Société

Arabes et musulmans au Québec : L’année de l’éveil?

Le monde arabo-musulman s’est retrouvé sous les projecteurs au cours de la dernière année. Si un certain discours à son égard a été mal perçu, les derniers mois ont aussi suscité un nouvel engouement dans la population pour cet univers encore méconnu et peut-être mal compris.

Souvenez-vous, dans les minutes qui ont suivi le premier attentat, l’hypothèse du terrorisme islamiste fut rapidement soulevée et les questions ont fusé sur plusieurs tribunes: la culture arabe et la religion musulmane fomentent-elles le terrorisme? Est-ce une attaque contre le monde occidental et ses valeurs? Existe-t-il une fracture culturelle irrémédiable entre l’Islam et l’Occident? Dans ce tumulte, de nombreux citoyens d’origine arabe ou de confession musulmane ont eu l’impression de se retrouver impliqués à leur corps défendant dans ce débat sur un supposé "choc civilisationnel".

Un an plus tard, où en sommes-nous? Chose certaine, la forte poussée émotive des premiers jours aurait entraîné un certain nombre d’incidents regrettables à caractère raciste. "Dans les jours qui ont suivi, une fille de Québec m’a dit: "Es-tu de la même race que ceux qui ont fait ces attentats?" Ce genre de stéréotypes persiste encore aujourd’hui, mais dans l’ensemble la population a fait preuve de compréhension et de tolérance depuis un an", confesse Aziz Enhaili, étudiant au doctorat en science politique à l’Université Laval.

Avec le recul, deux leçons sont à tirer du 11 septembre, poursuit notre interlocuteur. "L’aspect positif fut la soif d’information et de connaissances nouvelles, surtout au cours des premiers mois après les événements. À la télévision comme à l’université ou en librairie, le monde arabe a eu la cote. Toutefois, cela n’a pas empêché des discours parallèles dans certains médias de faire en sorte de détériorer notre image en amalgamant arabe, musulman, terroriste et islamiste."

Jawad Skali, membre du collectif Parole arabe à Montréal, abonde dans le même sens. "J’ai donné beaucoup de conférences dans les mois qui ont suivi les attentats sur le monde arabe, l’Islam et sur l’émergence des mouvements islamistes. La population essaie de plus en plus de comprendre, d’aller au fond des choses. Aussi, si les thèses à propos du choc des civilisations ont eu du succès sur les lignes ouvertes à la radio, elles ont eu peu d’impact dans les milieux plus ouverts." Mais il y avait du travail à faire, continue Jawad Skali. "Quinze minutes après le premier impact, j’ai reçu un coup de téléphone d’un journaliste. J’ai alors eu un mot d’humeur et d’humour en demandant si on appelait pour vérifier si j’avais un alibi…"

"En tant que musulmans, on s’est sentis gênés surtout dans les semaines qui ont suivi. On sentait qu’on devait répondre à toutes les accusations véhiculées par les médias. Des gens m’ont même posé la question à savoir si nous, les Arabes, avions tous le meurtre dans le sang", continue Mustafa Saïm, qui travaille au laboratoire de génétique humaine au CHUL.

Faire les nuances
Dans l’analyse de Rachad Antonius, chercheur invité au Centre d’études ethniques de l’Université de Montréal (CEETUM), il importe aussi de faire preuve de discernement et de ne pas voir de l’intolérance partout. "Certains Arabes ont dit raser les murs dans la rue. Mais il est fort possible que plusieurs aient pu anticiper et ressentir davantage de ressentiment qu’il n’y en avait en réalité."

N’empêche que certaines données objectives du ministère de l’Immigration tendent à confirmer les difficultés d’intégration des gens d’origine arabe et indo-pakistanaise, qui souffriraient davantage de discrimination, surtout face au monde du travail, continue Jawad Skali. "Plusieurs Arabes ont l’impression que les stéréotypes dépréciateurs à leur endroit ont empiré au cours de l’année, mais ce n’est pas vérifiable. Je crois pour ma part que dans l’ensemble, une partie de la société s’est ouverte depuis un an alors que l’autre s’est fermée, le bilan est donc nul."

Le grand danger, selon Jawad Skali, est que, face à certaines attitudes discriminatoires réelles, la personne d’origine arabe ou musulmane en vienne à perdre tout esprit critique et qu’elle attribue tous les échecs dont elle est victime au racisme, ajoutant de fait à son isolement.

Dans les médias
Si au quotidien les réactions populaires furent dans l’ensemble assez modérées, un fort sentiment d’aliénation persiste quant à la couverture médiatique qui a suivi le 11 septembre. Pour un, Rachad Antonius estime que deux tendances ont émergé dans les médias. "Malheureusement, il y a eu la droite et des chroniqueurs de The Gazette qui ont dit que la culture musulmane est fondamentalement violente. Les autres médias écrits comme La Presse et Le Devoir ont été plus sensibles, mais ils n’ont pas dénoncé les propos des autres. Le fait que Voir se pose aujourd’hui la question et nous donne la parole est un bon signe d’ouverture."

"En général, les papiers des correspondants à l’étranger ont été assez nuancés et Radio-Canada a été très juste en donnant la parole à des gens d’opinions diverses. Mais les autres réseaux commerciaux ont été au-dessous de tout en choisissant délibérément le commentateur et l’expert n’offrant qu’une vision des choses. Les soi-disant spécialistes qu’on invitait à s’exprimer en ondes semblaient être des pros du arab bashing", explique Jawad Skali.

Si le discours politique des gouvernements fut exemplaire, les policiers ont, pour un temps, versé dans le ciblage ethnique, de l’avis de Jawad Skali. "Beaucoup de gens de la communauté ont reçu des visites, ont été questionnés et ont reçu des convocations. Il est légitime de croire que dans certains cas, les policiers allaient à la pêche."

Renouveler le dialogue
"Ce qui pose aussi problème, c’est que les Arabes ont le sentiment, à tort ou à raison, d’être mal compris et réagissent souvent avec émotion devant des questions directes ou maladroites sur le terrorisme arabe, ce qui brise le dialogue", poursuit Rachad Antonius.

Afin de faire échec aux stéréotypes encore véhiculés par plusieurs médias télévisés et souvent pris pour acquis par la population, Mustafa Saïm plaide pour des échanges directs, sans intermédiaires. "Il nous a fallu briser une certaine image projetée de nous-mêmes et de notre culture, auparavant les gens ne posaient pas beaucoup de questions et semblaient assez ignorants du monde arabe. Nos convictions religieuses ne sont pas en contradiction avec les lois de la société et nous sommes des citoyens bien intégrés."

Opinions certes partagées par Ezzedine Derbali, président du Centre culturel islamique de Québec, qui a pris l’initiative d’organiser en octobre dernier une journée portes ouvertes pour faciliter la compréhension et l’échange. "L’expérience fut couronnée de succès. Nous avons été très surpris de la réaction des gens, qui se sont montrés très curieux et sont venus nombreux de partout en région. Nous comptons ainsi répéter l’expérience cet automne."