Une autre politique américaine par Bill Clinton : Ce que je ferais
Société

Une autre politique américaine par Bill Clinton : Ce que je ferais

Singulièrement silencieux depuis le 11 septembre, Bill Clinton, ex-président des États-Unis, dans un texte commandité par le Policy Network de Londres, livre sa vision des solutions pour que le monde qui se consume en conflits religieux, ethniques et tribaux tourne plus rond. Dans cet article que nous publions en primeur au Québec dans nos pages, il énonce ce qui, selon lui, devrait être les grands principes de la politique étrangère et de sécurité des États-Unis. L’hyper puissance américaine devrait, dit-il, redéployer son potentiel économique, militaire et culturel, mis à mal par les dollars de la terreur.

Comme le démontrent l’étendue du terrorisme mondial et la vulnérabilité des États-Unis devant cette menace, la réalité essentielle, en ce XXIe siècle, est que le monde est devenu totalement interdépendant, mais qu’il est encore loin d’être intégré. Le 11 septembre nous a appris que les forces mêmes de la mondialisation, que nous avons contribué à créer – ouverture des frontières et liberté du commerce, facilité de voyager, communication instantanée -, servent aussi bien à détruire qu’à construire, à diviser qu’à unifier.

En même temps, les anciennes confrontations, en particulier le conflit entre l’Inde et le Pakistan au Cachemire et l’impasse violente au Moyen-Orient, ont revêtu une terrible urgence. La progression de ces défis et d’autres challenges mondiaux nous obligent à développer une stratégie plus étendue en matière de politique étrangère américaine, fondée sur un engagement fondamental: faire passer le monde de l’interdépendance à une communauté globale intégrée, axée sur la paix et la prospérité, la liberté et la sécurité.

Au coeur de toutes ces luttes se trouve une bataille d’idées mondiale, notamment dans le monde islamique, où les rivalités fondamentalistes ont dénaturé la religion pour justifier les attentats suicides contre des innocents comme outil politique légitime béni par Allah. Cette bataille épique se livre autour de trois questions très anciennes et essentielles: pouvons-nous avoir des communautés repliées sur elles-mêmes ou doivent-elles être ouvertes sur le monde? Pouvons-nous avoir des avenirs séparés ou devons-nous avoir un avenir commun? Pouvons-nous détenir toute la vérité ou devons-nous nous joindre aux autres pour la rechercher?

Ces dilemmes constituent sans doute l’énigme la plus constante de l’histoire de l’humanité: les individus peuvent-ils trouver leur identité essentiellement par des associations positives ou faut-il, pour donner un sens à la vie, qu’ils la comparent négativement à d’autres? Depuis l’époque où les hommes ont quitté leurs cavernes et formé des clans, leurs identités ont pris racine à la fois dans des associations positives avec leurs congénères et avec des opinions négatives à l’égard de ceux qui n’appartenaient pas à leur communauté. Cette sorte d’auto définition domine les sociétés humaines depuis un peu plus de six mille ans de civilisation organisée. En dépit de tous les progrès accomplis dans le passé, nous avons failli détruire la planète dans la première moitié du XXe siècle. L’idée d’une communauté mondiale de membres coopérants n’a été institutionnalisée qu’avec la création des Nations unies en 1945. Elle n’est réellement entrée dans la pratique qu’avec la décision prise par la Chine, dans les années 1970, de rejoindre le reste du monde, et avec la chute du mur de Berlin en 1989. Depuis, le monde se consume en conflits religieux, raciaux, ethniques et tribaux.

À l’évidence, l’hostilité et la violence entre les différents peuples ne sont pas génétiquement déterminés. Les gens peuvent se montrer méfiants envers l’"autre", mais de là à tuer, il faut qu’on le leur apprenne et qu’on les y pousse.

Notre défi est de comprendre comment les individus peuvent jouir des avantages et de l’identité de leur communauté distincte tout en parvenant à s’intégrer dans des communautés élargies. L’exemple de l’Union européenne montre clairement comment d’anciens ennemis peuvent conserver leur identité nationale tout en devenant des alliés proches.

L’idée de communauté exige de croire en un avenir non pas séparé mais partagé, où tout le monde compte, où chacun a un rôle à jouer et où nous réussissons tous mieux quand nous nous aidons réciproquement. Croire en un avenir partagé implique de rejeter la revendication radicale et fondamentaliste de détenir toute la vérité, pour privilégier au contraire l’idée que la vie est une quête de la vérité à laquelle nous devons tous contribuer. Nous touchons là à l’essentiel de ce que nous apprécions dans la communauté globale intégrante: nos différences sont importantes, mais plus importante encore est notre humanité commune.

