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Biotechnologies et OGM : Voie d’accès à l’information?
Alors que l’Union européenne impose depuis quelques années l’étiquetage obligatoire des produits contenant des Organismes génétiquement modifiés (OGM), le gouvernement fédéral étudie en ce moment la possibilité d’introduire un système d’étiquetage volontaire. Poudre aux yeux, disent des groupes pour qui les autorités soutiennent les biotechnologies pour le meilleur et pour le pire.
Denoncourt Frédéric
Une des manifestations les plus tangibles de l’arrivée des biotechnologies dans nos vies est à n’en pas douter la production d’OGM qui se retrouvent dans des produits alimentaires que nous consommons quotidiennement. Il y aurait aujourd’hui quantité d’aliments de toutes sortes contenant des traces d’OGM sur les tablettes des magasins. Certes, aucun cas d’effets néfastes pour la santé n’aurait encore été relevé, mais qu’en est-il des effets à long terme de la consommation de ces produits? À la fin du mois d’août, le rapport du Comité consultatif canadien de la biotechnologie relevait le conflit d’intérêts potentiel du gouvernement, ayant à la fois des fonctions de promotion et de réglementation des biotechnologies. Le Comité plaidait aussi pour des études plus poussées sur les risques à long terme et pour davantage de transparence afin de mieux informer la population.
Dans l’intervalle, les OGM bénéficient d’une commercialisation accélérée, tandis que les consommateurs n’en ont jamais fait la demande.
L’enjeu de l’étiquetage
Si le directeur exécutif du Secrétariat canadien de la biotechnologie, Roy Atkinson, soutient le processus visant à établir des standards en matière d’étiquetage volontaire, il craint que celui-ci ne s’avère laborieux, sinon inutile. "La politique fédérale en vigueur prévoit déjà que tout aliment qui présente un risque pour la santé ou qui a subi une modification significative sur le plan génétique, affectant par exemple sa valeur nutritive, doit être identifié."
Mais qu’en est-il des aliments contenant des OGM? "Que voulez-vous dire par OGM? Depuis 50 ans, nous croisons des plantes pour obtenir des espèces ayant des attributs particuliers. Une variété de blé qui résiste aux herbicides a simplement été croisée avec une autre variété. Tout aliment a des gènes et ceux que nous mangeons aujourd’hui n’ont pas exactement la même composition génétique qu’il y a 50 ans. Il n’importe pas de savoir comment on arrive à tel résultat si la santé n’est pas en cause."
Le porte-parole de Greenpeace, Éric Darier, rejette cette façon de procéder et dénonce l’immobilisme des gouvernements, rappelant que la tendance internationale est à la prudence en matière d’OGM. "Déjà 30 pays ont adopté l’étiquetage obligatoire, dont le Japon, l’Australie et l’ensemble de l’Europe. Le problème de fond est que nos gouvernements ont fait le pari des biotechnologies et subventionnent grassement les entreprises tout en disant garder un oeil critique sur la situation. Il y a là une contradiction insoutenable."
Il n’y a pas de production commerciale d’OGM en Europe, ajoute M. Darier. Les trois gros producteurs mondiaux, les États-Unis, l’Argentine et le Canada, totalisent 98 % de la production. "L’idée d’un étiquetage volontaire est ridicule. Ce serait de l’autoréglementation et les entreprises établiraient les normes. En fait, on ne veut pas chercher de problèmes", poursuit M. Darier, pour qui la seule véritable solution est l’application rigoureuse du principe de précaution par un moratoire sur la dissémination d’OGM dans l’environnement et l’étiquetage obligatoire dans l’attente d’études approfondies. "Plus grande est la résistance de l’industrie, plus grand est le doute dans la tête des gens. Les compagnies ne veulent pas de système de "traçabilité", qui pourrait les incriminer plus tard", continue M. Darier.
L’expérience européenne
En Europe, explique M. Darier, l’opinion publique s’est mobilisée très rapidement et a fait des pressions énormes sur les manufacturiers de produits alimentaires et sur les gouvernements pour obtenir l’étiquetage obligatoire. Et elle a gagné. "Les gens ici s’éveillent, 90 % veulent avoir le droit de savoir ce qu’ils mangent. Nous leur disons d’appeler les compagnies et de faire leur requête aux gérants de supermarché. Il faut savoir que chaque demande équivaut à 700 ou 1000 clients pour eux."
