Mario Dufour : Un curé au front
Société

Mario Dufour : Un curé au front

Cette semaine, près d’une centaine de bénévoles, disséminés un peu partout à travers la ville, vous offrent d’acheter votre édition hebdomadaire de Voir pour une bonne cause, celle de la Fondation Saint-Roch qui, depuis cinq ans, vient en aide aux plus démunis de Québec. Nous avons rencontré MARIO DUFOUR, le curé de la paroisse, un homme dont l’ouverture d’esprit n’a d’égale que l’engagement.

Quand, en 1997, deux Cubains en visite au pays, un père et son fils, viennent le rencontrer pour qu’il les aide à rejoindre leur famille aux États-Unis, Mario Dufour ne fait ni une ni deux: "C’était un peu innocent de ma part mais j’ai dit: Pourquoi pas?" Rendu à la frontière du Maine et malgré les mises en garde des douaniers, il demande le statut de réfugié au nom des Cubains. "Une loi stipule que tout Cubain qui atteint le territoire américain est reçu comme réfugié. On les a donc laissés passer mais les douaniers ont saisi ma vieille Honda", nous explique en entrevue celui qui est depuis classé non grata par les autorités américaines.

Cette anecdote est révélatrice de l’homme qu’est Mario Dufour: un curé bien de son temps, rempli d’humour, d’une vive intelligence et qui n’a pas peur de monter au front pour défendre des causes sociales et humanitaires. "J’ai toujours été proche des communautés culturelles et sensible aux difficultés d’intégration qu’elles vivent."

L’implication de Mario Dufour auprès des laissés-pour-compte est aussi bien connue, mais en devenant curé de Saint-Roch en 1995, il se donnait avant tout pour mission d’en faire une paroisse ouverte, belle et vivante où les citoyens de tous les horizons se rencontreraient. "Il fallait briser l’image de ghetto de pauvres associée au quartier", poursuit-il. La Fondation Saint-Roch voit le jour en 1996. Son but est de rendre accessible le patrimoine religieux aux groupes communautaires et artistiques. "Maximiser l’utilisation des églises est le meilleur moyen d’éviter leur fermeture", clame celui dont une des premières réussites sera de garder ouverte l’église Notre-Dame-de-Jacques-Cartier.

Nécessaire résistance
"À mon arrivée, la place de l’église Saint-Roch était affreuse. Aussi, en 1996, j’ai envoyé une lettre à la Ville stipulant que nous avions décidé de faire un stationnement avec parcomètres sur le parvis de l’église. Ils m’ont traité de fou et m’ont proposé un plan pour embellir l’endroit", relate, visiblement fier de son coup, le curé de Saint-Roch dans un de ses nombreux éclats de rire qui ponctueront l’entretien.

À la même époque germe dans sa tête l’idée du Festival de musique sacrée, dont la sixième édition se tiendra à la fin octobre et qui a depuis acquis une belle renommée. "J’estimais que la beauté était pour tous un excellent moyen de lutter contre la pauvreté et l’exclusion." Car tout n’était pas rose à Saint-Roch au milieu des années 90 alors que sévissait la guerre des gangs. "Les bars "sautaient" aux trois semaines. Au printemps 1996, un meurtre sur le parvis de l’église Jacques-Cartier nous a incités à déposer des fleurs sur la scène du crime. Les médias ont sauté là-dessus en disant que je partais en guerre contre les motards avec des fleurs", ricane-t-il.

Ce geste symbolique fera du bruit et Mario Dufour participera aux pressions pour une loi antigang. "On a eu une menace à la bombe mais il ne fallait pas se laisser intimider." Avant le sommet socio-économique de 1996, un jeûne de protestation à relais se tiendra. "Il y aura toujours des pauvres, mais Jésus n’a jamais dit qu’il fallait les multiplier!" ajoute celui pour qui l’église Saint-Roch symbolise toujours un lieu de résistance.

