![Sommet mondial du développement durable : Des verts et des pas mûrs](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/09/13592_1;1920x768.jpg)
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Sommet mondial du développement durable : Des verts et des pas mûrs
Une décennie après le Sommet de la Terre à Rio qui a fait davantage jaser que changer les choses, le Sommet mondial du développement durable, rencontre internationale sur l’environnement qui se tiendra en Afrique du Sud du 26 août au 4 septembre, en laisse plus d’un perplexe. Le biologiste et vulgarisateur scientifique CLAUDE VILLENEUVE le premier. Selon lui, au lieu d’organiser des rencontres de ce genre, il faudrait bien plus valoriser le changement de nos comportements de tous les jours. Explications.
Tommy Chouinard
Photo : Alexandre Choquette
Dix ans après le Sommet de la Terre tenu à Rio, quelque 60 000 participants d’une centaine de pays se réuniront au Sommet mondial pour le développement durable, qui se déroulera à Johannesburg en Afrique du Sud du 26 août au 4 septembre. Aussi appelée Rio + 10, cette rencontre vise à donner suite aux belles revendications lancées sous les feux de la rampe en 1992 au Brésil.
Comme l’annonce la promotion de l’événement, le Sommet permettra aux délégués présents "de se pencher sur les mesures propres à assurer le développement durable sous trois thèmes principaux": la croissance économique et l’équité, la préservation des ressources naturelles et de l’environnement, et le développement social. Le tout sera bien entendu discuté en une semaine à peine. Grosse commande.
Déjà, puisque l’expérience des sommets mondiaux est bien connue, l’issue est prévisible. Des revendications seront débattues, une résolution sera adoptée et des propositions feront l’objet de rencontres internationales ultérieures. Bref, rien de très concret. Dommage.
Le biologiste et vulgarisateur scientifique Claude Villeneuve, professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi et récipiendaire d’un prix Phénix 2002 pour sa contribution à la protection de l’environnement, ne fonde pas de grands espoirs sur cette rencontre internationale. "C’est un exercice louable, mais qui a énormément de difficultés à lever, compte tenu du peu de choses qui sont advenues après Rio où les promesses politiques ont été faites pour la galerie."
En effet, des centaines de recommandations tirées de l’Agenda 21 préparé à Rio, bien peu ont été appliquées. Des conventions élaborées à la même occasion, seule celle sur le climat a abouti pour donner naissance au protocole de Kyoto (son objectif est de diminuer de 6 % sous le niveau de 1990 les émissions de gaz à effet de serre de chaque pays signataire). Et encore, ce dernier n’a toujours pas été ratifié et signé par bien des pays, dont les États-Unis et le Canada, ce qui bloque son entrée en vigueur.
"J’aurais souhaité que le Canada ratifie le protocole avant la tenue du Sommet de Johannesburg, affirme Claude Villeneuve. Toutefois, il faut faire attention: Kyoto ne serait pas efficace, on le sait. Mais sans cet effort minimaliste, on va prendre des années de retard dans la mise au point de technologies nouvelles qui peuvent nous aider à résoudre le problème, sans compter que les comportements nouveaux sont très longs à implanter dans la population."
Si aucune ou si peu d’initiatives parviennent à leur mise en application, c’est bien plus en raison d’hésitation politique (et du lobbying qui l’alimente) que de l’absence de besoins réels et urgents. Par exemple, le 9 août dernier, le Canada a déposé aux Nations unies son rapport national en vue du Sommet de Johannesburg. Le Canada et le développement durable décrit les améliorations faites au cours des 10 dernières années (au chapitre du recyclage, entre autres) mais également les problèmes qui persistent encore et toujours, empirent même (la pollution atmosphérique, notamment). Et c’est sans compter un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement, également rendu public ce mois-ci, démontrant que la société de consommation (surconsommation d’énergie, engouement pour les produits jetables, gaspillage d’eau, etc.) au Canada et aux États-Unis mine plus que jamais l’environnement. Bref, un sommet un peu plus convaincant serait nécessaire à Johannesburg afin de lancer des actions concrètes…
"Johannesburg sera décevant pour les écologistes, juge Claude Villeneuve, car c’est le Sommet du développement durable ; il s’attaquera donc aux problèmes de développement et en particulier dans la dynamique Nord-Sud. Le sommet devrait parler plus de santé, d’éducation, de développement économique et faire très peu de progrès par rapport aux dossiers environnementaux." C’est pourquoi plusieurs groupes se tourneront vers un contre-sommet, le Forum mondial de la société civile, qui se déroulera simultanément.
De Johannesburg à Montréal
Pour Claude Villeneuve, auteur de nombreux livres dont Vivre les changements climatiques: l’effet de serre expliqué (coécrit avec François Richard), Johannesburg ne sera donc pas un si grand rendez-vous, et ce, même si ce biologiste a pourtant participé à des rencontres préparatoires en vue de ce Sommet et été consultant par le passé auprès de l’Unesco et du Programme des Nations unies pour le développement durable. Monsieur Villeneuve valorise plutôt une autre approche. "J’ai choisi de ne pas y aller parce que les efforts que je peux consacrer à l’échelle locale me semblent plus susceptibles de faire évoluer les dossiers concrètement", explique-t-il.
