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Suicide assisté : À quand un vrai débat?
Le dévoilement il y a quelques semaines en Australie des Exit bags, sacs destinés aux personnes très malades pour mettre fin à leurs souffrances en s’enlevant la vie, ramène la question de l’euthanasie à l’ordre du jour. Alors que de nombreux pays comme l’Australie et le Canada condamnent sévèrement le suicide assisté, les débats sur la question ne sont pas légion. Voici les tenants et aboutissants de ce dossier.
Denoncourt Frédéric
Ainsi, celui qu’on surnomme Dr. Death en Australie, Philip Nitschke, aurait mis à la disposition des membres d’Exit, son organisation pro-euthanasie, des sacs en plastique afin de s’enlever la vie en se privant d’oxygène lentement et sans souffrances.
Or, la loi australienne prévoit une peine de prison à perpétuité pour celui qui est reconnu coupable de suicide assisté. Ainsi, le débat repart de plus belle dans ce pays où les opposants craignent les abus et voient dans les Exit bags une incitation au suicide.
Au Canada, la question revient à l’avant-scène périodiquement. Une dame de 71 ans de Colombie-Britannique risque une peine de 14 ans de prison pour avoir aidé deux femmes très souffrantes à mourir plus tôt cette année. En Angleterre, Diane Pretty, paralysée et n’ayant que quelques mois à vivre, s’est vu refuser en mars dernier par la Cour européenne des droits l’autorisation d’être assistée dans la mort par son mari.
Les sondages démontrent qu’environ 80 % des Canadiens sont d’accord pour qu’un médecin aide à mourir une personne très souffrante qui le désire. Mais quelle est la valeur réelle des sondages lancés à la suite d’une affaire médiatisée ou en l’absence de débats de société approfondis?
Hubert Doucet, professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal et spécialiste bioéthique, rappelle que si le Canada maintient la ligne dure sur papier, la question n’est pas nouvelle et elle est le sujet de nombreux déchirements. "En politique, le débat est toujours évacué. Pourtant, dès 1982, la Commission de réforme du droit du Canada a demandé, non pas de légaliser l’euthanasie, mais simplement de réexaminer la question de la fin de la vie et de la mort par arrêt de traitement. Tous les gouvernements ont refusé d’ouvrir le débat, même si les élus sont divisés."
Au Canada, la cause la plus médiatisée des dernières années fut sans doute celle de Sue Rodriguez en 1993-94. Atteinte d’une sclérose latérale amyotrophique (maladie de Lou Gehrig), celle-ci réclamait le droit de choisir le moment de sa mort et invoquait que la criminalisation de l’euthanasie brimait ses droits à la liberté, la sécurité de sa personne, l’égalité ainsi que celui de ne pas subir de châtiments cruels, garantis par la charte. Rodriguez fut déboutée par une Cour suprême profondément divisée (5 contre 4). Le verdict témoigna de la délicatesse du sujet et de la pertinence d’ouvrir le débat. En 1995, un comité du Sénat tout aussi déchiré sur la question conclut à l’insuffisance des soins palliatifs. "Après l’affaire Rodriguez, Jean Chrétien avait parlé d’un vote libre sur la question. Où est-il, ce vote libre?" demande Hubert Doucet.
Selon Patrick Charrette, porte-parole au ministère de la Justice, il n’y a pas lieu de relancer le débat sur le suicide assisté au pays. "Les affaires médiatisées comme Latimer et Rodriguez ont certes des impacts et contribuent à faire renaître le débat. Toutefois, et même si la société canadienne n’évolue pas en vase clos et observe ce qui se passe à l’étranger, nous avons nos lois qui, pour le moment, ne seront pas modifiées."
La création en 2001 du Secrétariat des soins palliatifs reste pour l’heure la réponse du gouvernement à cette problématique. "Des normes nationales ont été établies afin de venir en aide aux personnes en phase terminale. Voilà où nous en sommes", ajoute Patrick Charrette.
"Dès qu’on parle d’euthanasie ici, on ramène la question des soins palliatifs comme solution. Mais il n’y a que 15 % des gens qui ont accès à ces soins, c’est bien mais ça ne règle pas tout", avance Réjean Thomas, de la clinique médicale L’Actuel, qui se dit d’avis que la population est prête à débattre et à réfléchir au sujet de l’euthanasie et de la limite des traitements. "Plusieurs personnes ont très peur de mourir dans des conditions inadéquates. L’arrivée de la trithérapie a changé les choses, mais durant des années, les sidéens n’avaient pas le droit aux soins palliatifs. Lorsqu’on fait de la clinique, on voit des gens qui meurent chez eux, isolés, dans la souffrance et la solitude. Le débat n’est pas clos."
