Serge Quesnel n’est pas de très bonne humeur. Problème d’argent. Depuis la chute des actions des télécoms, ses placements ont perdu de la valeur. La dégringolade spectaculaire du titre de Nortel lui a fait mal, des dizaines de milliers de dollars envolés. De l’argent durement gagné, à ses risques et périls…
À une époque, pas si lointaine, Frank Dunn, président de Nortel, aurait payé cash ses erreurs. Quesnel, qui ne plaisante pas avec l’argent, aurait bien pu, sous le coup de la colère, ou d’une bonne dose de PCP, lui crisser la volée de sa vie ou tuer, tout simplement, comme il l’a déjà fait à cinq reprises.
Mais maintenant qu’il est derrière les barreaux, le délateur le plus célèbre du Canada a changé de vocation. En plus d’étudier sagement et de témoigner dans des procès spectaculaires, il place son argent et publie ses mémoires à temps perdu.
Dans Testament d’un tueur des Hells, rédigé en collaboration avec Pierre Martineau, audacieux collègue de TQS Québec, Quesnel raconte des débuts de petit bandit de banlieue, une délinquance comme on en voit tant durant notre jeunesse, dans la cour d’école. Si ni les déracinements ni la famille éclatée n’expliquent ce qui pousse un enfant à entreprendre une véritable carrière de criminel, sa trajectoire ponctuée de lieux familiers, du pavillon technique de la régionale de Tilly à la prison d’Orsainville, confirme que les lieux du crime sont bien ceux que l’on croyait: clubs de danseuses, garages de façade, restos louches, bars rock et matchs de boxe.
Quand on aime le sordide, il y a visiblement pas mal de choses à savoir et d’endroits à visiter dans la paisible bourgade universitaire de l’ex-mairesse Boucher.
Telle cette adresse de la rue Sainte-Famille où Quesnel plongea une paire de ciseaux (à manche jaune orange) dans l’oeil d’une de ses connaissances afin, dit-il, d’atteindre le cerveau… Bonsoir l’ambiance!
Dans cette province où assassins et policiers regardent la télé ensemble afin d’apprécier leur look aux infos de 18 h, il y a quelques années, l’entente financière intervenue entre Serge Quesnel et la Sûreté du Québec pour ses services de délateur a soulevé la colère de citoyens. Ils ont maintenant quelques motifs supplémentaires de grincer des dents:
Lorsque Quesnel administre quelques coups de clou de six pouces à un codétenu de Donnacona surnommé Coriace, ce dernier poursuit Quesnel pour voie de fait. Lorsque Quesnel est trouvé coupable, c’est toujours Québec qui paie la facture de 55 000 $. On l’assure par ailleurs que toute poursuite ultérieure à son endroit sera prise en charge… Comme ses appels aux lignes rencontres…
J’en passe et des meilleures… Je serais la veuve ou l’orphelin d’une de ses victimes, je n’hésiterais pas plus longtemps à fouiller dans les poches de l’État.
Mais ce qui me semble le plus comique dans les révélations de Quesnel concerne les services professionnels dans le monde des criminalistes.
Au lendemain d’un autre meurtre sordide, un avocat lui aurait confié: "Dès que j’ai vu les nouvelles, j’ai su que c’était toi…" "… En riant il m’a recommandé de me rendre à nouveau sur le territoire de Ste-Foy si j’avais d’autres meurtres à commettre. D’après lui, à cet endroit les enquêteurs étaient idiots et je n’aurais pas de problème", ajoute Quesnel. D’autres, s’il faut en croire le délateur, visiblement au fait d’actes criminels inconnus des tribunaux, participent à son ascension en facilitant les prises de contact dans le crime. On le conseille littéralement sur la manière de se tirer de situations compromettantes. Et, comble du cynisme, les mêmes, lorsqu’il deviendra le délateur de ses employeurs, pourraient possiblement être en mesure de questionner sa crédibilité?
Quesnel impute même à de sombres interventions en haut lieu, dans l’appareil politique, l’interruption d’une enquête criminelle médiatisée impliquant son avocat.
Sommes-nous dans une télésérie? Ou dans le monde réel? Les frontières de la déontologie sont-elles pour quelques moutons noirs bien élastiques? Ou bien Quesnel, dont la crédibilité peut légitimement être mise en doute, recherche-t-il les dernières miettes de son profit?
La sagesse populaire dit que celui qui tient le sac est aussi coupable que celui qui vole. La règle, on l’espère encore parfois, s’applique à l’ensemble de la société.
Testament d’un tueur des Hells
par Pierre Martineau
Les Intouchables
2002, 245 pages