![La commandite de la Fierté gaie : No logo?](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/09/13403_1;1920x768.jpg)
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La commandite de la Fierté gaie : No logo?
Le monde corporatif s’associe comme jamais aux célébrations de la Fierté gaie. La cause y perd-elle de son sens au profit de campagnes de marketing et de visibilité? Aux États-Unis, un mouvement dénonce une certaine commercialisation de la cause gaie. Assiste-t-on à une récupération du privé, à une simple opération de séduction ou à l’avancement réel de la cause des homosexuels?
Luc Boulanger
Dans le programme des célébrations de la Fierté gaie et lesbienne, le magasin La Baie célèbre la diversité avec une publicité montrant cinq travestis en liesse! Molson Dry "affiche ses couleurs" avec une cannette de cinq litres de bière surnommée "Queen size". De son côté, Schick annonce que ses rasoirs Xtreme 3 sont recommandés par quatre travestis sur cinq!!!
Le Défilé de la Fierté gaie ne fait désormais plus peur au monde corporatif, pourtant réputé conservateur. Bien sûr, on est encore loin du Festival de Jazz ou de Juste pour rire, qui comptent plusieurs lucratifs commanditaires. Mais de nos jours, sans tomber dans le politiquement correct, les entreprises aiment bien prouver qu’elles sont gay-friendly.
Pour sa dixième édition, qui se tient actuellement à Montréal jusqu’au 4 août, Divers/Cité se pare de prestigieux logos. Outre Molson, La Baie et Schick, on retrouve aussi dans la liste de ses partenaires officiels: Coke, Air Canada, TQS, CKOI, Loto-Québec (avec le Casino de Montréal), entre autres. Avec des retombées économiques touristiques évaluées à près de 40 millions de dollars (selon une étude réalisée par CROP à l’été 2000) et avec le pouvoir de l’argent rose des jeunes professionnels célibataires, on comprend pourquoi tant d’entrepreneurs hétérosexuels courtisent la communauté homosexuelle.
"Les corporations majeures ne voient plus une association avec nous comme un risque mais comme un bénéfice, explique Paul Girard, responsable de la commandite à Divers/Cité. Cependant, il reste du travail à faire. L’événement demeure sous-estimé par rapport à sa valeur réelle. Et la commandite ne représente pas la moitié de notre budget. Plus de 50 pour cent de l’aide financière provient des diverses subventions gouvernementales."
Les temps changent, donc. Mais à qui rapporte vraiment la commandite de la Fierté gaie? Aux gais et lesbiennes, qui seront ainsi mieux acceptés dans notre société, ou aux lois du marché? D’abord un mouvement communautaire et militant, dans les années 70-80, la Gay Pride s’est rapidement transformée en industrie de divertissement culturel. Cet été, environ 120 villes à travers le monde, d’Albuquerque au Nouveau-Mexique à Zurich en Suisse, organisent des rassemblements de la Fierté qui attirent, selon la taille de la ville, entre 30 000 et un million de personnes. Une visibilité enviable pour n’importe qui faisant preuve du moindre sens du marketing.
Une cause ou un marché?
Or, cette commercialisation ne fait pas le bonheur de tous. Avant la fête, les chars allégoriques et les shows, la Fierté, c’est d’abord avant tout une cause sociale: celle de l’acceptation et de l’épanouissement d’hommes et de femmes ayant une orientation sexuelle différente de la majorité.
Aux États-Unis, depuis quatre ans, un groupe de militants mécontents de la sponsorisation organisent une marche parallèle baptisée Gay Shame. "Quand j’assiste aux marches de la Fierté, je n’ai pas l’impression que les revendications sociales et politiques de ma communauté sont prises en considération", affirmait l’avocat new-yorkais Dean Spade dans l’édition de juin du magazine Mother Jones. "Les émeutes de Stonewall (qui ont lancé le mouvement de la Fierté, en 1969) ont sauvé ma vie et celle de bien des gais. Coca-Cola ou Absolute Vodka n’ont rien fait pour améliorer ma qualité de vie…", ajoutait, dans le même article, Deeg Gold, responsable de la campagne Crash the Parade à San Francisco.
À Barcelone, des militants espagnols ont perturbé le défilé l’an dernier avec des paniers d’épicerie: "Nous ne sommes pas à vendre!" protestaient-ils au milieu des chars tapissés des logos des sponsors. À Stockholm, en Suède, un mouvement s’oppose aussi au commerce de la Fierté. La Gay Pride a-t-elle vendu son âme aux marchands du village global?
"À ma connaissance, il n’existe aucun mouvement du genre au Québec, avance Yves Lafontaine, rédacteur en chef du magazine Fugues, fidèle commanditaire de Divers/Cité. La réalité est différente. Aux États-Unis, il y a encore des grosses compagnies qui ont des politiques discriminatoires envers leurs employés homosexuels. Certains ne peuvent pas faire profiter leur conjoint des mêmes avantages sociaux que les employés hétérosexuels. Il est donc important que les organisateurs américains scrutent bien les profils des entreprises commanditaires. Au Québec, la loi 32 interdit ce genre de discrimination."
Si la société québécoise est plus tolérante, et que Bernard Landry ou Mario Dumont sont plus ouverts que le premier ministre albertain Ralph Klein, toutes les batailles ne sont pas gagnées pour autant. Et quand Molson Dry célèbre la Fierté en distribuant 150 000 drapeaux avec son logo lors de la parade, elle vise le consommateur de bière, pas le citoyen qui lutte pour le mariage gai. "C’est un choix social, mais surtout d’affaires, reconnaît Paul Girard. Une compagnie est sollicitée pour bien des causes. Elle peut donner à des enfants qui meurent de faim en Afrique."
"La question est de savoir si nous vivons dans une société qui peut se passer de la commandite, estime Yves Lafontaine. Et la réponse est non. Les corporations sont visibles partout: dans les écoles, les hôpitaux… Alors croire qu’un événement qui offre des spectacles gratuits à des centaines de milliers de personnes puisse s’en passer, c’est carrément utopique."
Reste que la question de la récupération commerciale de la Fierté gaie demeure pertinente.
Par exemple, le réseau TQS, qui télédiffusera la parade pour la quatrième année consécutive, est bien fier de s’associer à cette cause qui gonfle ses cotes d’écoute (environ 600 000 téléspectateurs) au beau milieu de l’été, saison morte en télé. Mais la direction de TQS accepterait-elle qu’un de ses chefs d’antenne affiche publiquement son homosexualité? Pas si sûr.
Selon Lafontaine, les organisateurs de Divers/Cité sont conscients que l’omniprésence de la commandite risque de devenir un problème dans l’avenir. Ils tiennent à ce que la Semaine de la Fierté soit plus qu’une fête. Ils présentent aussi des débats, des conférences, un gala (les prix Arc-en-ciel, récompensant des gens pour leur contribution à l’avancement de la cause), et une journée communautaire (le 3 août) regroupant une centaine d’organismes.
Reste à savoir si leurs voix pèseront autant que celles des commanditaires…