C’était le printemps
Qu’il était beau de les voir s’aimer tant
Mais au premier ciel gris
On n’a pu que déplorer que c’était fini
C’est ainsi que du Sommet de Montréal, en juin dernier, à aujourd’hui, les relations entre les syndicats et la nouvelle administration municipale ont évolué. Malgré l’orgie de bons sentiments et de flirts de corridor à laquelle on a assisté, un peu médusé et sceptique ("Il était sexy ton amendement à l’alinéa B de la proposition 274 du volet 4 en plénière" – "Et moi, j’ai été charmé par ta question de privilège au président"), aujourd’hui, l’amour contre nature entre les syndicats et le maire Tremblay vient de frapper le mur de la réalité. Les pouètes du dimanche qui s’étaient épivardés lors de la clôture du Sommet ne suffisent plus. Il va falloir de l’argent sur la table pour que la nouvelle Ville de Montréal signe ses premières conventions collectives dans l’exaltation et l’enthousiasme de juin dernier. Et de l’argent, il n’y en a plus. La nouvelle Ville est financièrement chancelante. Il y a d’abord un trou de 150 millions pour le budget de l’an prochain. Que ce soit 150 millions de tomates ou de dollars, ça ne change rien, puisque la tomate s’échange maintenant presque au pair avec le dollar canadien. Et que les dépenses courantes de la Ville augmentent trois fois plus vite que les revenus. D’ici là, le comité exécutif de Gérald Tremblay exige de tous les arrondissements de reprendre pour l’an prochain leur budget de 2002 – celui-là même qui les a forcés à choisir lequel parmi tous les nids-de-poule aurait l’insigne honneur de recevoir deux pelletées d’asphalte sec -, et d’y couper encore un pour cent. Tous les services de la Ville en sont réduits à compter les crayons, avec des compressions exigées de 6 à 9 %. Ça, c’est dans le cadre d’un scénario relativement optimiste. Tellement optimiste le scénario des grands argentiers de la Ville qu’il prévoit l’acceptation d’un gel salarial chez ses 26 000 employés. L’administration a d’ailleurs fait part ce printemps de ses offres pour le renouvellement des conventions collectives: 0 %. Rien, c’est le maximum que sa marge de manoeuvre financière lui permet d’offrir aux employés.
Malgré cela, à la clôture du Sommet de Montréal en juin, les principaux chefs syndicaux et le maire nous avaient presque laissé croire que l’île en question, dans le slogan "Une île, une ville", c’était l’île aux plaisirs des Douze Travaux d’Astérix.
Ces bons sentiments provenaient d’une formule NOUVELLE ET AMÉLIORÉE! pour la négociation des conventions collectives, disaient-ils. Plutôt que d’arriver à la table des négociations avec sa liste d’épicerie, chacune des parties établissait ses objectifs. Par exemple, la Ville: offrir de meilleurs services, sans qu’il ne lui en coûte un sou de plus. Les syndicats: toujours plus de syndiqués, toujours plus rémunérés, toujours mieux traités. À partir de ces paramètres, les deux parties doivent trouver des solutions qui répondent aux objectifs de chacune.
Enfin, on ne voit pas trop ce qu’il y avait de nouveau dans cette manière de négocier, mais si eux, les spécialistes, le disent, c’est que ça doit être neuf. Ou réinventé.
Mais qu’importe la façon dont on aborde des négos – par la résolution de conflits, par un système consensuel, ou par des séances de spiritisme -, il n’y a toujours qu’un seul objectif pour chacune des parties: améliorer son sort. Et quand on améliore son sort, c’est toujours un peu aux dépens de l’autre. La Ville ne peut économiser sans en faire payer un peu à ses employés. Et les employés ne peuvent espérer une amélioration de leurs conditions de travail sans qu’il en coûte à la Ville.
Alors, comme Obélix s’étant aperçu que l’île aux plaisirs était privée de sangliers, les chefs syndicaux ont convenu que les minoucheries n’apaisaient pas l’appétit. Il leur faut de la viande, et vite. Ils sont déjà à mettre la table. Rien de bien tangible pour le moment, mais la rhétorique de guerre a débuté dans les officines syndicales.
On avait déjà eu un avant-goût, cet été, de cette fin de lune de miel annoncée. Le président de la Fraternité des policiers, Georges Painchaud, s’en était pris à la patrouille civile à vélo que s’était offerte l’arrondissement Ville-Marie. Pas une armada, seulement 12 "patrouilleurs" cyclistes, et autant de casques protecteurs. Cette escouade, formée de jeunes employés de l’organisme privé Vélo-Sécur, a pour mandat de patrouiller les rues et les parcs de l’arrondissement à des fins de prévention, entre 10 h et 22 h, et d’aviser son coordonnateur des infractions qu’elle constate. C’est un travail de police, et ça prend des policiers pour l’abattre, avait tranché Georges Painchaud, avant de laisser tomber un grief bien officiel.
Même s’il avait raison dans son raisonnement, ce n’était certainement pas la raison qui avait motivé la sortie du fraternel policier. Elle lui servait plutôt d’alibi pour lancer une campagne de syndicalisation des 17 autres services de sécurité publique implantés dans les anciennes villes fusionnées. Autant de beau monde à syndiquer, et/ou à remplacer par des policiers supplémentaires. À des coûts supplémentaires.
Comme quoi, même dans l’affection, on ne réinvente pas la roue. On fait avec.