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Aljazeera : Réaction en chaîne
Avec les attentats du 11 septembre, Aljazeera, chaîne de télévision dont seuls les arabophones semblaient connaître l’existence, est apparue dans le monde occidental. Depuis, ce réseau d’informations qui offre une nouvelle vision du Proche-Orient est devenu un must.
Yasmine Berthou
Lorsque le Cheikh Hamad Ben Khalifa El Thani du Qatar a pris le pouvoir en 1996, il a surpris tout le monde en démocratisant le pays et en créant la première chaîne de télévision arabophone à la ligne éditoriale entièrement libre: Aljazeera (l’île, en arabe).
Sur ce canal d’informations, indépendance et liberté de ton sont de rigueur. La chaîne, qui diffuse 24 heures sur 24 par satellite, constitue à ce titre une véritable exception dans un monde arabe habitué aux informations censurées. "Plus que tout autre, le contexte médiatique arabe se caractérise par le conformisme et la révérence, écrit ainsi le New York Times. La plupart des grands médias sont contrôlés, directement ou indirectement, par les pouvoirs politiques qui y font régner une implacable censure. La qualité des informations diffusées (sur Aljazeera), sa liberté de ton et son irrespect à l’égard des pouvoirs établis suscitent un formidable engouement."
D’ailleurs, plus de 40 millions d’arabophones vivant dans des pays occidentaux se sont laissé séduire par la chaîne qatarie. Si celle-ci est devenue si prisée dans l’opinion publique arabe, c’est notamment grâce à sa couverture de la seconde Intifada qui tranche avec celle des télévisions étatiques arabes jugées plus consensuelles. Mais c’est également parce qu’elle ouvre largement ses micros aux dirigeants islamistes. Beaucoup d’intellectuels arabes l’accusent d’ailleurs de favoriser cette mouvance politique pour faire de l’audimat.
La plupart des 300 journalistes travaillant à Aljazeera sont des professionnels issus d’Orbit, le défunt service arabe de la BBC – l’Arabie saoudite, qui finançait Orbit, s’est retirée après que la BBC a diffusé un film critique envers le royaume.
À la source
Ayache Derradji est correspondant de la chaîne à Paris. Il a accepté de répondre à quelques questions sur les conditions de l’émergence de la "CNN du monde arabe" et sur la situation actuelle au Proche-Orient.
Les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre en Afghanistan ont, semble-t-il, permis l’émergence d’Aljazeera. Pensez-vous que la chaîne a joué un rôle essentiel dans l’information délivrée dans le monde depuis?
"Ce n’est pas le 11 septembre qui a participé à l’émergence d’Aljazeera, mais sa présence sur les lieux de conflits et sur les points chauds en Afghanistan. C’est d’ailleurs grâce à cela qu’Aljazeera a pu garantir sa place dans le monde de l’information.
Mais il faut tout de même signaler que la chaîne était connue bien avant le 11 septembre dans le monde arabe. Seuls les pays occidentaux ont découvert Aljazeera après les attentats de New York. Et il est certain que nous avons profité de notre présence en Afghanistan, où nous étions les seuls, pour couvrir avec objectivité les événements que les autres chaînes n’ont pas réussi à relater, en particulier CNN. Aljazeera a depuis toujours un correspondant en Afghanistan, ce qui facilitait les choses, et il n’était bien évidemment pas question qu’il laisse sa place aux autres télévisions une fois ce pays devenu un lieu de conflit!
La chaîne possède par ailleurs des bureaux partout dans le monde. Notamment dans des villes comme Londres et Paris, où vivent de nombreux opposants arabes auxquels nous donnons fréquemment la parole."
Lorsque les premières images de Ben Laden sont apparues sur le réseau d’informations qatari, certains n’ont pas hésité à qualifier Aljazeera de chaîne islamiste. Pensez-vous que cela soit justifié?
"Je vous pose la question autrement et sans y répondre: Pourquoi, lorsque CNN a couvert seule la deuxième du Golfe ou la guerre contre l’Irak, personne ne s’est demandé si elle était complice de Saddam Hussein? Si Aljazeera a connu le succès que l’on sait après le 11 septembre, c’est surtout grâce au talent de ses journalistes, à leur objectivité et à leur travail équilibré."
Aljazeera est la première chaîne de télévision en langue arabe à avoir joué un rôle dans la couverture d’un conflit au Proche-Orient. A-t-on tenté, à un moment ou à un autre, de manipuler ou d’interdire cette chaîne?
"Personne ne nous manipule, ni au Proche-Orient ni ailleurs! En tant que réseau d’informations, nous jouons notre rôle habituel et professionnel, pas plus, pas moins, que ce soit au Proche-Orient ou ailleurs dans le monde. Pour ce qui est des interdictions qui nous sont opposées, comme récemment en Jordanie où notre journaliste a éprouvé des difficultés pour travailler, nous subissons les mêmes contraintes que celles rencontrées par les autres chaînes de télévision qui couvrent les conflits du Proche-Orient."
Le travail d’Aljazeera est reconnu pour son indépendance et sa qualité. Dans quelle mesure la chaîne a-t-elle permis aux arabophones de se tenir informés?
"Les Arabes s’intéressent depuis toujours à la politique, mais ils rencontrent des difficultés pour s’informer à cause de leurs gouvernements. Il y a en fait un problème de fonctionnement du pouvoir et, à cause de cela, de nombreux peuples sont privés de leur liberté d’expression.
Aljazeera a cassé les tabous des médias gouvernementaux et a imposé un niveau de liberté d’expression jusqu’alors inconnu. C’est un immense pas en avant, ce d’autant que toute chaîne qui voudrait aujourd’hui émerger pour concurrencer Aljazeera devra nécessairement respecter ce niveau, faute de quoi elle sera rapidement rejetée par les téléspectateurs.
Pour ce qui est de l’indépendance, quand vous êtes indépendant, les gens vous respectent puisque vous êtes vous-même. Vous dites à la fois ce qui se passe et ce que vous pensez en osant défier toutes les pressions ou tous les obstacles. C’est justement cela qui assure le respect d’Aljazeera par les téléspectateurs arabes.
Aljazeera offre une vision plus moderne du monde arabe puisqu’elle essaie de réveiller les esprits et de pousser la réflexion vers le haut. Nous n’hésitons pas à aborder des questions ayant trait à la démocratie, la religion, la condition des femmes, le conflit israélo-palestinien…"
Vous qui avez été aux premières loges, pensez-vous que Ben Laden soit encore vivant?
"Je vois que vos questions commencent à s’éloigner d’Aljazeera… (Rire.) La vie ou la mort de Ben Laden n’a aucun lien avec la "pensée"! Mais malgré cela, je pense que la CIA doit être au courant, pas Aljazeera."
Les relations entre l’Irak et les États-Unis sont à nouveau extrêmement tendues. À tel point qu’un conflit semble pour beaucoup imminent. Quel regard porte Aljazeera sur cette situation? Va-t-elle éviter le genre de "propagande" que CNN a propagée au début des années 1990?
"Pour répondre à cette question, je vous renvoie à la direction d’Aljazeera, qui, à ma connaissance, gère le travail d’information des gens et ne se charge surtout pas d’avoir un regard sur un événement avant qu’il ne soit arrivé…
La situation actuelle n’est faite que de tensions sans incidence. Donc il faut attendre et être patient.
Pour le risque de propagande, je crois sincèrement qu’Aljazeera se tient toujours loin de cela, que ce soit en Irak ou ailleurs, et c’est cette attitude qui attire le respect."
Pour en savoir plus: www.aljazeera.net (site en langue arabe)