Ainsi, le débat entourant l’euthanasie est complexe. Ceux qui sont favorables à des assouplissements légaux invoquent le droit de mourir dignement; les opposants, eux, craignent les abus contre les personnes vulnérables ou éventuellement "inutiles". De l’aveu d’Anne Lapointe, avocate qui fut saisie du dossier de Nancy B qui, il y a 10 ans, a obtenu le droit d’être débranchée du respirateur la maintenant en vie, la distinction s’impose entre la cessation de traitements, légale au Canada, et l’euthanasie proprement dite, qui implique des mesures actives. Le risque de dérapage fait craindre à l’avocate un assouplissement éventuel des législations. "Est-ce que certains seraient tentés de faire disparaître leurs parents pour toucher l’héritage? Serait-on éventuellement tenté de faire des économies en ayant recours à l’euthanasie dans le cas de personnes âgées? Il faut y réfléchir."
Si on doit craindre certains abus, poursuit Réjean Thomas, c’est peut-être davantage du côté de l’acharnement thérapeutique et du maintien de la vie en dépit de conditions inacceptables. "J’ai connu par le passé des sidéens qui dépérissaient à vue d’oeil, n’ayant que quelques mois à vivre. Doit-on absolument vivre dans ces conditions, vivre trois ou quatre semaines? On réfléchit parfois comme si c’était impossible de se poser ces questions sur le suicide assisté sans être dépressif, ce qui n’est pas toujours le cas", enchaîne Réjean Thomas, qui nuance en soulignant que, souvent, des patients très malades changent d’idée et en viennent à s’accrocher à la vie. Rien n’est simple.
S’il importe pour Hubert Doucet de débattre de l’euthanasie, il est plus important encore de s’interroger sur ce qu’est aujourd’hui bien vivre, vieillir, être malade et mourir. "Le suicide assisté pose la question du "que faire lorsque ça va trop mal". Or, la mort sociale des vieillards arrive bien avant la mort physique. Il ne faut pas se limiter à des considérations techniques qui ne concerneraient que des cas isolés. Les cas exceptionnels de souffrance sont de plus en plus courants. Il faut aussi réfléchir au type de médecine qu’on doit pratiquer à ce moment-là."
À l’étranger
Les Pays-Bas sont devenus en 2001 le premier État à légaliser l’euthanasie après des années de débats houleux et alors que la pratique était tolérée de facto depuis quelque temps, dans la mesure où le médecin suivait les normes établies. Rigoureusement encadrée pour éviter les abus, cette mesure ne s’adresse qu’aux citoyens du pays qui sont sains d’esprit et qui ont exprimé leur volonté à deux médecins, supervisés par une commission régionale.
"Dans ce pays, les médecins ont été fortement impliqués dès le départ, tout le processus fut centré autour d’eux. L’argument fondamental était le dilemme face auquel était placé le médecin, devant à la fois préserver la vie, mais aussi aider la personne qui souffre. Or, on estima que parfois, la seule façon d’aider est de mettre un terme à la vie", précise Hubert Doucet. En Suisse, l’aide au suicide est acceptée depuis longtemps sous des motifs altruistes, le tout serait inscrit dans le Code pénal. "La décision se prend au-delà du cadre médical et concerne deux individus", ajoute-t-il.
Et les mentalités évoluent sur une foule de sujets au Canada également. La tentative de suicide était un acte criminel il y a 25 ou 30 ans, rappelle Anne Lapointe. "Celui qui ratait son suicide pouvait se retrouver au banc des accusés. Cette loi est tombée en désuétude car elle ne correspondait plus aux mentalités. Après quelques années où la disposition ne fut pas appliquée, elle fut abolie."
Pour le moment, le Code criminel maintient des peines d’emprisonnement de 14 ans pour toute personne reconnue coupable d’avoir aidé une personne à s’enlever la vie ou même de lui avoir conseillé. "Le Code criminel est de juridiction fédérale, mais les provinces sont responsables de son application. Aussi, la Colombie-Britannique a établi un manuel avec des lignes directrices pour aider le procureur provincial lors d’accusations où il semble évident que c’est un cas de suicide assisté. Même si l’euthanasie demeure une infraction punissable, le procureur peut adopter une approche particulière dans ces cas précis", conclut Patrick Charrette.
Et si le suicide assisté est toujours illégal au pays, il existe quand même, croit Hubert Doucet. "Avant la trithérapie, il y a eu beaucoup d’aide au suicide pour les sidéens dans la région de Vancouver. De toute manière, la possibilité est toujours là; il y a tellement de médicaments qu’on peut mettre fin à ses jours sans ameuter l’opinion publique…"