dansants.

Herbert von Karajan, chef d’orchestre très apprécié d’Hitler.

Leni Riefenstahl, cinéaste préférée d’Hitler, qui réalisa des films propagandistes, mais s’acharne à le nier au nom de l’expression artistique.

L’ambassadeur de Grande-Bretagne Neville Henderson, qui était un fervent admirateur de Hermann Goering tout comme Joseph Kennedy admirait Hitler.

La BBC, média officiel anglais qui refusa par cinq fois de recevoir Churchill et Lloyd George en entrevue parce qu’ils étaient anti-nazis.

La police de la France occupée qui ramassa pour déportation 20 000 enfants juifs alors que les Allemands ne l’avaient même pas demandé.

La population française qui a toléré 600 000 internements dans des camps en France entre 39 et 44.

Etc., etc., etc.

Aussi appréciera-t-on cette manie bien québécoise de baptiser les rues des nouveaux développements de la région de noms d’arbres et de fleurs. Rue des Lilas, des Érables, des Saules, des Peupliers. C’est bien peu original et un peu déprimant, mais les végétaux au moins ne font pas de victimes.

Quoique dans le roman d’Alexandre Dumas, la dame aux camélias meurt asphyxiée par les vapeurs de la fleur…