Comme tous les dimanches, Mathieu et Anne-Marie, archétypes du p’tit couple post-baby-boom, sortent relaxer sur la main de leur quartier. Journaux, déjeuner, ménage et pseudo-classique, bicyclette, disquaires, feng-shui, Découverte et un billet pour les Violons du Roy.
Vers 16h, avant de rentrer, ils s’arrêtent, tant qu’à faire, devant l’un de ces marchés du fruit et du légume qui vend vitamines et couleurs au coin des rues piétonnières. Culture pour culture, maraîcher ou Malraux, on entre là-dedans un peu comme ceux qui confondent librairie et libraire, silencieux, discrets, interdits, subjugués devant tant de beautés naturelles. Quel don de Dieu, tout ce soleil en pelure, ces choux, ces piments, ces tomates, ces petites pommettes roses, plus fermes que celles de Claudia Schiffer; il y a là, vraiment, vraiment, vraiment, tant pour l’ego que pour le gros artère, de quoi prendre son pied, de Sillery au Vieux-Port.
Deux clics de débit plus tard, nos chéris en ressortent les bras chargés d’or, pas peu fiers d’exposer la preuve de leur savoir-vivre à même la transparence de ces sacs contenant autre chose que l’infecte merde consommée par les ploucs. Hygrade, Maple Leaf, Humpty Dumpty, Kraft et conserves du président? Non merci, chérie, chez nous, c’est dehors les cochonneries, mort au cholestérol et allons de suite écouter Découverte. Avec une bonne salade de betteraves, c’est un peu comme la BBC…
Faut-il être bonne poire ou ne pas vouloir savoir…
Il y a quelques semaines, interpellé par l’affaire des pommes cirées, j’ai voulu savoir ce que l’agriculture moderne déverse sur nos fruits et légumes. Je m’étais pour ce faire procuré chez un libraire spécialisé le Répertoire de traitements de protection des cultures qui répertorie les substances utilisées pour contrôler les parasites des récoltes, productivité oblige. Les bras m’en sont tombés. Mathieu et Anne-Marie vont s’étouffer avec leur salade. Ouille! La honte. Défaillir devant Charles Tisseyre…
Énumération. Voici, rien que pour la betterave, ce que l’on utilise au gallon, pour contrôler les punaises, chenilles et pucerons qui s’en régalent un peu trop: perméthrine, trichlorfon, carbaryl, malathion, méthoxychlore, parathion, diazinon, diméthoate, chlor-pyrifons, sulfate de cuivre tribasique, métirame…
Bon nombre de ces substances étaient en usage dans ces traitements des pelouses bientôt interdits par le ministère de l’Environnement du Québec! Le parathion est un insecticide si puissant qu’il est recommandé de ne pas marcher dans un champ traité moins de 48 heures après l’application et que tous les fruits et légumes traités avec ce produit sont refusés à la frontière des USA depuis deux ans.
D’aucuns prétendront qu’énumérer ces noms terribles sans explication s’apparente à de l’alarmisme. On voudrait déjà leur répondre que le simple bon sens permet de présumer qu’une substance qui zigouille des insectes gros comme le pouce puisse selon toute apparence se révéler dommageable pour l’homme.
Allons, allons, qui sommes-nous, surtout pas des chimistes de Santé Canada, pour prétendre qu’aucune de ces substances ne perdure dans les fruits et légumes et ne s’infiltre petit à petit dans l’organisme.
Laver, faire bouillir, peler, prier… Comment en sommes-nous venus à nous empoisonner peut-être à petit feu?
Par besoin pour le producteur de rentabiliser les cultures. Au nom du rendement au pied carré bien sûr, mais aussi par un détournement pernicieux du principe scientifique et le peu de rigueur de l’expérimentation.
Imaginons: si le parathion ne tue un rat que dans une concentration de un gramme au mètre carré de carotte, quelqu’un en a conclu qu’il faudrait ingérer des quantités astronomiques de carottes traitées pour en crever. Mais mélangé aux autres insecticides? Et sur 30, 60 ans? Et chez les buveurs de jus de carotte? Et mélangé avec le tabac… Qu’en sait-on? Probablement rien.
Il ne s’agit pas de retourner à l’âge de pierre, au temps des immigrants irlandais et de la patate pourrissante, mais pourquoi cette présomption d’innocence envers des produits potentiellement toxiques? Pourquoi pas l’inverse? Et pourquoi ne pas favoriser, subventionner l’utilisation de ces insecticides biologiques qui ont tant progressé? Le cancer, la maladie sont-il un effet secondaire potentiellement acceptable de l’alimentation?
Nos organismes d’homologation sont visiblement peuplés d’individus affligés de la mentalité en vogue dans les années 50: tout pour le progrès même et encore le nucléaire. Ils sont comme ces météorologues qui attendent que le ciel leur tombe sur la tête avant de conclure à un dérèglement climatique.
À moins qu’ils ne soient au fond que de piètres humoristes qui reprennent à leur compte le vieil adage des mangeurs de steak selon lequel il n’y a rien de plus blême et de plus maladif qu’un végétarien qui se nourrit bien.
Traitements de protection des cultures – Répertoire 2001-20002
www.agrireseau.qc.ca/phytoprotection