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Tourisme spatial : Destination soleil
Alors que quelques millionnaires bon chic bon genre et une vedette du spectacle faisaient la file pour décoller de Baïkonour, les États-Unis viennent de donner leur feu vert pour le premier voyage privé en orbite autour de la Lune. Les fanatiques se prennent donc à rêver de séjours dans l’espace. Malheureusement, les obstacles financiers et techniques semblent encore un frein à l’avènement de l’"homo spatium touristicus".
Yasmine Berthou
"Fly me to the moon
Let me sing among those stars"
Sinatra serait aux anges s’il savait que l’éther est devenu accessible au commun des mortels… ou presque. Depuis le vol du premier homme dans l’espace, le cosmonaute Iouri Gagarine, en 1961, cette immensité est le domaine réservé des scientifiques et des militaires. Quatre cents êtres humains seulement ont eu la chance de flotter au-dessus de la Terre. Mais, avec les années, grâce aux progrès de la science, s’arracher du plancher des vaches est devenu plus facile. L’idée loufoque de voyager dans l’espace est donc apparue moins saugrenue. La preuve, après les milliardaires Dennis Tito et Mark Shuttleworth, Lance Bass, chanteur du boys band américain N’Sync, voulait jusqu’à lundi dernier, lui aussi affronter les étoiles, malgré ses difficultés à réunir les 20 millions requis. En outre, les premiers touristes à voyager en orbite autour de la Lune pourraient bien prendre place à bord du vaisseau spatial TrailBlazer en juin 2003. La société californienne TransOrbital a en effet reçu l’accord des autorités américaines pour explorer et photographier la Lune, et pour y atterrir.
Julie Payette, astronaute en chef de l’Agence spatiale canadienne, estime que ce type de passe-temps fait partie du futur: "Il n’y a aucune raison pour que le tourisme spatial ne devienne pas un jour une industrie. Je vous assure qu’à elle seule, la vue en vaut la peine, et dormir en apesanteur est vraiment très confortable, une fois qu’on s’y est adapté…" On veut bien croire celle qui a eu l’occasion de faire 153 fois le tour de la Terre, à 400 km au-dessus de la surface, à bord d’une navette Discovery se déplaçant à 28 000 km/h. Cependant, la scientifique ajoute: "Nous en sommes encore loin."
Cap danger
Comme l’a laissé entrevoir l’explosion de la navette Challenger – qui a coûté la vie à l’institutrice américaine Christa McAuliffe, première touriste de l’espace -, en 1986, le voyage dans l’espace est une activité à haut risque. "Au décollage, et ce malgré d’énormes précautions, les chances de catastrophe sont bien réelles – gravité oblige", explique Julie Payette. Pour s’extirper de l’emprise de la gravité terrestre, il faut énormément de puissance, et celle-ci est canalisée dans de puissants moteurs-fusées bourrés de carburant hautement volatil. La probabilité de bris catastrophique au décollage d’une navette spatiale est ainsi estimée à 1 sur 250! (Ce qui, soit dit en passant, est une nette amélioration du taux de 1 sur 100 d’avant l’accident de la navette Challenger en 1986.) À ce taux de risque, il est hors de question de certifier un véhicule spatial pour usage "récréatif" auprès d’un quelconque ministère des Transports.
"Une fois en orbite et passé la phase critique de propulsion, la situation est plus stable, mais guère plus sécuritaire, précise celle qui a effectué une mission (STS-96) de 10 jours dans l’espace en 1999. Hors de la protection offerte par l’atmosphère de la Terre, la vie n’est tout simplement pas possible. Il n’y a pas d’air, pas de pression, des écarts extrêmes de température, de fortes radiations, et des milliers de micrométéorites qui bombardent tout ce qui s’y trouve. Le véhicule spatial devient alors la seule protection entre le néant hostile de l’espace et les humains qui y séjournent. Un bris dans l’étanchéité du véhicule, une avarie des systèmes de bord, une perte de contrôle, et c’est l’urgence qui nécessite une action immédiate." Rien de très encourageant pour les éventuels touristes que nous sommes.
Rêve prémonitoire?