Par "efforts à l’échelle locale", Claude Villeneuve entend les gestes du quotidien, ceux qui ne sont pas significatifs en apparence, mais qui le sont dans les faits. Un exemple? Si chaque Québécois sauvait 300 litres d’essence par année (une affaire de quelques pleins d’essence), les objectifs du protocole de Kyoto seraient atteints!
Autre exemple: le Sommet de Johannesburg survient à l’heure du smog urbain, une menace polluante qui plane au-dessus de Montréal. Environnement Canada a même émis une alerte au smog d’une durée record, c’est-à-dire quatre jours consécutifs la semaine dernière, du jamais vu depuis 1988!
Le smog, conjonction des mots anglais smoke (fumée) et fog (brouillard), constitue une brume formée de polluants atmosphériques, dont le principal est l’ozone au sol. En été, lorsque les journées sont chaudes et ensoleillées, l’air stagnant empêche les polluants de se dissiper. Ces derniers s’accumulent et réagissent alors au rayonnement solaire, entraînant des niveaux élevés et nocifs d’ozone au ras du sol. Environ 75 % des oxydes d’azote entrant dans la composition du smog proviennent de la combustion du carburant des véhicules. Ces oxydes d’azote contribuent à d’autres problèmes atmosphériques, dont les changements climatiques et les pluies acides (en raison des gaz à effet de serre contenus dans le smog). Bref, ce nuage cause bien du trouble.
Si chacun faisait sa part, comme le veut l’expression courante, il pourrait y avoir une diminution concrète de cette obscure présence… Or, la vente de véhicules utilitaires sport, qui consomment deux fois plus d’essence et rejettent deux fois plus de gaz nocifs qu’un véhicule ordinaire, va bon train; le transport en commun n’est pas suffisamment bien planifié et, donc, utilisé; l’entretien des véhicules automobiles est défaillant de la part de leurs propriétaires, ce qui les rend encore plus polluants, etc. "Le transport est un des plus grands problèmes environnementaux au Québec", assure Claude Villeneuve.
La pollution n’est l’affaire que des méchantes industries à rejets toxiques? Faux. En partie, certes, mais il faut tous se sentir concernés, de dire Villeneuve. Les "bof, de tout façon, ça ne sert à rien; les autres ne le font pas, pourquoi moi", excuses populaires pour se donner bonne conscience, ne tiennent tout simplement plus. Le biologiste et professeur souligne que s’il faut s’assurer que des réglementations obligent les entreprises à être écologiquement responsables, il faut aussi agir dans le même sens en tant qu’individu. "Les problèmes sont causés par des multitudes de gestes en apparence insignifiants. Chaque élément de solution appliqué par des individus n’est jamais insignifiant lorsqu’on constate l’effet multiplicateur", affirme Claude Villeneuve. "Être citoyen, ce n’est pas juste mettre son bulletin dans la boîte aux quatre ans, ajoute-t-il. C’est aussi être capable de consommer de façon responsable et de contrôler son empreinte écologique (les marques qu’on laisse dans l’environnement par notre comportement)."
À défaut de faire bouger les choses au Sommet de Johannesburg, il ne reste en effet plus qu’à faire le ménage dans sa cour…
ENCADRÉ
Discours anti-écolo
Le Sommet de Johannesburg s’organise alors qu’émerge un discours divergent, très critique à l’égard des arguments des écologistes. La bible de ce discours, c’est Skeptical Environmentalist du Danois Bjorn Lomborg. Lancé l’année dernière, il a permis à son auteur de faire le tour des médias du monde entier avec ses diatribes anti-écologistes: le discours écologiste est trop alarmiste, ses prédictions sont trop apocalyptiques, le réchauffement planétaire n’a pas été démontré, le protocole de Kyoto est une grossière erreur, l’état de l’environnement s’améliore globalement… Les propos de l’auteur danois sont-ils sensés?
"Lomborg a raison de s’élever contre l’alarmisme de certains écologistes et les scénarios catastrophe, croit Claude Villeneuve. Il fait cependant à son tour des généralisations ou des extrapolations discutables (personne ne peut être compétent dans tout) et son choix de sources est quelquefois discutable. Nous différons d’opinion sur la pertinence de Kyoto; son argumentation ne tient pas compte des coûts induits par les changements climatiques, ni des avantages économiques liés au développement de nouvelles technologies qui sont actuellement ralenties par manque de marché. En bref, Lomborg a été très aimé des journalistes parce qu’il présente des positions tranchées, des conclusions lapidaires et que ça fait vendre du papier plus que des travaux scientifiques avec des incertitudes et des méthodes documentées…"