Société

Droit de cité : Nuremberg-en-Concordia

L’organisation juive B’nai Brith Canada a demandé la semaine dernière au gouvernement de mettre sur pied une commission d’enquête publique sur la manifestation à l’Université Concordia du début du mois, qui s’est soldée par l’annulation de la conférence de l’ex-premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahu.

Selon B’nai Brith, seul un commissaire indépendant mandaté par le gouvernement aurait le pouvoir de dresser un portrait juste des événements de Concordia. En voilà une bonne idée. On saura enfin s’il faut dépêcher à Concordia quelques cohortes de Casques bleus – voire une force d’intervention de l’OTAN – pour séparer les factions rivales, qui, selon certaines associations étudiantes, s’entretuent presque; et pour, comme l’a suggéré l’irascible Izzy Asper, le propriétaire d’une chaîne de journaux qui censure la moindre critique à l’égard d’Israël, arracher du sous-sol ces racines du mal terroriste qui lézardent les fondements démocratiques du Canada à Montréal.

Sans blague, certaines organisations militantes ne sont-elles pas en train d’accorder trop d’importance à un événement qui n’en mérite pas tant? Une commission d’enquête publique, c’est une mesure d’exception pour des événements d’exception. Dans le cas de la mini-émeute de Concordia, outre l’importance de l’orateur dans le contexte exceptionnel de cette guerre israélo-palestinienne larvée, existe-t-il d’autres éléments qui en feraient un événement demandant des mesures d’État exceptionnelles?

Évidemment, cette demande de B’nai Brith n’est pas motivée par la quantité de verre brisé, ni l’occupation d’un hall d’entrée. À ce compte-là, c’est au Tribunal pénal international qu’il aurait fallu s’en remettre pour connaître les tenants et aboutissants des émeutes du Sommet des Amériques, à Québec l’an dernier, beaucoup plus graves. Et B’nai Brith, remarquez, n’a rien demandé non plus, au lendemain de ce moment pourtant pas très édifiant pour nos traditions démocratiques, ni pour les gazés, ni pour les gazeux. Après tout, les émeutiers ne s’en prenaient qu’à l’ensemble des dirigeants démocratiquement élus des trois Amériques, qui, eux, s’étaient adjugé le droit de créer à Québec, cette semaine-là, une zone freedom free grande comme un petit pays d’Afrique, dans le seul objectif de préserver leur confort personnel.

Si B’nai Brith fait une telle requête, c’est qu’un des siens a été privé de parole. C’est leur juste droit. Mais ce qui s’est produit à Concordia au début du mois, c’est un petit rassemblement hétéroclite de moins de 200 personnes – des Palestiniens et Arabes d’origine, des musulmans, leurs sympathisants de toutes origines, de même que des communistes et des anarchistes – qui a tourné à la foire. Une ou deux vitres brisées, un escalier roulant immobilisé et quelques injures ont suffi aux organisateurs de la conférence pour tirer la plogue sur toute l’affaire, en invoquant des raisons de sécurité. Depuis, tout le monde a blâmé tout le monde, et M. Netanyahu a poursuivi sans être gêné son périple canadien en compagnie de son commanditaire, le magna de la presse Izzy Asper.

L’ex-premier ministre a-t-il été brimé dans sa liberté d’expression? Oui, mais momentanément, et à la décision de ses hôtes, qui voulaient lui éviter un embarras certain. Après, M. Netanyahu et ses guides-accompagnateurs ont eu tout le loisir de s’exprimer, en particulier sur les événements de Concordia.

La demande de B’nai Brith survient après que M. Netanyahu et M. Asper ont assimilé la foire de Concordia au terrorisme palestinien et au nazisme. Faudrait surtout éviter de donner à ces interprétations débiles des événements une quelconque valeur en instituant une commission d’enquête. Que le comportement idiot de certains manifestants ce jour-là ait mené à l’annulation de la conférence, soit. Mais faut pas en faire tout un plat diplomatique. Quand vous accordez la liberté d’expression à quelqu’un, il est possible qu’il fasse le con. C’est ce qui est arrivé ce jour-là. J’aurais aimé d’ailleurs que le Congrès juif canadien s’excuse auprès de M. Netanyahu, en lui disant: "Mais c’est pire quand on gagne la coupe Stanley, vous devriez voir ça, le bordel!"

Pas besoin d’une mesure d’exception pour comprendre que la direction de l’Université a traité avec la légèreté d’une conférence sur la vie secrète des libellules ce qui allait inévitablement mener à l’échauffement d’esprits. Le débat dans lequel s’inscrivait la visite de M. Netanyahu est hautement émotionnel et touche des cordes très sensibles chez certaines personnes. À plus forte raison dans une université réputée pour son militantisme à tout crin. Fallait donc des mesures appropriées, comme permettre à la police d’appuyer les gardes de sécurité de l’institution à l’intérieur, et de garder ses culottes devant l’association Hillel, celle qui a invité M. Netanyahu, en lui autorisant seulement un espace plus adapté au contrôle des foules que le campus central.

C’est à l’Université à faire ses devoirs, c’est aux universitaires à crever l’abcès entre eux.