"L’Europe s’affaire surtout à protéger son marché, l’étiquetage obligatoire ne crée pas un consommateur mieux informé. Qu’est-ce que cela changerait pour les gens ici? Ils ont déjà accès aux aliments biologiques. Et puis, un étiquetage obligatoire donnerait le message que la nourriture présente un risque pour la santé. Cela ferait peur", clame pour sa part Ray Mowling, directeur exécutif du Conseil de l’information en biotechnologie, organisme fondé par les entreprises de biotechnologies, dont Monsanto, Bayer et Avantis, qui prétend que des renseignements qui circulent n’ont pas de valeur scientifique. "Nous sommes prêts à discuter avec ceux qui ont des interrogations légitimes, mais c’est une perte de temps de tenter de discuter avec des extrémistes comme ceux de Greenpeace."
À croire Guy Debailleul, professeur au Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval, les "accidents alimentaires" ont marqué l’Europe. "Les scientifiques qui disaient qu’il n’y avait pas de liens entre la maladie de la vache folle et celle de Creutzfeld-Jacob se sont trompés et cela a rendu la population, déjà plus sceptique qu’ici à l’égard de la science, très méfiante à propos des mécanismes de surveillance des aliments."
Le cas du maïs GM StarLink autorisé aux États-Unis pour la consommation animale, s’étant retrouvé dans les tacos, démontre que des accidents sont possibles et qu’il est très difficile de protéger les filières, car le processus agroalimentaire est très complexe, poursuit M. Debailleul. "Mais ce ne sera pas évident d’évaluer un risque de cancer par exemple. Et surtout, on ne pourra vérifier ce risque que si on autorise la consommation afin de suivre des groupes. Cela pourrait être long. On a découvert que le DDT causait le cancer à la fin des années 50 après plusieurs années d’utilisation."
Aux États-Unis, l’industrie a fait de grandes pressions sur les gouvernements pour éviter l’étiquetage obligatoire, cela nous a influencés, continue M. Debailleul. "Un autre facteur à souligner est que la recherche privée est prédominante depuis 10 ans, ce qui fait que le développement des connaissances se fait dans les services de recherche des grandes compagnies qui privilégient les orientations qui leur sont les plus favorables, sans que les organismes publics aient les moyens de faire des contre-études."
La bataille de l’information
Partisans et opposants se livrent en ce moment une lutte d’information publique. M. Mowling soutient que l’industrie est sensible aux inquiétudes de la population. Il suffirait d’informer mieux les gens à travers les campagnes publicitaires afin qu’ils comprennent tous les bienfaits des biotechnologies. M. Mowling reconnaît que les agriculteurs sont les grands gagnants pour l’instant. "Ils peuvent réduire leurs coûts de production, utiliser moins de pesticides et produire des plantes qui résistent aux herbicides. C’est bénéfique pour l’environnement. La population sera bientôt gagnante avec de meilleurs produits et de la nourriture en plus grande quantité. Le tiers-monde sera aussi gagnant et pourra préserver ses récoltes pour soulager la faim."
Les trois grandes cultures utilisant des OGM sont le canola, le maïs et le soja. M. Mowling admet sans détour que la plupart des produits alimentaires que nous consommons, des milliers selon ses dires, contiennent des petites quantités de ces cultures afin d’ajouter de la saveur.
"Les dirigeants africains ont publiquement rejeté les OGM comme solution à la famine. La publicité de l’industrie biotechnologique témoigne de son manque d’arguments. Elle vise à nous endormir tout en douceur en présentant décor bucolique et gens en bonne santé. Mais en 1998, en Grande-Bretagne, Monsanto a placé une pub dans les journaux qui a été un échec marqué. Les gens n’ont pas été dupes, ils se sont souvenus que c’est cette compagnie qui leur avait aussi donné le DDT et l’Agent orange…" critique M. Darier.
Dans l’esprit de Kalle Lasn, rédacteur en chef du magazine Ad Busters, l’industrie biotechnologique mène une campagne de désinformation. "Afin d’évacuer le débat, ces entreprises prétendent que tous ces bouleversements du génie génétique n’ont rien d’extraordinaire et qu’il n’y a surtout pas lieu de s’inquiéter. Or, celles-ci occupent 99 % du terrain médiatique, il est impératif de les contrecarrer."
Le papillon monarque serait une des premières victimes des modifications génétiques, poursuit M. Lasn. "Mais le plus gros problème est la pollution génétique; on ne peut contrôler la dissémination des gènes modifiés et on ne pourra plus rien faire si on découvre qu’ils sont dangereux."
"Les grands gagnants jusqu’ici sont les producteurs d’OGM, même les avantages pour les agriculteurs seraient mitigés. La commercialisation des nouveaux produits est de plus en plus rapide et on n’a plus de recul. C’est pourquoi, au nom du droit au consommateur d’être informé indépendamment des risques, on devrait introduire l’étiquetage obligatoire", conclut M. Debailleul.