![Le sida chez les autochtones : Péril en la nation](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/09/13468_1;1920x768.jpg)
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Le sida chez les autochtones : Péril en la nation
Alors que personne n’en parle, on commence à peine à s’interroger sur la problématique du sida dans les communautés autochtones. Pourtant, cette dernière ne cesse de s’aggraver. Analyse de la situation.
"Le sida chez les autochtones est une véritable bombe à retardement!" L’affirmation de Guylaine Chastroux, coordonnatrice technique VIH/sida de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL), est sans appel. "Si rien ne se passe, on pourrait atteindre dans les communautés autochtones des taux d’infection faramineux", prévient la jeune femme.
Loin d’être épargnés par le virus du sida, les Inuits et les Premières Nations sont en première ligne. Selon les données fournies par Jennifer Geduld, chef de l’unité de surveillance du VIH/sida à Santé Canada, un autochtone est contaminé chaque jour. "En 1999, on estimait que 370 autochtones avaient été nouvellement infectés par le VIH et que 2740 vivaient avec le virus. Au cours de l’année 2000, ce sont 410 cas de sida et 497 tests positifs au dépistage qui ont été rapportés." En 2000, près de 1 % des autochtones canadiens étaient touchés par le virus. En outre, la proportion des cas d’infection chez les moins de 30 ans, chez les femmes ou chez les utilisateurs de drogues injectables était supérieure à celle des populations non autochtones. Une nouvelle réalité, largement ignorée, est donc apparue: si l’épidémie du SIDA se stabilise dans l’ensemble de la population canadienne, elle continue en revanche de faire des ravages chez les communautés autochtones.
Pour Guylaine Chastroux, l’absence de campagnes de prévention spécifiques est la principale cause de cet accroissement. "Il y a un manque évident d’information sur le VIH, qui a longtemps été perçu dans les communautés autochtones comme une maladie d’homme blanc et gai. Elles ne se sentaient donc pas concernées. Depuis le début de l’épidémie, toutes les campagnes de prévention s’adressaient à la population générale ou à certains groupes cibles mais jamais directement aux autochtones, qui ne se reconnaissaient pas dans les messages véhiculés", déplore-t-elle. C’est pour changer de cap que la CSSSPNQL a mis au point une série de messages de prévention bilingues conçus par des autochtones et diffusés cet été sur les ondes des stations de radio des communautés des Premières Nations et des Inuits. Pour la première fois, une campagne tient compte de leur spécificité culturelle. Car, par exemple, l’éloignement géographique a longtemps constitué, dans l’imaginaire des autochtones, une protection efficace contre la transmission du virus. Mais c’était oublier que les déplacements fréquents entre les villes et les communautés font partie intégrante de leur mode de vie. Pour preuve, aujourd’hui, même les communautés les plus éloignées sont touchées par la maladie.
Dépister
Cette vie en marge, éloignée de tout, se révèle néfaste à la prévention. "La question du dépistage est problématique dans la mesure où nous avons affaire à un petit milieu, souligne madame Chastroux. Il n’est pas facile d’aller se faire dépister au centre de santé, surtout si l’infirmière est votre propre cousine…" Les malades préfèrent donc ignorer leur état de santé et la transmission peut continuer comme si de rien n’était.
L’homosexualité, première cause de contamination chez les hommes autochtones, est également un sujet tabou. Marcelle Gros-Louis, représentante en santé communautaire à Wendake, travaille auprès des jeunes homosexuels et elle est chaque jour confrontée à cette réalité. "Il y a beaucoup d’homophobie au sein des communautés. Très souvent, les homosexuels vont préférer se cacher ou même quitter la communauté plutôt que d’être confrontés à une situation de rejet." La travailleuse sociale ne compte plus les cas de bannissement familial qu’elle a rencontrés. "Avant, on parlait de >bispiritualité>. On considérait que ces personnes avaient deux esprits dans leur corps – celui d’un homme et celui d’une femme -, et elles devenaient souvent chamans. Aujourd’hui, la société a évolué et les familles tendent à rejeter leurs enfants, qu’elles considèrent comme déviants."