Le défi des radicaux islamistes porte sur toutes ces questions fondamentales. Ceux qui soutiennent Oussama ben Laden et adhèrent à sa vision du monde veulent des communautés non pas ouvertes sur les autres, mais refermées sur elles-mêmes. Ils insistent sur un avenir séparé, fondé sur leur vision de la vérité. Ces éléments sont tous à l’origine du conflit entre l’Inde et le Pakistan et de la division entre Palestiniens et Israéliens. Des groupes violents revendiquant un avenir séparé sont actifs en Indonésie, aux Philippines, en Colombie et ailleurs.

Le monde politique et idéologique, tout comme le monde économique l’a déjà fait, doit développer une conscience planétaire fondée sur le principe de l’intégration, d’un avenir partagé, d’une coopération dans la recherche de la vérité. Ce n’est pas, comme l’ont affirmé certains, un concept occidental. L’économie qui connaît la plus forte croissance au Moyen-Orient est celle de Dubaï, pays musulman qui cherche réellement à attirer des résidents d’autres nations et s’intègre tranquillement au monde moderne. Les responsables de Dubaï ont choisi un avenir partagé, ancré dans les possibilités de demain.

Il faudra du temps, et de simples discours n’y suffiront pas, pour concrétiser ces idées en action. Nous devons combattre le terrorisme et la violence, qui menacent de déstabiliser le monde, par une politique étrangère et de sécurité agressive, visant à produire davantage de partenaires et moins de terroristes.

Notre politique de sécurité devrait comprendre cinq éléments majeurs:

D’abord, nous devrions soutenir les efforts pour débarrasser l’Afghanistan d’Oussama ben Laden et des autres chefs d’Al-Qaida.

Deuxièmement, nous devons faire tout notre possible pour mettre un terme au programme de missiles nucléaires nord-coréen. La question est très importante: les Nord-Coréens ne peuvent peut-être pas produire suffisamment de nourriture pour alimenter leur peuple, mais ce sont des constructeurs de missiles de premier ordre et ils les vendent.

Sous mon gouvernement, nous avons réussi à arrêter le programme nucléaire de la Corée du Nord et ses essais de missiles à longue portée. À la fin de mon second mandat, nous étions très près d’un accord pour un arrêt complet du programme de missiles. L’accord final ne tenait plus qu’à une visite présidentielle en Corée du Nord. J’avais l’intention de la faire, mais, dans les dernières semaines de mon gouvernement, nous avons concentré nos énergies sur la possibilité de parvenir à un accord de paix au Moyen-Orient. Je n’ai pas voulu prendre le risque de perdre cette chance en entreprenant un voyage qui aurait dû inclure l’Afrique du Sud, la Chine et le Japon. Je reste convaincu qu’il est possible de négocier un arrêt du programme nord-coréen, si l’administration Bush en fait une de ses priorités.

Troisièmement, nous devons restreindre la production et la distribution des armes chimiques, biologiques et nucléaires de petite portée. Nous savons que Saddam Hussein continue à poser un problème puisque ses laboratoires sont actifs. Son armée est beaucoup plus faible qu’au moment de la guerre du Golfe, mais la menace de ses laboratoires est réelle. La question n’est pas aussi urgente que la nécessité de redémarrer le processus de paix au Moyen-Orient et de stopper la violence dans cette région, et n’implique pas obligatoirement une invasion, mais il faut la traiter.

Quatrièmement, nous devrions renforcer la capacité de nos amis à traiter le problème de la terreur. Je soutiens l’action pour aider la présidente Arroyo aux Philippines. À mon sens, il faut aussi étendre l’utilisation de notre aide à la Colombie afin de sauver la plus ancienne démocratie d’Amérique latine d’une prise du pouvoir par la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie. Les membres des Farc sont en fait des terroristes au service des narcotrafiquants, qui essaient de faire de la Colombie le premier narco-État du monde.

Nous devrions aussi soutenir nos amis africains qui essaient de s’organiser en sociétés cohérentes. L’un des meilleurs moyens est de continuer à financer l’Initiative de réponse aux crises africaines (Acri). Démarré sous mon gouvernement, ce programme apporte le soutien des États-Unis à une force armée africaine mixte capable d’aller partout où il le faut pour permettre aux Africains de veiller eux-mêmes au maintien de la paix et de s’occuper de leurs terroristes et de leurs conflits tribaux. J’espère que l’administration Bush ne supprimera pas le financement de ce programme.

