Société

Droit de cité : Du squat au square

Après des semaines, voire cinq ou six, d’expériences scientifiques sur les cobayes du square Viger, les municipaux, les communautaires, les sociaux, et les policiers n’ont pu éradiquer une fois pour toutes ni l’itinérance, ni la pauvreté, et ni la drogue. Le projet-pilote de tolérance des sans-abri et squatteurs au square Viger s’est même terminé par la mort d’un homme, assassiné à coups de barre de fer.

On aurait espéré plus de résultats de leur part, et pour cette raison, nous nous joignons à la voix de l’opposition à l’Hôtel de Ville et de la plupart des éditorialistes pour estampiller d’un gros E toute tolérance à l’égard des marginaux qui couchent dans les parcs après 23 h, comme ç’a été le cas pour ce qu’on a appelé le squat du carré Viger. C’est même un encouragement au gangstérisme, s’est inquiété l’éditorialiste du Devoir, la semaine dernière. C’est dire, même très, très dire.

Il faut tout remettre entre les mains de la police, comme dans le bon vieux temps des blocs des Foufs et de la place Pasteur devant l’UQAM, deux points de ralliement jadis prisés des bigarrés, où en deux coups de matraque à pot, on faisait maison nette à faire pâlir d’envie madame Blancheville. Un peu à la manière des exterminateurs de cafards, qui, après quelques vaporisations bien senties au demi-sous-sol, vous éparpillent à la grandeur de l’immeuble les sales bestioles. Et tant pis pour les entomologistes qui voyaient en l’agglutination de toutes les bibittes à un même endroit une conjoncture idéale pour l’étude de l’espèce. Faut cesser de chercher à les comprendre, ces jeunes-là, c’est des coups de pied au derrière dont ils ont besoin.

Bref, quand l’autorité consensuelle ne marche plus, on passe alors à l’autoritarisme.

Parce que la police sait, elle, comment négocier avec les itinérants. Jean-Pierre Lizotte en connaît quelques détails, comme sa mort. S’il est trépas, c’est que la police a fait son boulot. En tout cas, l’acquittement du constable Giovanni Stante il y a quelques semaines, sur des accusations d’homicide, nous dit à peu près cela.

Et grand Dieu, rasez-moi ça, cette manière de parc du square Viger: un labyrinthe de béton avec ses recoins cachottiers, au milieu d’un no man’s land d’autoroutes et de culs de gratte-ciel. On me dirait qu’il a été spécialement conçu pour favoriser toute activité illicite aux moeurs douteuses, que j’y croirais illico.

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Il n’y a plus de problèmes. Il n’y a que des problématiques. Or, la problématique, c’est une énigme théorique dans une situation donnée théorique, que des théoriciens solutionnent en théorie, à l’aide de théories élaborées théoriquement par d’autres théoriciens. Pour en venir à bout, il faut donc faire avant tout un postulat, puis ériger un système dans lequel différentes hypothèses seront éprouvées à l’aide d’une méthode établie selon des règles et des normes édictées par un comité d’experts en théorie.

Alors, quand un jeune punk dit aimer à en mourir la vie de la rue, entre deux injections de smack, faut pas s’étonner que les autorités théoriques se perdent en conjectures. "De quessé?" Ça ne fitte dans aucun de leurs paradigmes.

Alors, comme elles n’ont pas été en mesure de gérer un petit groupe d’individus de rien du tout, elles vont plutôt s’attaquer comme société à l’ensemble de la problématique de la pauvreté. Un pique-nique.

Ce n’est pas avec ces discours marxoïdes des années 70 qu’on viendra à bout de la culture de la rue et des anarchistes qui se l’approprient. Ces jeunes ne sont ni victimes du système, ni du laxisme des gouvernements néolibéraux. Ils sont juste.

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Parmi tous ceux qui sont à la rue, on retrouve des badluckés, nés sous une très, très mauvaise étoile, qui même dans la société la plus égalitariste, trouveraient le moyen, bien malgré eux, de tomber au fond du baril. Il y a aussi les victimes de l’économie, les oubliés du système et les malades mentaux, qu’il fallait bien sûr sortir des asiles, mais pas les lâcher lousses dans la jungle urbaine comme de vulgaires truites d’ensemencement. Tiens, les bisons élevés à la ferme qu’on relâche dans la nature pour repeupler les plaines de l’Ouest sont mieux "monitorés" que les psychiatrisés désinstitutionnalisés par le gouvernement.

Et il y a les jeunes de la rue, ceux qu’on réduit au dénominateur commun de punks. On croit qu’en réglant leurs problème d’itinérance, on règle tous leurs problèmes. Or, qu’il y ait des jeunes à la rue n’est pas le problème. En tout cas, pas pour eux. Mais un certain nombre de jeunes vivant dans la rue ont des problèmes, et des graves, d’hépatite, de prostitution ou de toxicomanie, généralement les trois en même temps.

Pour le reste, la présence de jeunes à la rue n’est que l’expression d’une contre-culture, comme il y a eu les hippies, les communards, et comme il y a encore les Roms. Comme il y a eu le Survenant. Sauf que les punks, contrairement aux contre-courants passés, ne proposent pas de changer le monde, ils le rejettent carrément. Ils disent en choeur: Nous n’irons pas à Disneyland.

Pour eux, vivre dans la rue, ce n’est pas bien. Ni mal. C’est juste comme ça. C’est une culture qui baigne dans l’anarchisme. Alors, quand on cherche à les sortir de là par des solutions aux relents de vieux ML, ou par la répression, faut pas s’étonner de l’échec.