Même les fantômes endormis du parlement canadien n’ont guère eu l’occasion de brasser leurs chaînes lorsque la gouverneure générale Adrienne Clarkson lut lundi dernier d’une voix morne le dernier discours du Trône du parti dirigé par Jean Chrétien.
Pourtant, plus tôt cette semaine, quelques chroniqueurs de la scène politique voulurent nous faire croire que ce non-événement, plus qu’une succession de traditions protocolaires anachroniques, serait le bilan d’un règne, le testament politique du premier ministre.
Testament? Héritage? Je me suis fouillé.
Même les pires administrations, entre deux promesses d’ivrogne, deux illusions perdues, ont tout de même tenté de léguer quelque chose. Un geste, un cri, un boîte de Cracker Jack vide… Mulroney a bien tenté de réconcilier une partie des Québécois avec le Canada, Trudeau, quoi qu’on en pense, réformé la justice, Pearson, arboré fièrement son prix Nobel. Qu’est-ce que le hillbilly de Shawinigan peut bien nous avoir légué en 10 ans?
Un recueil de jokes improbables? Une compilation de faux pas suffisants pour monter toute une émission spéciale de Drôle de vidéo? Une panoplie d’allégations de favoritisme salissant son administration? Quelques études sur les entreprises culturelles québécoises, à 100 000 dollars la page, suggérant de subventionner les bigfoots du Madrid? Un ramassis de balivernes et de grossièretés lancées à tout vent du Japon à l’Afrique.
L’ Afrique!
Voilà. C’est sur le dos de ce continent qu’il souhaitait inonder de téléphones cellulaires que notre premier ministre s’est trouvé, comme ses prédécesseurs, une vocation tardive de tiers-mondiste. Ses récentes déclarations sur les attentats du 11 septembre en témoignent: comme Clark et Mulroney avant lui, le premier ministre ambitionne probablement de se retrouver sur le payroll de l’ONU comme d’autres s’en vont collectionner les timbres à la retraite. Mieux vaut effectivement finir en humaniste qu’en lobbyiste ou en pitcher de ti-lastics durant le conseil d’administration de Quebecor ou Lavalin.
Mais dites-moi donc pourquoi des nations en développement auraient besoin de ce spécialiste en démolition, vade-mecum de Trudeau qui a torpillé Meech, Mulroney, Bouchard, Lévesque et tout effort de rapprochement national au cri de: rien sans moi.
Chrétien avait-il au moins l’ombre d’une maîtresse comme John Major? Une panoplie d’ennemis jurés comme George W.? Quelque chose qui lui irrite le gros côlon ascendant à part ce conflit interne avec l’amiral Martin qui, faut-il l’admettre tristement, fut l’événement le plus excitant de son mandat? Son plus grand mérite aura-t-il été de tenir Jean Pelletier loin de Québec?
Bilan? Avant que notre honte ne se transforme en rire, que nos rires ne se transforment en indifférence, notre indifférence même parfois en sympathie pour ce malhabile naturel, il faudra se souvenir de la gêne originelle qui a habité tout témoin des performances de cette caricature ambulante en début de mandat. Et admettre piteusement, même si ça fait mal, que s’il a duré si longtemps, c’est peut-être, mononc-matante-sucre à la crème, qu’il nous ressemble…
Ah! au fait, aux dernières nouvelles, il paraît que l’écologie et l’urbanisme sont au programme de ce dernier tour de piste. Que pouvons-nous faire à part nous en réjouir? Le parc Juliette-Huot, le lac Roméo Leblanc, le mont Ouellet, la rivière Lara Fabian, le barrage Dion-Angelil, le square Gregory Charles, le pont Émile Genest et tant d’autres trésors en héritage! Quelle perspective emballante!