Les animaux des jeunes de la rue : Aux petits soins
Société

Les animaux des jeunes de la rue : Aux petits soins

Un soir par mois, MYLÈNE-KIM LECLERC s’installe au coin des rues Papineau et Ontario pour soigner gratuitement les compagnons à quatre pattes des squeegees et des punks. Parce qu’en prolongeant la vie des bêtes, elle sauve parfois celle de leurs maîtres.

"Veux-tu bien me dire pourquoi ils ont un chien quand ils vivent dans la rue et n’ont même pas d’argent pour le nourrir?" Cette question, Mylène-Kim Leclerc se l’est souvent posée. Depuis qu’elle est impliquée dans le projet Les Animaux des jeunes de la rue, l’étudiante en médecine vétérinaire a compris que les "pauvres pitous" qu’elle croise sur le trottoir n’ont pas besoin de sa pitié. Ce qui ne l’empêche pas de donner un coup de main à leurs maîtres. Un mercredi par mois, elle quitte Saint-Hyacinthe en compagnie d’une dizaine d’étudiants et de professeurs pour venir soigner bénévolement dans la métropole les toutous, minets et furets de la faune bigarrée qui se presse dans une salle de classe de l’organisme Dans la rue, reconvertie en clinique.

Qu’on se le dise, les chiens qu’examine l’apprentie vétérinaire ne souffrent ni de malnutrition, ni de maladies graves. À peine ont-ils le pelage un peu boueux. Ils sont obéissants et beaucoup moins agressifs que les caniches aux griffes vernies qu’elle soigne dans une clinique privée. "C’est bouleversant à quel point les jeunes s’occupent bien de leur animal, amorce la porte-parole du projet, et seule étudiante à y participer tous les mois. Ils le nourrissent avant de se nourrir eux-mêmes. C’est terrible, mais c’est comme ça, parce que leur chien est leur confident, leur protecteur et souvent leur seule famille."

Pourtant, il y a trois ans, la situation était bien différente, selon le père Emmet Jones. Alerté par le piteux état des animaux que les jeunes amenaient à son Centre de jour – le seul organisme du genre à admettre les compagnons à poils -, Pops est allé frapper à la porte de la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, située à Saint-Hyacinthe, où Diane Blais, vice-doyenne aux affaires étudiantes et aux communications, et André Dallaire, vice-doyen aux études, l’ont chaleureusement accueilli. Grâce à eux, le stage Les Animaux des jeunes dans la rue en est à sa troisième année. Et leurs efforts commencent à être reconnus, entre autres par de grosses firmes qui participent à l’aventure en donnant du matériel informatique et des médicaments. Après l’entrevue, les responsables du projet se rendaient d’ailleurs au Gala Forces AVENIR, où ils ont récolté un prix.

Hors de la rue, le salut
En pleine canicule, une jeune fille se pointe à la clinique ambulante avec un chien aux coussinets plantaires brûlés par l’asphalte. Pour atténuer la douleur, elle lui a taillé des petites chaussettes dans sa seule paire de bas, et se promène depuis pieds nus dans ses Doc. Voici un exemple parmi les 35 à 40 cas qui défilent un mercredi soir par mois sur les tables d’examen de la clinique. Pour y voir: cinq équipes formées d’un étudiant de troisième année de la faculté de médecine vétérinaire et d’un étudiant en technique en santé animale du cégep de Saint-Hyacinthe – "les infirmières du milieu vétérinaire" -, conseillés par des internes et quelques professeurs. Depuis novembre 2000, 240 patients à poils ou à écailles ont été scrutés par les étudiants. Le stage est si populaire qu’il faut, chaque mois, tirer les participants au sort!

"Le contact est beaucoup plus facile avec ces jeunes qu’avec n’importe quelle autre clientèle parce qu’ils comprennent que nous sommes des étudiants et acceptent que l’examen soit un peu plus long, explique Mylène-Kim. La relation s’établit super facilement, vu qu’on a le même âge; peut-être pas la même vie, mais les mêmes intérêts de base, le même désir d’être heureux, même si on prend des chemins différents pour y arriver."

