Société

Droit de cité : Wô les moteurs

Une petite devinette pour commencer: une petite japonaise qui consomme 40 litres d’essence par mois pollue-t-elle moins qu’un 4X4 qui consomme 40 litres d’essence par mois?

Si vous avez répondu oui, c’est que vous avez été victime de l’effet du "une tonne de briques, une tonne de plumes", l’une ayant l’air plus lourde que l’autre, mais une tonne, ça reste une tonne, fut-elle en molécules de rien.

Alors, quand un chercheur du ministère des Transports du Québec (MTQ) a reconnu la semaine dernière vouloir étudier l’effet d’une taxe sur les véhicules utilitaires sport (VUS), ç’a été l’acclamation à travers toute la ville. Pas parce que le fonctionnaire a manifesté de l’intérêt pour la recherche. Vous avez applaudi en faveur de la taxe. Hormis quelques vrombissements discordants ici et là, provenant de l’industrie automobile, il y a eu une belle unanimité.

Le problème, c’est qu’avec une telle taxe, on ne réglera rien, même pas le début du commencement du bout du tuyau d’échappement d’une conscientisation verte. En entendant la suggestion, vous avez simplement opté pour la tonne de plumes…

Ce qui m’a tapé royalement sur le piston dans cette réaction, ce sont les vapeurs de morale qui en émanaient. Dans les commentaires écrits, les chroniques, les vox pop, on ne s’est à peu près pas soucié de l’effet réel d’une telle mesure. On s’est plutôt appliqué à qualifier les propriétaires de VUS. On a porté un jugement moral sur le comportement d’autrui qui, évidemment, ne se comporte pas comme nous. On taxe les mécréants, et on se dédouane pour le reste de nos choix.

Sur la route

Aux États-Unis, selon une étude du Texas Transportation Institute, les Américains parcourent 85 % plus de route pour aller au travail qu’en 1982. Le même phénomène s’observe ici. Ainsi, à l’instar des autres Américains du Nord, les Montréalais habitent de plus en plus loin en banlieue. De sorte que les municipalités qui connaissent les plus fortes expansions démographiques sont situées à 30, 40, voire 50 kilomètres du centre-ville.

Personne n’avait entendu parler de Saint-Colomban, avant qu’on apprenne en début d’année qu’elle était la ville à la croissance la plus rapide au Canada. Il y a 10 ans, Saint-Colomban, c’était une église et deux cabanes à sucre. Aujourd’hui, il y a plus de gens qui vivent là qu’à Gaspé ou Sept-Îles. Et une majorité de ces nouveaux Colombanois continuent de travailler près du centre de la région, à Laval, ou sur l’île. Seulement qu’ils parcourent cinq fois plus de route, et souvent à deux voitures, l’une pour madame, l’autre pour monsieur.

Chaque matin, ils sont près de 100 000 banlieusards de la couronne nord à brûler de l’essence pendant une heure pour venir gagner leur croûte sur l’île de Montréal, la plupart, en compactes ou sous-compactes.

Mini, mini, mini (sur l’air de Dutronc)

Au Québec, sans même de TVUS (taxe sur les véhicules utilitaires sport, expression désormais consacrée par mes collègues, depuis la semaine dernière), les voitures les plus populaires sont déjà les petites japonaises. Les sous-compactes représentent la moitié des ventes et les compactes, le tiers. Plusieurs États américains et l’Ontario ont des taxes pour les gourmands de carburant. Ce qui explique pourquoi dans ces États et provinces, les véhicules utilitaires sport sont deux fois plus vendus qu’ici… La moitié des ventes concernent les mini-fourgonnettes (qui n’a de mini que le nom), et les VUS.

Pas que les Québécois soient plus verts, ni plus vertueux, ni plus fins que les autres Nord-Américains. Ils sont juste plus pauvres. Alors, ils achètent des voitures à moins de 30 000 $, segment où l’on ne retrouve aucun VUS.

Et il existe déjà une forme indirecte de "taxation" sur ces véhicules. Ils coûtent plus cher à l’achat et en entretien (donc plus taxés), et les assurances sont considérablement plus élevées aussi: très prisés par les voleurs, et aussi plus souvent accidentés: les conducteurs de ces bagnoles les croient robustes comme des tanks. Mais personne ne sait conduire des tanks! Ce qui fait qu’un grand nombre se retrouvent hors route de façon bien involontaire. Sans compter leur plus grande consommation d’essence. Et pourtant, leur popularité ne se dément pas.

Quel que soit le niveau de cette taxe, pas sûr qu’on respirera mieux l’été prochain. À plus forte raison quand jusqu’à 70 % des polluants atmosphériques qui ont composé le smog d’il y a deux semaines provenaient peut-être de l’extérieur de la province, soit de la région des Grands Lacs.

Plus qu’une taxe sur un type de véhicule en particulier, la lutte aux gaz à effets de serre et au smog passe d’abord par l’aménagement de nos villes. Ne pas encourager l’étalement urbain, comme le fait le ministère des Transports en élargissant ici l’autoroute 15, en prolongeant là la 25, serait un début. Quand bien même qu’il n’y aurait que des Citroën deux chevaux sur les routes, si elles sont plus nombreuses et plus longtemps sur les routes, on poursuit notre empoisonnement collectif aux oxydes d’azote.