Apostasie : Les grands départs
Société

Apostasie : Les grands départs

La poussière papale retombant lentement sur Toronto et ses déficitaires JMJ, il apparaît de bon ton de s’interroger sur le réel degré d’allégeance des catholiques à leur religion, tandis que, derrière les feux de la rampe, une petite armée d’athées mène une campagne invitant ces bonnes ouailles à tourner le dos à ce culte qui leur fut imposé peu après leur naissance. Débaptisez-vous, qui disaient!

Le Vatican affirme rassembler plus d’un milliard de catholiques baptisés dans le monde, dont la moitié dans les Amériques et plus du quart en Europe. Pour les activistes athées qui se font apôtres de l’apostasie – c’est le mot signifiant l’abandon public d’une religion -, voilà une bien grave hérésie. Combien, parmi ce milliard de fidèles, appuient réellement les positions rétrogrades de l’Église, l’exemple de la condamnation de l’utilisation des contraceptifs, alors que le sida fait des ravages, étant sans doute le plus probant?

Baptisés involontaires
À tous ceux qui furent baptisés sans l’avoir demandé, soit la quasi-totalité, et qui culpabilisent d’appuyer implicitement l’Église et le Vatican, les promoteurs de la débaptisation proposent de couper le cordon. Un peu comme on déchirerait sa carte de membre d’un parti politique. Il s’agit dans ce cas de faire sursauter prêtres et évêques en leur envoyant sous pli recommandé des demandes officielles d’apostasie. L’objectif avoué est de ramener les autorités religieuses sur terre en ce qui concerne le nombre réel d’adhérents à leur doctrine et de permettre à ceux qui le désirent de libérer leur conscience. Les plus convaincus des athées afficheront au mur comme un trophée leur nouveau baptistaire rehaussé de la mention "a apostasié sa foi". Cependant, les chemins de la débaptisation sont semés d’embûches, tant au Québec qu’en France.

Marcel Beaudet, psychoéducateur quinquagénaire de la région de Montréal, a été élevé dans un environnement familial teinté par la religion. "Dès l’âge de 18 ans, je philosophais et les religieux du cours classique étaient incapables de répondre à mes questions. Ça m’a tracassé longtemps d’être un athée baptisé, jusqu’en 1999 alors que j’ai découvert un site Internet français expliquant la marche à suivre pour apostasier, ce que je me suis empressé de faire." Après quatre mois de correspondance parfois houleuse avec l’église et le diocèse dépositaires des registres de son baptême, il a finalement obtenu son nouvel extrait de naissance, puis a créé une page Internet informative pour partager son expérience. "Il y a eu un peu de ressentiment dans ma famille, particulièrement chez une personne proche qui était croyante, et certains amis pourtant ouverts se sont étonnés de ma décision." Mais pas de regrets, malgré les délais, la nécessité d’invoquer un possible recours à la Commission des droits de la personne pour être entendu sérieusement, et malgré les "peines" imposées par l’Église.

En effet, en plus d’affronter l’attitude parfois rébarbative des religieux face aux demandes d’apostasie, laquelle peut se traduire par des fins de non-recevoir, des refus ou des tracasseries administratives, les demandeurs du statut de libre penseur sont avertis officiellement de la "lourdeur des conséquences de leur geste".

"Nous informons effectivement ces gens des désavantages liés à leur décision, confirme l’abbé Jean Pelletier, chancelier du Diocèse de Québec. Ils sont avertis qu’ils seront excommuniés d’office, qu’ils perdront le droit d’être inhumés dans un cimetière catholique ou d’être parrains de baptême ou de communion. S’ils confirment leur volonté une deuxième fois, nous procédons alors", soutient-il. En 2001, le Diocèse de Québec, qui compte plus ou moins 200 paroisses, a célébré 8052 baptêmes contre 8132 en 2000. L’abbé Pelletier estime à l’oeil qu’une cinquantaine de demandes d’apostasie parviennent à son diocèse annuellement.

Le chancelier du Diocèse de Québec a pesté au passage contre d’autres promoteurs de l’apostasie, "des groupes sectaires comme les Témoins de Jéhovah ou les étranges mais non moins venimeux raéliens", ces derniers ayant effectivement lancé l’été dernier une opportuniste campagne de débaptisation dans le but d’augmenter leur nombre de membres. "Nous refusons cependant systématiquement les demandes d’apostasie qui parviennent des raéliens. Elles sont reconnaissables, car calquées selon un modèle proposé par la secte", dévoile l’abbé Pelletier.

