![Quêteux virtuels : Voyons don!](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/08/14042_1;1920x768.jpg)
![Quêteux virtuels : Voyons don!](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/08/14042_1;1920x768.jpg)
Quêteux virtuels : Voyons don!
"Z’auriez pas un peu de monnaie? C’est pour manger." Vous l’avez entendue souvent, celle-là? Mais combien de fois avec la précision "J’accepte les cartes de crédit"? Bienvenue dans le monde des quêteux virtuels!
Giguère Claude
Internet fourmille aujourd’hui de mendiants virtuels de tout acabit. Si, parmi ces quêtes, certaines semblent justifiées par une réelle pauvreté, la plupart restent le fait de citoyens occidentaux de classe moyenne qui pestent contre leurs dettes ou aspirent à la gloire et aux millions, certains prouvant parfois que le ridicule ne tue pas.
"Credit cards are evil!"
Lisa, une femme de 28 ans de Costa Mesa, en Californie, a récemment mis en ligne un site Internet dans lequel elle expose sans honte ses problèmes financiers (www.123saveme.com). Sur la page d’accueil, une photo la montre ciseaux à la main, en train de couper ses cartes de crédit. Ayant cédé aux multiples offres qui lui parvenaient des Master Card, Visa, Discover et autres, Lisa dit s’être réveillée avec plus de 30 000 $ de dettes assorties de hauts taux d’intérêt. Maintenant acculée au pied du mur, elle avoue avoir fait des achats irréfléchis, parmi lesquels "des billets de concert de Ricky Martin, une collection de poupées Barbie et des voyages". Elle s’en mord les doigts et promet de ne plus récidiver en même temps qu’elle lance un appel public à la charité.
"Aujourd’hui, je travaille 60 heures par semaine et tout mon argent sert à régler mes dépenses et mes dettes. Je n’y arrive plus. Si 30 000 personnes me donnent 1 $, ou 6000 personnes 5 $, je serai libérée, cesserai d’être stressée et pourrai recommencer à profiter de la vie à nouveau", plaide-t-elle. Vu que la dame débute dans la mendicité virtuelle, impossible pour l’instant de mesurer l’efficacité de sa démarche ou de prévoir l’acte final de sa tragicomédie.
30 000 $ en deux ans et demi
Henri Staforelli, 28 ans, est architecte de sites Internet à Vancouver et entrepreneur à ses heures. L’homme affirme s’en être mis plein les poches depuis qu’il a lancé le site www.givemeabuck.com, en janvier 2000. Jamais, auparavant, les statistiques qu’il nous a transmises n’auraient été dévoilées publiquement, pas même à sa femme qui le regarde d’ailleurs d’un drôle d’air depuis qu’il s’est mis en tête de devenir riche en mendiant sur le Net.
"J’ai reçu plus de 30 000 $ depuis que le site est en ligne, soit environ 8000 donations distinctes qui s’élevaient en moyenne à 3 $. J’ai aussi reçu 40 000 courriels de visiteurs et enregistré approximativement, au total, un million d’entrées sur le site", relate-t-il lors d’un entretien. Staforelli rêve ouvertement d’être l’un des invités du David Letterman Show. Il contacte régulièrement et en vain les gens riches et célèbres – Bill Gates est sa cible favorite – dans le but de leur quémander un petit million de dollars, un rôle dans un film ou une suite dans un château. Au sujet des donations reçues par le biais de son site depuis janvier 2000, il avoue jouer avec le compteur qui fait le total des donations. Lors de notre passage, celui-ci affichait un maigre 65,31 $. "J’ai observé que les gens me donnent plus régulièrement quand je dis que j’ai reçu peu et qu’ils sont moins généreux quand je mets des chiffres plus près de la réalité", explique-t-il sans remords.