Le mystère du mal
Originaire de Baie-Saint-Paul, Mario Dufour complétera ses études en obtenant une maîtrise en théologie en 1985 à l’Université Laval. Avant d’être ordonné prêtre en 1989, il sera coopérant au Burkina Faso de 1980 à 1982. Aussi, son goût de l’engagement envers l’étranger ne le quittera pas: en 1996, deux ans après le génocide, il se rendra durant trois semaines au Rwanda avec le Centre d’études et de coopération internationale (CECI). "L’Église a été très blessée alors que des prêtres ont été génocidaires et d’autres massacrés."

"Le CECI avait mis en place un programme de réinsertion des enfants ayant subi un traumatisme; certains étaient aphones, plus un son ne sortait de leur bouche", raconte notre interlocuteur.

Existe-t-il une explication théologique à la barbarie? "Au retour de la mission, je comprenais encore moins ce phénomène. C’est peut-être inscrit en chacun de nous, ce mystère du mal. On peut croire au pardon, mais si on tue notre enfant… à un moment donné c’est comme une chaîne de haine. Au milieu de tout ça, il y a le message chrétien qui veut qu’on lutte contre l’injustice", relate M. Dufour, qui devient très émotif à la simple évocation des événements.

Contre l’exclusion, pour la mixité
Bien qu’il n’y ait pas de commune mesure entre la détresse qu’il vit en Afrique et celle d’ici, la lutte contre l’exclusion et la marginalité demeure une priorité partout. "Dès 1995, le manque d’accompagnement et de suivi médicaux faisait de la désinstitutionnalisation une problématique sévère. Le presbytère avait l’air d’une gare centrale, c’était effrayant car on n’avait pas les ressources. Un ex-psychiatrisé s’est déjà retrouvé sous le cercueil pendant des funérailles; vous comprenez que ce fut un peu dur pour la famille", raconte, mi-sérieux, M. Dufour, chez qui l’humour semble l’antidote ultime au malheur humain.

N’empêche, ce genre d’incident servira de catalyseur. "J’ai envoyé une lettre au directeur du centre Robert-Giffard en 1998 pour lui demander un salaire pour le travail qu’ils ne faisaient pas. Ils n’ont pas su répondre. Nous, on s’amusait, c’était pour soulever la question mais encore une fois les médias se sont saisis de l’affaire. La direction de l’hôpital était en furie." Vous adorez l’ironie pour faire passer vos messages? "Et pis ça marche! On a enfin eu du personnel pour travailler dans le mail. Par la suite sont venus les budgets de fonctionnement avec des intervenants compétents pour le Centre de jour où personne ne subit de répression", se réjouit le pasteur qui perçoit la fin de la ségrégation sociale des marginaux avec les nouveaux arrivants dans le secteur. "La mixité de population, c’est positif pour tous."

Aussi, son originalité et son sens de la symbolique pour faire passer les messages ont pris une couleur inusitée il y a six ans. "Saint Roch, saint patron des chiens, soignait les gens lors des grandes épidémies. Un jour, malade et exclu des villages, c’est un chien qui lui a apporté à manger en forêt alors qu’il était en train de mourir. J’ai repris cette image du chien, compagnon des exclus, de ceux qu’on met dehors, pour instaurer la bénédiction des chiens le 16 août, fête de saint Roch."

Ce qui motive l’action sociale de M. Dufour, ce sont, on s’en doute, les fondements religieux et les valeurs de partage et d’échange. Aujourd’hui, la paroisse est colorée et accessible à tous; chanteurs gospel, chorale de Burundais, alcooliques anonymes, étudiants et marginaux s’y croisent. "Plus de 500 personnes passent au carrefour communautaire tous les jours. Nous manquons de financement public pour les affaires courantes. J’ai donc offert aux dirigeants municipaux de leur donner l’église, qui coûte 60 000 $ de chauffage par année. Claude Larose m’a répondu: "Si tu nous donnes l’église, on te donne le Colisée, tu t’arrangeras avec tes problèmes!"" renchérit notre incorrigible pasteur.

Mario Dufour rêve d’une société ouverte, plurielle et tolérante, à l’image de la paroisse qu’il mène depuis sept ans. Pour ce faire, chacun doit apprendre, élargir ses vues. "Il y a beaucoup de handicapés culturels au Québec. La fin du religieux a aussi créé un manque, un oubli de l’histoire", conclut le curé de Saint-Roch, le plus sérieusement du monde cette fois.