Les jeunes de la rue sont des propriétaires aussi curieux qu’exigeants. Quand ils lui confient Joey ou Nikita, Mylène-Kim sait qu’elle s’occupe de ce qu’ils ont de plus précieux. "C’est leur compagnon de vie et souvent, leur seule connexion avec le monde. C’est ce qui les grounde, les rend conscients de vivre en société. S’ils perdent leur animal, ils peuvent décrocher et risquent de se retrouver en prison, par exemple."

En un an, l’étudiante a examiné beaucoup de gros chiens, genre huskies, dobermans et pitbulls, des chats, deux furets, un rat et une tortue. Règle générale, plus le maître souffre d’insécurité, plus son meilleur ami est imposant. Si la plupart des propriétaires de logements refusent les animaux – "sans en avoir le droit!" -, les jeunes qui fréquentent la clinique ambulante passent outre. "Certains d’entre eux s’organisent: ils louent un 3 et demie à six personnes, avec 12 chiens et 8 chats…."

Ces petits débrouillards ne fréquentent pas les refuges, pratiquement toujours allergiques aux bêtes, leur préférant les piaules de copains, ou encore des migrations automnales vers la côte ouest. Selon Mylène-Kim, la plupart des jeunes qui fréquentent le Centre de jour de Pops sont optimistes quant à leur avenir et déterminés à réintégrer la société. "On a de passionnantes discussions qui m’apportent beaucoup! Ces jeunes sont des modèles d’organisation." Récemment, une jeune fille lui confiait même que la clinique ambulante lui avait donné espoir de devenir un jour vétérinaire.

Mylène-Kim, elle, savait à quatre ans qu’elle serait vétérinaire. Originaire d’une famille aisée "mais très ouverte" de Sainte-Foy, la pétillante blonde de 24 ans a suivi quelques cours en psychologie avant d’entreprendre sa médecine vétérinaire. Une heureuse initiative, qui l’aide à apprivoiser les maîtres. "C’est autant un métier humain qu’un métier animal! Il faut apprendre à poser les bonnes questions. Et parfois, ce n’est pas l’animal qui a un problème, mais son propriétaire, qui vient se confier à toi parce qu’il n’a personne d’autre."

Cela dit, elle ne s’amuse pas à traquer les petites bêtes noires des jeunes, libres de se confier ou non. Loin d’elle l’idée de jouer les thérapeutes, d’autres le font très bien. "Mon rôle, c’est de soigner l’animal et si, ce faisant, j’aide le jeune, tant mieux. Je n’ai ni les compétences, ni le temps de faire de l’intervention psychosociale." Il est vrai que juste pour répondre aux nombreuses questions des visiteurs, l’équipe a déjà fort à faire…

Vive d’esprit et rieuse, Mylène-Kim se renfrogne lorsqu’il est question de l’étroitesse d’esprit des ses concitoyens. "La société n’est pas prête à entendre que des jeunes itinérants se font donner plein de choses, parce qu’ils sont perçus comme des fugueurs et des anarchistes qui n’ont qu’à se débrouiller avec leurs problèmes. Même s’ils travaillent fort pour s’en sortir." À ceux qui s’inquiètent du sort des chiens sans niche, elle répond: "Qu’ils s’informent, ils découvriront à quel point les animaux sont importants pour les jeunes, au point d’être souvent la raison pour laquelle ils vivent encore, et comment ils les traitent bien! La société doit comprendre le pouvoir thérapeutique des bêtes, pour s’en servir de plus en plus auprès d’une population vieillissante. Quand on voit comment les chiens sont importants dans la vie des jeunes de la rue, on se dit que pour sa grand-mère aussi, ils pourraient faire des miracles…"