Droit de cité : Montréal 101
Société

Droit de cité : Montréal 101

Abe Limonchik, ancien conseiller municipal, dernier président du RCM avant son sabordement au profit de l’Union des citoyennes et citoyens de l’île de Montréal (le parti de Gérald Tremblay, pour dire plus simple), est décédé la semaine dernière. Limonchik était pour la communauté anglophone de Montréal un pilier de la politique et de la démocratie municipales, comme l’a été un autre, de taverne celui-là, Nick auf der Maur.

Sa disparition a d’ailleurs reçu un large écho dans les médias anglophones. Une source en Anglophonie, avec qui je m’entretenais entre deux inquiétudes sur le sort réservé aux base-balleux, m’en parlait justement. "Ah! Ça doit être dur pour sa fille", dis-je, une réflexion qui m’a valu une réplique d’étonnement: "Tu la connais?"

Macha Limonchik? Oui, bien sûr, je la voyais chaque semaine, l’hiver dernier.

Où ça? J’ai été tenté de répondre par mon fantasme, celui de connaître dans la vie, la vie la vraie, la belle Macha, dans une relation qui serait tout sauf platonique, mais j’ai opté pour la vérité.

"Ben, à la télé, c’t’affaire!" Mon interlocutrice, pourtant parfaitement bilingue, parfaitement ouverte aux francos, et parfaitement pantoise devant l’étrangeté de nos talk-shows, était ignorante du fait que la fille d’Abe était une célébrité dans le Québec français.

Comme quoi, l’oeuvre de rapprochement de la Charte de la langue française, Bill One 0 One pour nos intimes anglos, dont on célèbre le 25e anniversaire ces jours-ci, n’est pas encore terminée.

Bilan

La loi 101 aura joué avec Montréal au manipulateur de Phénix. Elle l’a brûlée, puis lui a permis de renaître de ses cendres. Car il ne faut pas se le cacher, la loi 101 aura été à la fois une source du déclin de Montréal, une longue dégénérescence démographique, économique, culturelle et d’influence – entreprise 20 ans auparavant -, puis les fondements de sa vigoureuse Renaissance, qui permettra, si d’autres circonstances sont réunies, d’en faire une ville incontournable.

Cette loi, qui a davantage le statut de Constitution du Québec nouveau que d’une simple pièce législative, a fait mal à Montréal. De manière indirecte cependant. Les quelques centaines de milliers de non-Canadiens français qui ont "fui" Montréal, en dénonçant particulièrement les lois linguistiques qu’ils percevaient comme rétrogrades, n’ont pas été poussés à la frontière à la pointe du stylo. La 401 n’a jamais eu les allures de la piste de Kigali. Ils ont quitté en pure mauvaise foi, assimilant à tort une perte de pouvoir à une perte de droits. Avec la loi 101, ce ne sont pas leurs droits fondamentaux qui ont été violés, mais leur pouvoir et leurs privilèges qui ont été mis à niveau, ramenés à un plancher un peu plus représentatif du statut minoritaire de leur culture à Montréal. Malheureusement, on ne peut pas légiférer contre la mauvaise foi…

En même temps, la loi 101 a permis, paradoxalement, de crever l’abcès, ce bouton sur la langue, qui gangrenait la paix sociale à Montréal depuis la fin des années 50. Elle a mis fin, peu à peu, à cette crise linguistique et identitaire quasi permanente. Elle a permis de trouver un équilibre des forces entre le monde anglo-saxon du reste de l’Amérique, qui avalait tout et ne laissait rien aux autres, et la majorité francophone de cette ville. Aujourd’hui, l’Amérique anglo-saxonne continue d’user ici de son influence par son poids démographique, culturel et économique à l’échelle du continent, et la loi 101 crée la réciproque localement. Une concurrence salvatrice.

Aujourd’hui, plus personne, à l’exception de quelques rednecks démagogues et les masses qu’ils ont mystifiées dans le Far West canadien, ne croit aux jérémiades d’un ridicule mortel du clown Brent Tyler, du roi du gag William Johnson, dit Pit-Bill, ou de l’incommensurable cabot Howard Galganov. Howard qui?, du reste. Ils n’ont plus aujourd’hui que l’influence des navets dans une saine alimentation. De sorte que maintenant, le choc du départ de la bourgeoisie anglo-canadienne passé, Montréal revit, en grande partie grâce à la paix sociale instituée par la loi 101.

Mais contrairement à son objectif, la loi 101 n’a pas fait de Montréal une ville française. Elle en a fait une cité réellement bilingue, un fait rare dans ce bas monde. Montréal n’est en effet devenue bilingue qu’après la loi 101.

Avant, il y avait Montreal et Montréal. Mais la législation linguistique a forcé tout un pan de la société montréalaise, qui vivait jusqu’alors adossé à la majorité francophone de la ville, à parler français, à vivre en français, sans pour autant trahir ses origines, ni s’assimiler. Grâce à la loi de Camille Laurin, jamais Anglo-Montréalais et Franco-Montréalais de toutes origines ne se sont autant côtoyés. Ce qui ne signifie pas que les fréquentations soient suffisamment nombreuses; on aurait encore avantage à se flirter un peu plus les uns les autres, mon petit exemple du début en témoigne.

Une loi qui demeure encore perfectible – personne n’aime être forcé d’épiler des pattes de mouches par des bureaucrates névrosés – mais sans laquelle Montréal aurait probablement perdu une partie de l’âme qui fait aujourd’hui sa fortune.