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Droit de cité : Police politique
Éric Grenier
Dans deux semaines, Marc-Boris St-Maurice et Alexandre Néron, deux bénévoles du Club Compassion de la rue Rachel, connaîtront le verdict dans la cause qui les oppose à la Reine. Notre bonne vieille tête couronnée, par la voix et à l’initiative de ses loyaux représentants justiciers, les accuse de possession et de trafic de stupéfiants.
Leur arrestation remonte à février 2000, au Club, cinq mois après l’ouverture très officielle et médiatisée de cet organisme qui approvisionne des malades en marijuana, pour soulager leurs douleurs ou atténuer les effets secondaires de certains médicaments, sous prescription médicale.
En août dernier, c’était au tour du Club Compassion de Toronto de faire l’objet d’une rafle policière, plus de quatre ans après son ouverture. Quatre ans de tolérance, puis soudain, c’est le crackdown.
Chaque année, plus de 30 000 Canadiens arrêtés en possession d’une petite quantité de pot sont reconnus coupables.
Pourtant, depuis plus d’une semaine, les institutions policières réfutent la possibilité de légaliser la marijuana, parce que déjà, disent-elles, on ferme les yeux sur de nombreux cas de possession simple de pot.
Alors, on l’applique ou on ne l’applique pas, la loi?
Voilà ce qui arrive quand la police, pas les policiers, ni les chefs individuellement, mais l’institution chargée de faire respecter les lois que s’est données le peuple, fait de la politique. C’est le règne de l’arbitraire. Un arbitraire confondant, avec des conséquences désastreuses, faites de discrimination, pour celui ou celle qui tombe sous les pattes d’un sbire qui s’est levé de la mauvaise botte.
Quelqu’un, quelque part, avec quelque peu d’autorité pour le faire, devrait avoir le courage de dire à l’institution policière – les associations de chefs de police et de policiers – de se la fermer, dans le débat lancé il y a deux semaines par le dépôt du rapport sénatorial sur la marijuana. Les policiers, individuellement, ont, comme n’importe quel autre citoyen, le droit à la liberté d’expression.
L’institution policière, par contre, à titre d’agent de l’État, de représentant de la loi, du rouage de la justice, devrait user d’un devoir de réserve dans les débats politiques. Il n’y a que dans les républiques de bananes, et d’ananas aussi, que la police fait de la politique. Avec les résultats que l’on connaît.
Mais depuis plus d’une semaine, les grandes organisations policières sont parties en croisade contre tout relâchement de la loi en matière de stupéfiants. Elles l’avaient dit et répété: elles allaient s’opposer activement à la légalisation ou la décriminalisation de la marijuana. Et elles tiennent promesse.
Les conférences de presse se multiplient. Encore lundi dernier, l’Association nationale de la police professionnelle, une organisation syndicale pancanadienne, exigeait de la ministre fédérale de la Santé qu’elle sursoie à toute légalisation de la marijuana.
Quelques jours plus tôt, une association représentant les autorités policières municipales canadiennes avait adopté une résolution contre la légalisation de la mari "approuvée par les commissions de police, les officiers de police et les chefs de police, qui aura pour effet de lancer un message clair aux dirigeants de notre pays". À ce rythme, on ne parle plus de commentaires intéressés, d’avis savants, ou de simple opinion, comme les autorités policières étaient tout à fait en droit de les émettre lors des audiences de la commission présidée par le sénateur Pierre-Claude Nolin, mais carrément de campagne militante. De lobbying, si vous préférez.
C’est inquiétant, puisque les changements au droit pénal réussissent mieux s’ils reçoivent l’assentiment des policiers. D’ordinaire, ça ne pose pas de problème, puisque les organisations policières n’ont pas de position politique officielle. Dans ce cas-ci, cependant, si. Qu’importe la volonté populaire, exprimée par les élus; les policiers, eux, entendent faire échec à toute légalisation de la marijuana, voire à toute décriminalisation.
S’il y avait eu le même militantisme policier lors de la décriminalisation de l’homosexualité et de l’avortement, en 1968, ou de l’abolition de la peine de mort, quelques années plus tard… le Dr Morgentaler aurait été il y a longtemps grillé sur une chaise électrique, et Mado donnerait régulièrement des shows à la prison de Bordeaux!
Et le droit à la liberté d’expression, là-dedans? En 1999, la Cour suprême avait nié aux policiers de la GRC le droit à la syndicalisation, une forme de liberté d’expression pourtant inaliénable chez les autres membres de la société. Le juge Bastarache avait conclu que le tout ou rien, en matière de droits, n’avait aucun fondement. Les nuances sont nécessaires.
À Montréal, à l’ouverture du Club Compassion, au début d’octobre 1999, le commandant André Lapointe, du module Moralité, alcool, stupéfiants et gangs de rue, avait affirmé que "ce n’est pas à nous de dire ce qui est légal ou non. Il y a des instances politiques pour ça". Plus tard, il écrivait aux clients du Club Compassion que "le Service de police de la Communauté urbaine de Montréal a comme mission première de faire respecter les lois en vigueur", pas de les interpréter. L’avertissement aurait dû viser ses camarades, pas les malades.