![La réforme scolaire combat-elle l'analphabétisme? : Mot à mot](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/09/13887_1;1920x768.jpg)
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La réforme scolaire combat-elle l’analphabétisme? : Mot à mot
La réforme se met tranquillement en place pour favoriser la réussite scolaire. Quelques profs et directrices se demandent si cela peut changer quelque chose…
Juliette Ruer
Partons du principe que l’école a été mise sur pied pour que l’on apprenne à tous à lire, à écrire et à calculer. Que cela a été inventé pour enrayer l’analphabétisme. Il semble malheureusement qu’à l’heure actuelle, au Québec, un élève sur trois quitte le secondaire avant d’avoir obtenu son diplôme. "Depuis que l’éducation est obligatoire, plus personne n’est censé être analphabète. Mais 30 à 40 % des jeunes Québécois qui sortent du système scolaire sont des analphabètes fonctionnels. Là-dessus, certains quittent le secondaire en étant de vrais analphabètes; ils ne savent pas lire!" résume Régine Pierre, professeure titulaire au Département de didactique à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Elle est responsable de la formation des maîtres et a présidé une commission internationale sur l’alphabétisation à l’Unesco. Elle se préoccupe des débuts de l’apprentissage de la lecture.
La lecture, au coeur du problème: "Il y a un écart dès la première année entre ceux qui savent lire et ceux qui ne savent pas. La différence est de l’ordre de 10 000 mots, précise-t-elle. Et selon des statistiques récentes, 80 % des enfants qui ne savent pas lire à la fin de la première année ne finissent pas leur secondaire. On parle de problèmes socioaffectifs alors que les problèmes viennent aussi de l’inefficacité de nos méthodes. Et ça, le ministère ne le reconnaît pas. Et il n’y a pas de vraie progression dans le modèle de réforme proposé par le ministère par rapport à celle de 1981. En ce qui concerne l’évaluation, je viens de recevoir les nouvelles directives: il n’y a toujours pas d’évaluation de la lecture!" Réforme ou pas, madame Pierre s’insurge contre un modèle de lecture obsolète. Problème complexe où, s’il y a toujours une grande place accordée aux mots (à sept ans, certains enfants ont déjà une adresse Hotmail), il n’y en a pas forcément plus à la compréhension de l’écrit.
Défaut récurrent de méthodologie, problème de formation générale des maîtres, suspicion des profs qui voient arriver des tendances et terminologies nouvelles tous les cinq ans et méfiance des enseignants face à une bureaucratie lourde donc chère: rien n’y fait, la réforme scolaire fait son chemin en dépit de ses détracteurs, mais avec ses enthousiastes partisans. Peut-elle, oui ou non, aider à contrer le problème de l’analphabétisme? Difficile de le vérifier dès maintenant. En phase d’installation, la réforme commence tout juste à chambouler la fin du primaire. Dans les grandes lignes, et à la suite des États généraux sur l’éducation (900 heures de consultation, 2000 mémoires et 40 000 personnes entendues), cette réforme qui ira de la maternelle jusqu’à l’université donne plus d’initiative aux écoles et demande aux parents et aux profs d’intégrer de nouveaux concepts pour suivre l’évolution de l’enfant; soit l’approche par compétences qui demande à l’élève d’acquérir deux types de connaissances: disciplinaires (les matières) et transversales (développement intellectuel, méthodes de travail, développement personnel et social, et communication). L’organisation de l’enseignement se découpe par cycle; on privilégie le travail de groupe et la mise sur pied de projets. On prévoit plus d’heures consacrées au français, aux mathématiques et à l’histoire. On prévoit l’enseignement plus tôt d’une langue seconde et d’une troisième langue au secondaire. Également, au moyen du porte-folio de chaque élève, on favorise son auto-évaluation. Endiguer le problème de l’analphabétisme est encore un voeu pieux. Par exemple, le travail en groupe est-il préférable? "Dès l’âge de six ans, s’il y en a un dans l’équipe qui ne fait pas son boulot, ça ne marche pas. Et l’enfant s’en aperçoit tout de suite, déclare Martine Deshaies, directrice de l’école primaire alternative L’Envol, à Laval. Bémol pour Régine Pierre, qui y voit plus une porte ouverte à la loi du moindre effort.
Dans ce programme, où l’on décèle les acquis des écoles alternatives, on reconnaît cependant un avantage majeur qui pourrait, selon les profs interrogés pour cet article, faire ses preuves lors d’acquisition de connaissances: un service plus personnalisé où l’évaluation est le mot-clé. "On fait face à des difficultés d’apprentissage en français au primaire", reconnaît Christiane Leclerc, depuis 24 ans dans l’enseignement, et directrice de l’école Laurent-Benoit depuis le début de juillet. "Mais depuis 10 ans, je crois vraiment à cette réforme. Son but étant de s’investir auprès de chacun, on peut avoir maintenant un tableau plus exact de l’apprentissage de l’élève." Même son de cloche chez madame Deshaies: "Les enfants décrochent peut-être au secondaire 3, mais dans leur tête, ils ont parfois abdiqué beaucoup plus tôt. Vers sept ou huit ans, certains déclarent déjà qu’ils ne sont pas bons." Selon elle, l’avantage de la réforme, "le jour où elle sera vécue", est de mettre l’accent cette fois sur l’apprentissage de l’enfant. Et elle croit fermement que tant que l’école ne crée pas une communauté éducative, on n’y arrivera pas. Or, cette école reste à faire.
Car qui dit communauté éducative entend parents: "Je pose souvent la question aux parents: quand votre enfant vous a-t-il pris la dernière fois en flagrant délit de lecture?" interroge madame Deshaies. "Mais le roman a longtemps été un instrument de Satan, ironise Éric Sabourin, prof de littérature au Cégep du Vieux Montréal. Il reste un climat de suspicion envers ceux qui lisent", pense-t-il. Selon lui, quatre livres par année à lire au cégep, c’est le minimum vital. Même opinion de la part de Lucie, aussi prof de français-littérature au cégep, confrontée à des étudiants qui sortent du secondaire en n’ayant jamais lu un livre, ne sachant pas consulter une grammaire, et qui écrivent au son. "Ils ont parfois lu un chapitre des Filles de Caleb. Alors, on se montre ravi quand ils ont lu tout Harry Potter", décrète-t-elle. À 18 ans, il faut encore apprendre des dissertations et des analyses de textes. "Et faire comprendre qu’on n’est pas plus imbécile que la génération précédente", conclut-elle.
Il est clair que les temps doivent changer. Et les enseignants interrogés trouvent chacun leur cheval de bataille qui mettent des roues dans une alphabétisation sereine: des profs qui connaissent plus l’outil pédagogique que leur matière, la société de l’image, un fonctionnariat éhonté, 35 à 40 élèves dans une classe, etc. Tous d’accord pour déclarer qu’une réforme n’est pas un miracle, on peut cependant espérer qu’elle normalise certains accrocs, comme celui-ci: "Dans mon cégep, les centres d’aide en français avec moniteurs sont très efficaces comme tutorat, ça aide les élèves en difficulté, explique Lucie. Mais il y a trop peu de budget. Je l’ai conseillé récemment à un de mes élèves, il m’a dit qu’il était le 67e sur la liste d’attente! S’ils doivent s’y inscrire à 80 %, ce n’est plus une mesure d’exception!" Le genre de détail où une réforme peut faire du bien…