Société

Droit de cité : Monsieur le ministre

Alors, Pierre Bourque à l’ADQ, c’est du sérieux?

Qu’en sais-je? Vous me regardez comme ces 40 % de Canadiens, qui, selon un sérieux sondage Léger sur la question de la voyance (à ne pas confondre avec le voyeurisme), croient dur comme une boule de cristal qu’il y a des mortels capables de communiquer avec l’immortel, et ainsi d’entrevoir de quoi sera fait l’avenir.

Au moment d’écrire ces lignes, Pierre Bourque ne le sait pas lui-même s’il sera (ou peut être) candidat pour l’Action démocratique (ADQ) de Mario Dumont. Toutefois, sans même l’aide de feuilles de thé ou de cartes de tarés, pardon de tarot, on peut soupçonner que l’intérêt est là. Le chef de l’opposition à l’Hôtel de Ville, et ancien maire de Montréal voyant dans cette invitation une occasion d’en découdre avec ses ennemis jurés, les libéraux du Québec.

Il y a quelques semaines, au lancement de sa contribution à la déforestation (Ma passion pour Montréal, Éditions du Méridien), Pierre Bourque nous avait confessé candidement son amour pour les libéraux: "Je vais tout faire pour que ces gens-là soient battus à la prochaine élection." Une déclaration faite avec toute la chaleur humaine qu’on lui connaît.

Déjà, des farceurs se sont amusés à imaginer un ministre des Affaires municipales, Pierre Bourque, voler à la rescousse des finances de la Ville de Montréal, que son adversaire d’aujourd’hui n’arriverait pas à dompter. Un ex-maire de Montréal qui n’a jamais su boucler ses budgets sans l’aide du gouvernement du Québec, qui conseille le présent maire incapable de boucler, lui, son budget sans l’aide du gouvernement du Québec. Du moyen guignol en perspective.

On peut aussi imaginer la volée d’accusations de conflits d’intérêts à son égard, si, par le fruit du hasard, des décisions de ce même ministre aient pour effet directs comme indirects d’avantager un parti municipal qui porte encore son nom (le nom du parti dont Pierre Bourque est encore chef à ce jour est Équipe Bourque/Vision Montréal).

Ce qui nous annonce que le rapprochement entre Bourque et l’ADQ ne date pas d’hier. En 1998, l’ADQ avait emprunté au parti de Pierre Bourque l’ingénieuse idée d’accoler, sinon de racoler le nom de son chef à celui du parti. Ainsi, nous qui étions habitués à des noms de partis qui évoquaient l’action, le mouvement, le renouveau, l’avenir, le citoyen, la vue, l’ouïe, l’odorat ou le toucher, devions nous adapter à un parti devenu indissociable de son maire. Comme l’avait fait remarquer une collègue à l’époque, si ce changement était inévitable de la part d’un politicien qui s’était tellement fondu dans sa fonction qu’il parlait de lui-même à la troisième personne, il était aussi terrifiant de stratégie. Ainsi, un parti, Vision Montréal, que même pas un Montréalais sur 50 était capable d’identifier, devenait du coup beaucoup plus facile à assimiler à une image. Ne restait plus qu’à travailler sur cette image.

La leçon avait été retenue par les adéquistes, puisqu’en plein milieu de la campagne électorale québécoise de la même année, au moment où Mario chauffait ses égaux dans les sondages, mais que son parti, lui, ne récoltait qu’une miette ou deux des intentions de l’électorat, l’ADQ nous annonçait le rebaptême du parti pour Équipe Mario Dumont/Action démocratique du Québec.

Et Mario Dumont aime bien rappeler qu’il a été le premier des politiciens encore en activité à Québec à soutenir la fusion des villes de l’île de Montréal.

Phénomène

Pierre Bourque qui touche de l’ADQ, le frère du maire, Marcel Tremblay, itou, il y a là comme une tendance qui prend les formes du phénomène. Un mouvement qui va dans le sens contraire du sens général des choses.

C’est que d’ordinaire, la faune politique des paliers fédéral et provincial se regroupe dans le monde municipal, parce que les organisateurs doivent bien s’occuper entre deux élections. C’est la dilettante où les enjeux ne sont pas forcément très élevés, personne ne risque son emploi, on met à l’essai de nouvelles stratégies élaborées autour d’un pot. On s’y fait des amis, et Dieu sait, comme notre ambassadeur au Danemark du reste, que les amis en politique, c’est important. Des stratèges et bras libéraux fédéraux, québécois et péquistes que l’on voyait d’épaule à épaule, d’un côté comme de l’autre de la ligne de partage des eaux de la politique municipale. Tantôt pour un Bourque, tantôt pour un Tremblay.

En général, le mouvement va du haut vers le bas. Confirmant le statut de vassal des politiciens municipaux à l’égard de leurs grands frères à Québec et à Ottawa. Ce qui explique pourquoi ils sont rarement bavards lors des campagnes à Ottawa et à Québec, même si le résultat d’une élection peut avoir des conséquences considérables sur leur travail. Comme ça, en demeurant cois dans leur coin, les politiciens municipaux évitent de se faire des ennemis inutiles à qui ils auront à quémander des bouts d’autoroutes et des subventions pour le Festival du piéton unijambiste après les élections.

Mais le phénomène tel qu’il nous apparaît en ce moment, c’est un mouvement du bas vers le haut. Incapables d’entrer et de se faire accepter dans les cercles très fermés des libéraux et des péquistes, ils voient en l’ADQ l’occasion de se faire eux aussi larrons.

Si Pierre Bourque et consorts veulent tenter leur chance avec l’ADQ, grand bien leur fasse. Mais cette décision doit être ancrée dans des convictions solides. Il y a déjà assez de carpettes et de pique-assiettes humant la bonne l’odeur du bunker qui gravitent autour de l’ADQ comme ça.