En réfutant l’homosexualité, les communautés autochtones favorisent encore davantage la propagation du virus: Santé Canada considère que 49,4 % des cas de sida répertoriés chez les hommes autochtones sont attribuables à des rapports sexuels avec des personnes de même sexe.
Chez les femmes, l’utilisation des drogues injectables représente le principal mode de contamination. "Au 31 décembre 2000, 93 cas de sida avaient été déclarés chez les femmes autochtones, parmi lesquels 64,7 % étaient liés à l’utilisation de drogues injectables", précise Santé Canada. Guylaine Chastroux rappelle à ce titre que "la situation socioéconomique très difficile des autochtones les rend particulièrement vulnérables à l’abus d’alcool et aux drogues". Résultat: le nombre de cas de sida liés à l’utilisation de drogues injectables a augmenté de façon significative, passant de 2 % avant 1991 à 15 % au cours de la période allant de 1991 à 1995, puis à 34 % au cours de la période s’étalant de 1996 à 2000.
Vivre avec la maladie
Malheureusement, plus qu’ailleurs, avouer sa maladie dans une communauté revient à ouvrir une boîte de Pandore. Selon une étude commanditée par le Centre d’amitié autochtone de Montréal, "en raison des multiples stigmates associés au VIH et au sida, à la fois au sein des collectivités autochtones et non autochtones, la plupart des autochtones vivant avec le virus préfèrent demeurer invisibles, silencieux et anonymes. Ils ne chercheront pas à obtenir des soins, du soutien et des traitements après le diagnostic, mais le feront à un stade avancé de la maladie".
Harvey M., 41 ans, installé à Montréal depuis 1980, vit avec le virus depuis huit ans. Pour lui, l’impact du sida est de plus en plus important car il n’existe justement pas de système spécifique pour les autochtones. "Nous pouvons être diagnostiqués comme vivant avec la maladie, mais de là à nous soigner, il y a un monde. Les communautés sont marginalisées et nous n’utilisons pas les accès aux services médicaux offerts. Comment voulez-vous faire, quand vous habitez à 2000 km de Montréal et qu’il faut chaque mois faire venir des médicaments dont le seul transport coûte une fortune et dont l’envoi attisera la curiosité?" Les personnes séropositives ne sont donc prises en charge qu’une fois qu’elles ne peuvent plus s’assumer seules et qu’il est trop tard.
Pour faire évoluer les choses, il faudrait en parler. "L’ignorance fait que le sujet reste difficile à aborder, souligne Harvey. Quand il s’agit de faire de la prévention et d’expliquer la nécessité de l’utilisation du préservatif, les aînés sont encore persuadés que nous incitons les jeunes à faire l’amour."
Toutefois, si la discrimination est étendue, il existe des exceptions, comme dans la communauté micmac de Listuguj. Patricia G., une aînée représentante en santé communautaire, raconte que la maladie de l’un des leurs a tout changé. "Il était infirmier et avait attrapé le sida parce qu’il était homosexuel. Quand il est revenu vivre ici, les gens se sont doutés que quelque chose n’allait pas. Il venait chaque jour me voir et j’ai vite compris qu’il avait le sida. Au début, j’ai eu peur, comme tout le monde. Et puis je me suis informée. Finalement, petit à petit, il s’est réintégré dans notre communauté et il est mort très entouré. Mais c’est exceptionnel parce que la plupart du temps, la peur des gens est une barrière infranchissable."
Il ne reste donc plus qu’à espérer que la campagne "Le VIH/sida ne fait aucune discrimination", chargée de sensibiliser la population autochtone du Québec à cette question et mise au point par le Cercle de l’Espoir, Stratégie des Premières Nations et des Inuits du Québec contre le VIH et le sida, va porter ses fruits. Et surtout que les gouvernements canadien et québécois, qui ont conscience de cette réalité depuis plusieurs années, déploieront enfin les efforts financiers nécessaires à la lutte.