Connaissez-vous la vitesse à laquelle voyage une balle? Savez-vous où acheter un silencieux performant? Où trouver un gadget pour récupérer les douilles éjectées par une arme? Moi, oui. Maintenant! Car j’écoute les nouvelles en direct.
Et c’est fou ce que l’on peut apprendre ces temps-ci sur l’art de tuer proprement en Amérique.
Car entre chacun des épisodes des sinistres aventures du tireur en série, une éternité s’écoule pour la télévision.
Alors, pour tuer ces temps morts entre les morts, on convoque d’abord des psychologues qui se perdent en conjectures sur le profil et les motivations du sniper de Washington. Terroriste? Adolescent exalté? Militaire frustré? Nobody avide de gloire? Personne ne sait.
Débarquent ensuite les spécialistes. Un bataillon d’ex-tueurs professionnels qui, après le pourquoi, font le détail du comment.
Des gros bras, tête en brosse à plancher, papotent avec la jolie Sofia, eye-liner rouge à lèvre, de la luminosité du dernier télescope.
On mesure la réverbération d’une détonation devant un steak house.
La précision du tireur sur plus de 100 mètres.
Recrutés dans la cour arrière des académies militaires, les professionnels de l’embuscade arrivent difficilement à cacher leur admiration pour la belle mécanique de la famille du M-16. Surtout équipé de balles explosives.
Car parmi les membres de la National Rifle Association ou dans les clubs de chasse d’Amérique, s’il s’en trouve pour radoter que les armes ne tuent pas toutes seules, rien n’empêche ces amateurs de gros calibres de souhaiter que l’inventeur de ce petit bout de métal justement fabriqué pour vous apprêter la cervelle à la sauce J-F K reçoive le prix Nobel.
Entre les vieux qui, de peur, se vident le réservoir à la station-service, la hausse sur CNN du 30 secondes de double double bacon-saucisse et l’infecte pestilence de tous ces inquiétants spécialistes du flingue qui devant votre t-shirt de Guevara se transformaient en justicier anticommuniste, l’Amérique étale sans état d’âme une fascination morbide pour les armes. Un amour immoral qu’aucune loi ne viendrait contredire sans que Colt, Remington, Gluck, Beretta, avec tous les criminels du monde entier en commandite, ne se mettent à exercer des pressions sur l’opinion publique.
Et on imagine sans peine, par extension, des dizaines de p’tits crisses, sur l’acide et le PCP la fin de semaine, gober dans le sous-sol du bungalow des heures de télévision qui leur raconte la chose suivante: Il n’y a pas de plus grand, de plus excitant sport, de meilleure manière de se distinguer dans cette mer de monde que de s’en aller aux frontières de l’abîme viser au hasard. Shoot to kill! Après l’ours et le canard, la saison de la chasse à l’homme est commencée.