Ce dernier a aussi accepté de discuter brièvement de la cohabitation boiteuse science-religion, relativisant habilement les caricatures qui mettent en scène une Église retardée refusant de croire que la terre est ronde. "L’Église affirme toujours que Dieu est à la base de la vie sur terre, mais la création en sept jours, Adam et Ève comme deux individus alors qu’il pourrait s’agir des noms de groupes d’hommes et de femmes, le rejet des théories de l’évolution, tout ça reste l’affaire de sectes chrétiennes fondamentalistes!" Mais l’astrophysique et d’autres sciences de pointe ne semblent-elles pas laisser autant de place à Dieu qu’au Père Noël? "C’est Dieu qui a inventé les sciences et la physique", tranchera le sympathique homme à ce sujet.

Plus sympathique en tout cas que son collègue chancelier du Diocèse de Montréal, l’abbé Michel Parent, lequel a refusé net de répondre à quelque question ou de dévoiler le nombre de demandes d’apostasie reçues par année. Même le nombre de baptêmes est resté secret, malgré des appels répétés aux bureaux de ce diocèse qui regroupe plus de 1,5 million de catholiques. Impossible donc d’évaluer le nombre d’apostasiés que compte Montréal, encore moins la province.

Même silence en France, où l’Église ne lèvera pas le voile sur de telles statistiques. Philippe Seurre, président de la section de Franche-Comté de l’Amicale Athée, évalue que de 10 000 à 20 000 personnes ont fait le saut au cours des dernières années et que des milliers sont membres d’associations militantes. L’ouvrier de 35 ans insiste: des légions de citoyens sont athées de coeur, mais les activistes ne les pousseront pas vers l’apostasie comme leurs parents les poussèrent jadis dans le bénitier. "Nous ne faisons pas de prosélytisme en tentant de convaincre les gens comme le fait l’Église. Nous préférons qu’ils réfléchissent d’eux-mêmes. Il y a exception dans le cas d’une confrontation idéologique avec des membres de hiérarchies religieuses, on utilise alors de sérieux arguments scientifiques qui permettent de mettre en doute la conception religieuse du monde. Face à la science, il vient un moment où ils n’ont plus d’arguments. Ils ont beau tourner frénétiquement les pages de leurs bibles…" Comme les autres promoteurs de la débaptisation, Philippe Seurre souligne que l’invitation de passer à l’action ne s’adresse pas seulement aux catholiques, mais vise aussi les fidèles de toutes obédiences.

Afin de s’assurer du succès d’une démarche apostasique, il recommande d’envoyer une demande complète adressée conjointement à l’église où le réparable fut commis et à l’évêque du diocèse correspondant. Si certains religieux français se sont montrés prêts à se frotter à la justice pour ne pas apostasier, ils ont reculé à la dernière seconde, confrontés à la Loi sur l’informatique, les fichiers et les libertés, laquelle contient un droit d’accès et de rectification. "Certains athées proposent même d’utiliser la Loi sur l’endoctrinement sectaire, ce qui est un peu tiré par les cheveux", estime Philippe Seurre.

Peu de militants au Québec
Au Québec, les insatisfaits peuvent se tourner vers la Commission des droits de la personne, et les tribunaux pourraient aussi être saisis de causes s’appuyant sur la protection des renseignements personnels. On trouve bien des athées activistes au pays, mais ils sont proportionnellement moins nombreux que sur le Vieux Continent, et leurs actions semblent moins concertées. Les Sceptiques du Québec, par la voix de leur relationniste Michel Bellemare, se disent sympathiques à la cause sans y être impliqués directement. "Nous attaquons les croyances tangibles et mesurables, et Dieu n’entre pas dans cette catégorie. Le saint suaire, les apparitions de la vierge ou les astrologues, eux, sont facilement démontables, dit-il. Les gens ne croient pas à quelque chose parce que ça a de l’allure, ils adhèrent complètement à une croyance en passant par un processus émotif, ce qui fait leur affaire intrinsèquement. C’est réconfortant de croire, et l’Église, bien qu’en décrépitude, reste dans les moeurs et traditions de notre société."

Au Mouvement laïque québécois, on ne fait pas non plus dans le militantisme athée, bien qu’on indique volontiers à qui le demande la procédure à suivre pour apostasier. "Je l’ai personnellement fait il y a plus de 20 ans", confesse pieusement le vice-président de l’organisme, Daniel Baril. Ce journaliste de Montréal expose que la raison d’être du mouvement était à la base de briser le tandem religieux-écoles, tâche de déconfessionnalisation qui n’aurait été accomplie qu’à moitié à la suite du récent dépôt du rapport Proulx. "Il reste un bout de chemin essentiel à faire malgré les efforts accomplis. Le nombre d’heures d’enseignement religieux a bien été réduit de moitié au primaire, mais il continue d’y avoir de la discrimination basée sur la religion, car on sépare les enfants selon leurs croyances. Ce serait au tour des parents de finir de sortir la religion de l’école en s’impliquant dans les nombreux comités où le lobby catholique est pourtant fortement représenté."