Qu’est-ce qui a poussé ce fonctionnaire, propriétaire de deux compagnies de services Internet qui compteraient 3000 clients (ElectricToad et EtWebHosting), à se lancer dans la mendicité? "Je veux simplement faire plus d’argent et être riche pour la sécurité que ça apporte, cesser de stresser à cause de l’omniprésent amas de factures qui m’assaille et sortir ma femme dans les restaurants de luxe. Je promets d’être charitable à mon tour quand je serai riche."
Comme beaucoup de mendiants du Net, Henri Staforelli accepte les dons par cartes de crédit et s’est aussi ouvert un compte chez Pay Pal, une solution sécuritaire de paiement à distance. Serait-il capable, s’il perdait tout, d’aller quémander dans la rue de façon traditionnelle? "Non, je me trouverais un autre emploi, il y a toujours de la place pour ceux qui ont un esprit d’entrepreneur." Malgré les apparences, la démarche du "Givemeabuck Boy" reste empreinte d’humour, ce qui expliquerait en partie son succès. D’autres l’ont d’ailleurs suivi dans cette voie et des sites similaires ont poussé comme des champignons. Sur l’un d’entre eux, on affirme révolutionner les affaires en offrant la seule solution de "commerce électronique unidirectionnel " au monde. "C’est simple, vous payez, et en retour vous ne recevez rien", y explique-t-on. D’autres quêtent pour se payer une maison, une guitare, un Hummer.
Et les vrais pauvres?
Noël Fumey, 21 ans, habite à Lomé, capitale du Togo. Même s’il est né un 25 décembre, il est encore à la recherche de sa bonne étoile et a lui aussi tâté de la mendicité sur Internet ([email protected]), sans succès. Il a laissé sur des babillards et forums de discussion un court message de désespoir dans lequel il explique que 100 francs lui permettraient de passer un moment de rêve, a inclus son adresse postale et puis a attendu en vain. Interviewé par courriel, il a expliqué que l’accès à Internet lui coûte un dollar l’heure dans un cybercafé et qu’il ne peut donc se permettre que trois ou quatre heures par mois, le temps de prendre ses messages et de faire quelques lectures. Il partage avec ses deux frères une chambre de la demeure familiale. Seul son père a un boulot: il est laveur de vitres.
La première année d’études en droit de Noël fut mise sur la touche à cause de grèves monstres. Avec les troubles qui affectent son pays (141e sur 171 pour l’Indice de développement humain, PNB par habitant de 270 $, un régime despotique ayant comme figure de proue depuis 1967 le général Gnassingbé Eyadema dont les pas timides vers la démocratie impressionnent moins que la brutalité de son régime), Noël Fumey rêve maintenant d’exil. "Lorsqu’on est habitué, on ne remarque plus rien, dit-il au sujet des manifestations quotidiennes de la pauvreté. Mais il reste que pour nous, l’Occident, c’est l’eldorado. S’y rendre est le rêve de tous. Mes contraintes pour partir sont d’ordre matériel: si j’avais l’argent, je l’aurais fait depuis longtemps." Fier, il refuse de s’apitoyer sur son sort. "Je ne suis pas dans la rue, je n’en suis pas là. Je mange encore à ma faim…"
Les premières études scientifiques sur la pauvreté et la mesure des niveaux de vie remontent à un siècle à peine, rappelle Jean-Yves Duclos, professeur et chercheur au département d’économique de l’Université Laval. Selon lui, l’accès aux technologies de l’information permet aux habitants des pays en développement ou à ceux qui sont coupés géographiquement de s’intégrer à leurs voisins du nord. "Au-delà de ces exemples de mendicité, Internet facilite les échanges, commerciaux certes, mais aussi les échanges d’idées, ce qui peut être décisif et changer le cours des choses dans certains cas." Selon le chercheur qui s’est attardé aux phénomènes d’iniquité et de pauvreté, ce n’est pas tant le resserrement des critères d’admissibilité aux différents régimes d’aide publique par les gouvernements que cette accessibilité accrue à Internet qui assure que les mendiants virtuels sont bien là pour rester.