Cinquièmement, nous devons améliorer les défenses et la coopération internes. J’approuve la création d’un nouveau ministère de la Sécurité intérieure, à condition qu’il ait le pouvoir de maintenir toutes les agences en étroite coopération et qu’il dispose d’un accès immédiat à toutes les informations.

Davantage de partenaires, moins de terroristes. Outre ces cinq démarches défensives, il est crucial, pour notre nouvelle structure de politique étrangère et de sécurité, que notre ambition soit, à l’instar de celle de nos prédécesseurs après la Seconde Guerre mondiale, de créer un monde meilleur avec plus de partenaires et moins de terroristes. Le principe directeur de ce monde réorganisé découle directement de la philosophie de la troisième voie: donner le pouvoir, saisir les occasions et exiger la responsabilité.

En premier lieu, nous devrions avoir des institutions internationales plus nombreuses et plus efficaces. Nous voyons déjà le succès de l’Accord de libre-échange nord-américain et de l’Organisation mondiale du commerce. Nous voyons la sagesse qu’il y a eu à faire entrer la Chine dans l’OMC. Notre engagement dans la zone de libre-échange américaine et le libre-échange sont des idées saines. Nous avons eu raison de ratifier la convention sur les armes chimiques, d’élargir l’Otan et de soutenir la croissance de l’Union européenne.

D’un autre côté, je conteste la décision du Sénat américain, sous contrôle républicain, de rejeter le traité d’interdiction totale des essais nucléaires négocié en son temps par mon gouvernement, décision malheureusement approuvée par l’administration Bush. J’estime que le gouvernement a eu tort de prendre ses distances avec l’accord de Kyoto et le protocole du Tribunal pénal international, que nous avions signés. En rejetant Kyoto, nous aurons plus de mal à combattre le fléau de la dégradation de l’environnement, notamment le réchauffement du globe et la détérioration consécutive des océans.

Deuxièmement, nous devrions mieux cibler l’allégement de la dette pour les pays pauvres de la terre. Les mesures que nous avons encouragées en 2000 ont déjà donné des résultats surprenants parce qu’elles reposaient sur l’obligation de consacrer toutes les économies ainsi réalisées à l’éducation, à la santé et au développement – en provoquant les occasions tout en exigeant la responsabilité. Cette initiative a reçu un large soutien international, ainsi que celui des deux partis du Congrès américain. Il faudrait la poursuivre avec une nouvelle série de mesures permettant d’aider les pays dont les revenus dépassent la limite actuelle d’éligibilité mais qui souffrent de taux élevés de populations atteintes du virus du sida.

Troisièmement, nous devrions investir davantage dans l’aide à l’étranger. L’Amérique lui consacre un pourcentage de ses revenus inférieur à celui de toutes les autres nations développées.

Le président Bush a pris une première mesure satisfaisante en promettant, en mars dernier au sommet de Monterrey, au Mexique, une augmentation de notre aide à l’étranger annuelle, qui passera de 10 à 15 milliards de dollars. Mais nous serons encore, en pourcentage du revenu national, à 20% de moins que dans le dernier budget présenté par un Congrès démocrate, en 1994. Le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a demandé 10 milliards de dollars par an pour lutter contre le sida et d’autres maladies infectieuses. Nous devrions en payer notre part. Plus de 100 millions d’enfants dans les pays pauvres ne vont pas à l’école. En 2000, nous avons alloué 300 millions de dollars pour assurer un bon repas par jour à des enfants pauvres s’ils allaient à l’école pour le recevoir. L’augmentation consécutive du nombre d’inscriptions fut impressionnante. Nous devrions développer ce genre d’actions.

Quatrièmement, nous devrions intensifier nos efforts pour apporter la paix dans les endroits les plus troublés du monde, le Moyen-Orient et le sous-continent indien.

Avec une solide politique de sécurité, un effort vigoureux pour accroître le nombre de nos partenaires et faire baisser celui des terroristes, et une lutte sans merci pour remporter la bataille des idées, l’Amérique peut largement contribuer à faire passer le monde de l’interdépendance à l’intégration, dans une communauté mondiale qui constituera un monde approprié pour tous nos enfants.

ENCADRÉ

Les 5 piliers de la sécurité

Afghanistan

En finir avec Oussama ben Laden et les leaders d’Al-Qaida.

Corée du Nord

Mettre un terme au programme de missiles nucléaires.

Moyen-Orient

Priorité au redémarrage du processus de paix israélo-palestinien.

Amérique du Sud

Éradiquer le terrorisme des narcotrafiquants.

États-Unis

Renforcer la coopération du nouveau ministère de la Sécurité intérieure avec les agences de renseignement.