Société

Droit de cité : Je fusionne moi non plus

En politique, il existe une flopée d’outils qui permettent de se sortir du pétrin. Pour les moments où on s’est mis les pieds dans les plats, par exemple, il y a le recul. Il y a aussi le silence, pour quand on s’est fait un peu trop aller la gueule. Il y a le plaidoyer avocassier pour se blanchir, quand on s’est "peinturé" dans le coin. Et, pour se relever après une chute sur une peau de banane posée par un adversaire, il y a la béquille accusatrice.

Depuis quelques semaines, c’est sur cette dernière que s’appuient certains députés libéraux, le cul par terre, à la suite de "révélations" du ministre des Affaires municipales, André Boisclair. "J’ai imposé la fusion parce que le député local est d’accord", a répété à quelques occasions de décrets l’altier Boisclair. C’est d’ailleurs la nouvelle politique municipale du gouvernement: après le "plus jamais" de Louise Harel, tout juste avant son départ du même ministère, le gouvernement s’est ravisé et a opté pour une version soft des fusions municipales forcées. Ainsi, si le député local – après tout, digne représentant des intérêts locaux – est d’accord, on impose la fusion.

Il y a deux semaines, c’est du côté de Magog que la Grande Liquideuse est passée. Parce que le député local, Robert Benoit, était d’accord. Or, ça tombe mal pour ledit député local: il est libéral. Un rouge, un vrai – pas un mauve, ces bleus passés au rouge en suivant Jean Charest depuis les conservateurs -, qui a connu la belle époque du veau d’or qu’il fallait adorer sous Bourassa.

Or, est-il nécessaire de rappeler la position officielle du Parti libéral sur la question? Pas de fusions forcées. Toutes les parties concernées doivent être d’accord avant de procéder, a encore martelé Jean Charest la semaine dernière.

Les explications du député libéral sur ces apparentes contradictions sont renversantes: il est odieux et irresponsable qu’un ministre divulgue sur la place publique le contenu d’une conversation privée entre eux. Vous avez bien lu: l’odieux dans cette affaire n’est pas que le gouvernement ait imposé d’autres fusions; ni que des députés libéraux renient leur programme, qu’ils disent une chose devant leurs électeurs, mais son contraire lors de discussions de couloirs. Encore moins l’aveu que la politique du volontarisme des libéraux en matière de fusion municipale est inapplicable. Non, le scandale, c’est que le ministre a bavassé. Hon! Méchant ministre. Il s’est fait le porte-panier de ce club sélect des parlementaires où, comme ça pour la galerie, ils ont l’air de s’haïr, de se détester même en peinture. Mais en privé, au Parlementaire – le chic resto à la truite pochée qui a particulièrement emballé le président du Conseil du patronat l’autre soir -, rendu au deuxième porto, hé bien, on est pas mal d’accord sur plusieurs questions. Et on se le dit dans le rouge des yeux. I drink to that!

À Magog, une seule des trois parties était favorable à la fusion. Mais le député libéral d’Orford – la circonscription où se trouve Magog -, Robert Benoit, un homme de bon sens, croit qu’on ne peut assurer les intérêts supérieurs de la population qu’en fusionnant Magog et ses deux voisines. "J’ai dit au ministre d’assumer ses responsabilités et d’agir dans le plus grand intérêt de la population. Il n’y a pas de dogme au Parti libéral sur les fusions en autant qu’on n’aille pas à l’encontre du bien commun", a-t-il commenté. Rappel, encore une fois mon père, mais par la citation cette fois-ci, du programme libéral: "Nous allons combattre fermement toutes les tentatives de fusion forcée au Québec." (Jean Charest, au moment de l’adoption de cette politique, il y a deux ans.) Retenez bien le "toutes".

Face à cette apparente contradiction avec le programme, son chef a rétorqué que le ministre Boisclair "s’est fait du capital politique et a voulu se dédouaner vis-à-vis de sa décision en invoquant l’opinion du député local". Quant à elle, l’opinion du député local, "elle n’est pas en contradiction avec le programme du parti". Lequel dit, on recommence une fois de plus: le droit de tout citoyen de choisir librement l’endroit et l’environnement où il souhaite vivre.

Plus tôt cette année, le député libéral de Brome-Missisquoi, Pierre Paradis, s’est fait le porte-parole de citoyens (dont plusieurs de ses organisateurs électoraux) demandant la fusion forcée du village et du canton de Sutton, même si la position officielle de l’une des parties était non à toute fusion. Paradis s’est défendu en affirmant que "le ministre devrait consulter la population par voie de référendum et respecter le choix démocratique", ce serait plus simple.

Maintenant, Jean Charest ouvre déjà la porte aux défusions de ces deux nouvelles villes "si c’est le voeu de la population de chacune des villes concernées". Être d’un raisonnement plus tortueux que celui-là, t’es le chef du Parti libéral.

Attendez une seconde, il est déjà chef du Parti libéral… Le hasard fait bien les choses.