Droit de cité : Montréal est un trou
Société

Droit de cité : Montréal est un trou

Ainsi, la plus pédante et insignifiante des revues, Wallpaper, un magazine dont on ne saisit toujours pas l’objet sinon le n’importe quoi, sacre le nouveau Montréal. Preuve ultime, s’il en fallait une, qu’Hochelaga a un avenir de métropole plus brillant et rutilant qu’une Camaro passée à l’Armor All. Qu’on réussit l’exploit d’être sur le retour sans jamais avoir été nulle part.

Depuis quelques années, c’est la dithyrambe autour de l’économie et de la vie en général à Montréal. La rue comme les élites, et moi-même à l’occasion, participons tous à cette célébration. Ça en frise parfois l’hystérie.

Mais suffit de cesser de regarder les grues en l’air pour avoir l’impression d’être dans la cour des Ceausescu ou des Kim de la Corée atomique, tant l’euphorie déborde trop pour être vraie. Il y a une telle rumeur optimiste sur l’état de Montréal qu’on ne s’entend plus penser.

Alors, pendant que la horde de plateaupithèques fait la java sur Mont-Royal pour célébrer ni plus ni moins que la nouvelle Alexandrie-en-Québec, le monde réel du Montréal véritable, lui, poursuit son petit chemin down the drain

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Allons-y sans plus de précautions: Montréal est un trou. Pas un trou métaphorique. Non, non, un vrai trou, comme Milwaukee est un trou, comme Marseille est un trou, comme Shawinigan est un trou. La qualité de vie à Montréal? Vous voulez rire? En fait, pour améliorer leur sort, les Montréalais pourraient envisager Saint John’s, Newfoundland, et ce serait déjà mieux.

Premier coup de pelle au trou: une vaste étude comparative du National Post. Le quotidien a réuni une demi-douzaine d’universitaires pour sacrer la ville où il fait le mieux vivre au Canada. Bien qu’il s’agisse du Post, un journal à la calomnie facile contre Montréal et le Québec, il n’y a pas de place dans cette étude pour un biais idéologique. Les panélistes se sont penchés sur 46 critères quantifiables et vérifiables, et ont pris à témoin les chiffres de Statistique Canada.

C’est bien simple, tous les critères pris en compte (qualité de l’air, parcs, services de santé, dépenses et abonnements dans les bibliothèques publiques, coût du transport en commun, taux de criminalité, dépenses par élève des commissions scolaires, politiques de santé publique, etc.), Montréal arrive bonne dernière. N’eût été de notre propension à être moins gros et alcooliques que nos voisins canadiens, le score de Montréal aurait pu frôler l’épouvantable. Il frôle seulement le désespérant.

Voici leurs données recueillies:

Montréal est la ville la plus pauvre du Canada. Le revenu médian (toutes sources confondues, ce qui inclut les salaires, mais aussi les revenus de retraite, l’aide sociale, etc.) des Montréalais dépassait à peine les 17 000 $ en 2001, contre plus de 21 000 $ pour la moyenne canadienne. Oubliez les sempiternelles allégations du coût de la vie plus élevé à Toronto et à Vancouver pour nous faire croire qu’on vit aussi bien ici qu’ailleurs. On est plus pauvre à Montréal que partout ailleurs au Canada. Plus qu’à Winnipeg, Moncton, Flin Flon et pourquoi pas, tant qu’à tourner la calculatrice dans la plaie, qu’à Saint-Jean de Terre-Neuve. Or, il n’y a aucune excuse à afficher un salaire médian inférieur à celui de Saint-Jean, à Terre-Neuve.

Les Montréalais s’avèrent les plus stressés de tous les Canadiens.

À peine 36 % d’entre nous font de l’exercice physique régulièrement, contre une moyenne nationale de 42 %.

Montréal est la ville la plus bétonnée. Celle qui compte le plus d’espaces verts à la disposition de ses citoyens, c’est Saint-Jean, à Terre-Neuve, avec presque 13 hectares de parcs par 1000 habitants. Pour comparer les comparables, disons seulement que Toronto compte trois fois plus d’espaces verts que Montréal. Ottawa, cinq fois plus, et c’est sans compter le parc de la Gatineau et ses 200 kilomètres carrés de nature à trois coups de pédale du Parlement. Vancouver compte à peine un demi-hectare de parc par 1000 habitants de plus qu’à Montréal. Mais ça, c’est à l’intérieur de la ville. Tout juste au-delà de ses limites, c’est la nature sauvage à perte de vue, sur des centaines de milliers de kilomètres carrés.

Montréal est la moins éduquée: avec 5 % des travailleurs détenant moins de huit ans de scolarité, aucune autre ville ne rivalise avec la métropole québécoise à ce chapitre; 18 % de la population n’a pas de diplôme secondaire, contre 12 % à Toronto.

La criminalité? Grand argument devant l’éternel servant de faire-valoir, Montréal demeure une des villes les plus violentes au Canada. Plus qu’à Toronto, Vancouver, Ottawa et Calgary. Seules quatre agglomérations font pire.

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Et il y a eu d’autres oiseaux de malheur. La Presse nous apprenait samedi dernier que selon les projections du professeur Luc-Normand Tellier, du Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, l’économie de Montréal, la deuxième en importance au Canada présentement, n’occuperait plus que le cinquième rang d’ici une génération ou deux.

D’après une étude du cabinet en urbanisme Daniel Arbour et associés, menée pour la Communauté urbaine de Montréal, que nous pouvons maintenant consulter, Montréal est trois fois plus pauvre que Boston, avec un produit intérieur brut (PIB) de 26 629 $US par habitant. C’est de cette étude qu’est issu le nouvel aphorisme du maire Gérald Tremblay, qui ne cesse de répéter que Montréal est "26e sur 26" depuis quelques semaines. L’écart entre Montréal et Boston ne s’explique pas par le taux de change entre les dollars canadien et américain: cette donne a été prise en compte dans l’étude pour arriver malgré tout à ces résultats accablants.

La même étude nous indique que Montréal est l’une des villes les plus vieilles du continent, avec un âge médian de 36 ans.

De plus, Montréal a beau se classer au 10e rang des grandes agglomérations du Canada et des États-Unis pour sa population, mais la dégringolade l’attend: sa croissance démographique est anémique, se classant au 32e rang. Or, dans une société industrialisée, toutes les régions en état de décroissance ou de stagnation démographique s’appauvrissent. Pire, elles s’embarquent dans une spirale de l’enfer: elles s’appauvrissent parce qu’il y a moins de monde, et il y a de moins en moins de monde, parce qu’elles s’appauvrissent.

Et pour finir le plat, le sociologue Charles Côté, qui a étudié la misère des régions éloignées, prévoit que la déprime sociale que vivent la Gaspésie et le Saguenay rattrapera Montréal tôt ou tard, avec une si faible croissance démographique, de si faibles revenus et une population si âgée…

Sur ce, bon week-end.