Boycotté en Bourse : Par Desmond Tutu
Société

Boycotté en Bourse : Par Desmond Tutu

Fermement opposé à l’occupation des territoires palestiniens, le récipiendaire du prix Nobel de la paix de 1984, DESMOND TUTU, propose d’opposer à l’immobilisme des gouvernements des mesures concrètes de boycott semblables à celles qui ont mis fin à l’apartheid en Afrique du Sud.  Étonnant.

La fin de l’apartheid apparaît sans doute comme le couronnement d’une série d’accomplissements majeurs ayant marqué le siècle dernier. Cependant, nous n’y serions sans doute jamais parvenus sans les pressions appliquées à l’échelle internationale – particulièrement le mouvement de boycott (disvestment) des années 1980. Au cours des six derniers mois, un mouvement similaire a pris forme, s’attaquant cette fois-ci à la suppression de l’occupation israélienne.

Le démantèlement de l’apartheid en Afrique du Sud a été réalisé par des gens ordinaires, à la racine du peuple. Des leaders animés par la foi ont informé leurs disciples, les membres de syndicats ont imposé une ferme pression sur les détenteurs d’actions des compagnies pour lesquelles ils travaillaient alors que les consommateurs eux-mêmes entreprenaient un échange animé avec les propriétaires de commerces. Les étudiants ont aussi joué un rôle indispensable en forçant leurs universités à modifier leurs portfolios boursiers. Avec le temps, et grâce à la persistance de ces acteurs, les institutions ont finalement retiré leur apport financier, poussant le gouvernement de l’Afrique du Sud à revoir ses politiques.

Ce sont les mêmes types de moyens de pression moraux et économiques auxquels font aujourd’hui face les supporters d’Israël. Les étudiants de plus de 40 universités états-uniennes demandent que les investissements de leurs établissements dans des compagnies israéliennes soient revus, de même que dans certaines compagnies avec lesquelles cet État brasse d’importantes affaires. De Berkeley à Ann Arbor, les conseils de ville ont aussi débattu à ce propos.

Ces tactiques ne sont pas l’unique parallèle à la lutte contre l’apartheid. Les habitants des townships sud-africains d’hier peuvent très bien décrire ce qui en retourne de vivre dans les territoires occupés. De ne pouvoir se déplacer librement dans sa terre natale sans l’accord d’un soldat; de nécessiter bien plus qu’une simple urgence pour pouvoir se rendre à un hôpital alors que ce qui ne constitue même pas un crime puisse vous valoir un rapide aller simple en prison. Les plus chanceux détiennent un permis leur donnant accès à certaines villes israéliennes dans le strict cadre de leur travail, mais toute chance s’évanouit lorsque la sécurité ferme tous les accès, paralysant d’un seul coup un peuple entier. Leur indignité, leur dépendance et leur colère ne sont que trop familières.

Plusieurs Sud-Africains commencent d’ailleurs à reconnaître ces parallèles avec ce que nous avons subi. Ronnie Kasrils et Max Ozinsky, deux héros juifs du combat anti-apartheid, ont récemment rendu publique une lettre intitulée Pas en mon nom. Signée par de nombreuses autres éminences juives d’Afrique du Sud, cette lettre décrit d’évidentes analogies entre les politiques de l’apartheid et celles d’Israël. Mark Mathabane et Nelson Mandela ont aussi souligné ces parallèles avec l’expérience sud-africaine.

Mais critiquer l’occupation ne signifie pas nécessairement qu’on ignore les forces distinctes d’Israël, pas plus que de protester contre la guerre du Vietnam ne signifiait qu’on ignorait les libertés acquises et les accomplissements humanitaires des États-Unis. Dans une région où des gouvernements répressifs et des politiques injustes sont la norme, Israël est sans doute un État plus démocratique que plusieurs de ses voisins. Cela ne justifie pas moins la priorité qu’on doit accorder au démantèlement des colonies. La fin de l’apartheid en Afrique du Sud n’était pas moins justifiée parce qu’ailleurs en Afrique, la répression était chose courante.

L’agression n’est pas plus acceptable parce qu’elle est commise par un pouvoir démocratique. L’ambition territoriale est aussi illégale si elle est commise avec lenteur, comme pour les colons israéliens dans les territoires occupés, ou en accéléré, tel que ce fut le cas des tanks irakiens au Kuwait.

Les États-Unis ont la responsabilité d’intervenir lorsque leurs États-clients commettent des atrocités, et puisque Israël est l’un des plus importants de ceux-ci, la fin de l’occupation devrait être au sommet des préoccupations de tous les Américains.

Presque instinctivement, le peuple Juif s’est toujours rangé aux côtés des sans-voix. Leur histoire est douloureusement ponctuée de déportements massifs, de démolitions d’habitations et de châtiments collectifs. De leurs écrits, on retient aussi un sens aigu de l’empathie pour les désavoués. L’occupation apparaît donc comme une dangereuse forme d’amnésie pour cette persécution de laquelle ces traditions sont nées.

Mais certains se souviennent, même au sein des organisations militaires. Plusieurs centaines d’officiers décorés ont d’ailleurs refusé de servir dans les territoires occupés. Ceux qui ne sont pas encore emprisonnés ont entrepris de diffuser leur message dans les synagogues et les campus des États-Unis, établissant qu’il est juste que l’État d’Israël doive être sécurisé, mais qu’il n’y parviendra jamais tant et aussi longtemps qu’il agira comme une puissance d’occupation. Plus de 25 colonies ont été établies au cours de la dernière année. Chacune d’entre elles représente un pas en arrière pour la sécurité que méritent d’ailleurs amplement les Israéliens, et deux pas de recul pour que justice soit finalement faite aux Palestiniens.

Si l’apartheid a pris fin, il est tout aussi plausible que l’occupation arrive à son terme. Mais il faudra que les pressions morales et autres du monde entier soient au moins aussi fortes dans ce deuxième cas. L’effort de boycott n’est qu’un premier effort dans cette direction, d’autres devront être entrepris.