Droit de cité : À chaque poids, sa mesure
Société

Droit de cité : À chaque poids, sa mesure

Il y a la rue Notre-Dame. Ça, c’est dans l’Est, cet Est folklorique que les écrivains anglos décrivaient avec le mépris attendrissant du missionnaire face au Sauvage. La rue Notre-Dame que, après moult allers-retours et hésitations à s’engager, l’on transformera en… en… on ne sait pas trop quoi.

En boulevard urbain? Un vrai boulevard urbain, c’est une voie de circulation à hauteur d’homme, avec de la vie humaine et urbaine tout le tour. C’est une route de quartier. Un écosystème aussi riche pour les humains qu’un marais peut l’être pour les canards.

Dire qu’il y aura une vie de quartier autour de l’artère, au terme de ses travaux d’aménagement, c’est y aller un peu fort sur la pensée magique. De gauche à droite, d’abord un milieu industriel lourd, puis huit voies de bitume où circuleront, les petites journées, 3600 (voire 4000 ou 5000 dans 10 ans) voitures à l’heure (1100 de plus qu’aujourd’hui), des voitures très pressées d’aller prendre stationnement au centre-ville, ou de rentrer à la maison en lointaine banlieue.

Ensuite, une rangée d’on-ne-sait-pas-trop-quoi-encore. Un talus gazonné? Un mur de béton? C’est ce qu’on saura quand la Ville aura terminé ses consultations, le printemps prochain, pour savoir comment atténuer les impacts de la nouvelle Notre-Dame, en aménageant une sorte de cordon protecteur entre la route et le voisinage résidentiel.

Si c’était vraiment un boulevard urbain, le projet de la nouvelle Notre-Dame, on ne chercherait pas à s’en protéger. On se collerait à lui. Hochelaga-Maisonneuve se brancherait dessus comme sur une bouteille d’oxygène.

Mais pour faire accepter son boulevard, Montréal a promis aux citoyens et aux autorités environnementales que la rue Notre-Dame traverserait Hochelaga-Maisonneuve en circuit fermé, isolée du quartier, le quartier isolé d’elle. Si l’administration Tremblay croit vraiment que son projet de réaménagement de la rue Notre-Dame est un boulevard urbain, pourquoi demande-t-elle aux citoyens leur avis sur les moyens à prendre pour s’en protéger?

Déjà, la solution berlinoise du mur de béton entre le quartier et le boulechose est écartée par un décret gouvernemental. Pour atténuer les effets du bruit, qui augmenteront au-dessus des niveaux actuels (déjà supérieurs aux normes laxistes de l’Organisation mondiale de la santé), il faudra opter pour d’autres moyens. Comme réduire le trafic? Non! L’objet de la réfection, du moins en sourdine, c’est de faire en sorte qu’il passe plus de voitures, l’ultime utilité de l’autoroute.

Et pourtant, on peut difficilement parler d’une autoroute itou. Une autoroute, ça a des entrées, des sorties, pas des feux de circulation, ni d’arrêts, encore moins de circuits d’autobus.

Bref, c’est comme un boulevard urbain, mais sans ses atouts, et comme une voie rapide… lente.

Alors, c’est quoi? Un bouleroute? Une bouleroute? Une bouleshit?

Traverse de minounes

Il y a Broughton Road. Un petit bout de rue parfaitement anonyme, qui prolonge la rue des Érables de l’ancienne ville Saint-Pierre, dans Montréal-Ouest. Comme la rue des Érables du Plateau, mais avec moins de densité résidentielle.

Ça, c’est dans l’Ouest, l’Ouest des Anglaises du Eaton’s. C’est tellement dans l’Ouest que là-bas, ça s’appelle Montreal-West. Un petit bout de rue où circulent quelque 100 voitures par jour, et encore, les gros jours. Après et avant, ça tombe à presque néant de circulation.

Pourtant, les résidents de Montréal-Ouest veulent y ériger une barricade d’un bord à l’autre de la rue. Pourquoi? Parce que la centaine de voitures qui l’empruntent ne proviennent pas du quartier. Elles arrivent d’en bas, de Saint-Pierre et de ses voisinages ouvriers. Ces derniers utilisent ce tracé pour couper court au trafic de la rue Saint-Jacques.

Imagine, des chars du bas de la ville! Des minounes. Ça fait du bruit, ça pollue, c’est laid, c’est sale, c’est vulgaire, c’est inhumain. Deux fois par minute, comme ça, pendant un peu plus d’une heure le matin. L’enfer au paradis.

Ce n’est pas Hochelaga-Maisonneuve, ici. On doit se préoccuper de l’impact des deux minounes à la minute sur la valeur des propriétés. Sur la sécurité des enfants (heureusement qu’ils ont le dos large), malgré la présence, pas très efficace, d’arrêts obligatoires et de dos d’âne. Une de ces minounes a écrapouti un minou, à un moment donné. Un miaou à vous glacer la chair de poule, qui a retenti dans tout le quartier. Là, ç’a été la goutte qui a mis le feu aux poudres d’escampette. Si c’est pas capable de se comporter en humains, ces conducteurs de minounes – c’est-à-dire en ne s’approchant pas à moins de trois kilomètres de Montréal-Ouest -, on va se barricader. Comme à ville Mont-Royal. C’est notre droit divin à l’enfermement.

Sans nécessairement applaudir, l’administration du maire Tremblay n’a pas l’intention de barrer la route à l’arrondissement Saint-Luc-Hampstead-Montréal-Ouest dans son projet de barricade. C’est une affaire d’arrondissement, et comme l’a promis Gérald Tremblay en campagne électorale l’an dernier, il laisse toute latitude aux élus de l’arrondissement. Au nom, sacro-saint, de l’autonomie des arrondissements. À chacun son degré d’autonomie.