Il n’empêche, la quête d’apesanteur attire de plus en plus de fanatiques prêts à mettre toutes leurs énergies et leurs finances pour réaliser leur rêve. "Au début du siècle dernier, lors des premiers vols en aéronefs, l’aviation semblait réservée à quelques élus doués et chevronnés, rappelle Julie Payette. Tous s’émerveillaient de leurs exploits, et le désir de monsieur Tout-le-Monde "d’aller faire un tour dans les airs pour admirer le paysage" ne tarda pas à se manifester." Un siècle plus tard, l’industrie aérienne est en pleine expansion et les avions accueillent 600 millions de voyageurs par an. Pourtant, les premiers passagers ont payé le prix fort pour avoir le privilège d’expérimenter cette nouvelle sensation. "Le désir d’aller faire un tour en orbite et de voir la planète de haut n’est qu’une extension qui ne devrait pas nous surprendre, remarque l’astronaute canadienne. Le risque est malheureusement beaucoup plus grand, et par conséquent, les coûts sont plus élevés et les possibilités d’obtenir une place à bord d’une fusée plus restreintes."
Mais le rêve est permis. La société Space Adventures l’a compris. Son slogan, "Entraînez-vous aujourd’hui, volez demain (C’est aussi simple que ça.)", encourage les amateurs à se préparer dès aujourd’hui pour un hypothétique vol vers la Station spatiale internationale (SSI). Pour cela, ils devront débourser 200 000 $US pour suivre le programme de qualification orbitale et 20 millions $US pour le vol en direction de la SSI (www.spaceadventures.com/orbital/index.html). Des sommes astronomiques mais justifiées car l’espace reste un milieu très hostile et difficile d’accès, où la vie ne peut être maintenue sans un support technique et logistique considérable.
Les ambitions des organisateurs de voyages en orbite restent toutefois claires. Le président de TransOrbital, Dennis Laurie, avoue: "Nous ne retournons pas sur la Lune pour l’explorer. Nous y retournons car il y a une source évidente de revenus là-bas." À 2500 $ le gramme transporté, il devrait y trouver son compte (www.transorbital.net). Julie Payette met cependant un bémol à cette future expérience: "La dernière fois que quelqu’un s’y est rendu (sur la Lune), c’était lors de la dernière des six missions Apollo en 1972. Nous y envoyons encore quelquefois des sondes, mais nous sommes encore très loin des vacances au Club Med lunaire."
Camping-quart
Car, à l’heure actuelle, voyager à 400 km au-dessus de la Terre à bord d’une boîte à sardines ultra sophistiquée n’est pas de tout repos. Le mal de l’espace frappe chaque individu à des degrés divers. "Le corps humain réagit à l’absence de l’effet de la gravité, et la période qu’il prend pour s’adapter peut indisposer certains de manière significative, prévient la scientifique. Ces chambardements physiologiques se résorbent presque entièrement au retour sur Terre, mais certaines séquelles peuvent rester, selon la durée du séjour en apesanteur." En outre, bien que les navettes spatiales et la SSI soient des véhicules hyper qualifiés, le confort de l’équipage n’est pas leur priorité. "L’environnement est plus analogue à du camping de groupe qu’à un séjour dans un hôtel cinq étoiles, décrit l’astronaute canadienne. Nous dormons en flottant dans des sacs de couchage et nous faisons notre toilette à la débarbouillette. Pour les besoins naturels, nous avons un compartiment d’hygiène dont le mécanisme est basé sur un concept de succion. Les déchets liquides sont rejetés hors bord, alors que les déchets solides sont entreposés, compactés et déshydratés, et ramenés sur Terre à la fin de la mission. Nous cohabitons avec nos collègues dans un espace très restreint, donc l’esprit d’équipe et la tolérance sont primordiaux pour la bonne entente et l’harmonie."
Vision panoramique
Le jeu semble néanmoins en valoir la chandelle. Les descriptions du paysage faites par Julie Payette donnent l’eau à la bouche même aux moins téméraires. "On survole le Canada, d’un océan à l’autre, en un peu moins de 10 minutes. Du hublot, on voit donc défiler la Terre, ses continents, ses océans. Le spectacle est époustouflant. Et si on n’avait pas tant à faire à bord, on passerait des heures à regarder, sans se lasser. La perspective est formidable et on se rend compte à quel point la planète bleue forme un tout homogène, un écosystème à la fois varié et changeant, fragile et autonome. Confinés dans
notre véhicule spatial, dépendants de son bon fonctionnement, on réalise que la Terre est en fait le seul endroit où les humains peuvent vivre et s’épanouir. Ça motive à s’en occuper et à bien la traiter, comme on s’occupe méticuleusement de la navette lorsque nous sommes en orbite. Enfin, de l’espace, même si l’on peut observer certains signes d’activité humaine (aéroports, centres urbains, irrigation, agriculture, etc.), on ne distingue pas les frontières politiques. On ne voit qu’une seule planète, partagée par sept milliards d’habitants."