Société

Bonne nuit les tout-petits

Quand j’étais petit, je croyais que la lune était une savonnette Ivory. Et comme j’étais pas fort sur l’eau chaude et la débarbouillette, je plaignais les extraterrestres qui devaient y habiter.

Mais forcément, on n’échappe pas à toutes les emmerdes dans ce bas monde. Les terriens eux avaient, semble-t-il, la fâcheuse habitude de laisser leurs enfants tout juste en âge de marcher entre des bras étrangers entre huit et cinq. C’était au mieux une grosse madame qui vous rongeait les ongles avec les dents, au pire une salle de classe minable peinte en bleu blanc rose dans un édifice merdique avec plein d’inconnus. Tout le monde hurle et pleure, c’est infernal.

Quand j’étais petit, je croyais que les enfants adoptés n’avaient pas de nombril et que c’était les seuls qui n’étaient pas gentils.

Les psychologues de la petite enfance et les pédagogues du cru vous l’expliqueront: peu importe qu’à l’évidence aucun enfant de trois à six ans n’ait le moindre désir de contact avec des gens de son âge. Même quand ce n’est pas nécessaire, il faut caser les enfants à la garderie pour leur apprendre à socialiser. Sinon les pauvres petits auront de graves déficits dans l’existence. Alors Dieu sait qu’on apprend le malheur, le chagrin et l’absence de ceux qu’on aime. Qu’on apprend que l’ennemi, c’est l’autre. Celui qui veut vous piquer vos jouets.

Les garderies? On appelle ça maintenant des centres de la petite enfance, tout comme une prison, on appelle ça un centre de détention.

L’un dans l’autre, il y a des ressemblances. Dans les deux cas, ce qui y règne, c’est la loi du plus fort. On s’y échange des microbes et de mauvaises manières. Mais si le régime de la prison demeure bénéfique pour la santé de ses pensionnaires, nos garderies ressemblent plus aux sanatoriums de la Grande Guerre. Des légions de damnés, blêmes, contagieux, en pénurie d’anticorps se traînent la langue sur des planchers sales, épuisés, cernés, perpétuellement malades; asthmatiques, allergiques, grippés en permanence, se chicanant pour une tête de poupée en plastoc. Braillent en arrivant et braillent en repartant parce que l’enfant entre-temps, comme l’homme, s’habitue à tout.

J’ai lu quelque part que certains spécialistes de la petite enfance déploraient la déresponsabilisation des parents qui, profitant des services de garde subventionnés, s’en vont jouer au golf au lieu de s’occuper de leur marmaille. Moi, la majorité des parents que j’ai connus déposaient leurs enfants dans ces endroits à reculons.

Au fait, je voulais au départ vous parler de choses sérieuses. Par exemple, du bourbier dans lequel chaque gouvernement s’enfonce, malgré la meilleure bonne volonté du monde, à chaque fois qu’il est question de réformer, de financer, d’encadrer les services de garde.

Mais ce qui me remonte à l’esprit, l’image qui persiste en moi des garderies, c’est l’envie permanente de dizaines d’enfants de rentrer chez eux pour se mettre à l’abri des autres. Ou l’écoeurement des petits salariés coincés dans des structures plus grandes que nature qui subissent à coup de Tylenol ce qu’aucun parent cherchant son enfant parmi 35 autres dans ces parkings humains ne voudrait endurer.

Cette situation contre nature dictée par la nécessité économique et cautionnée par des pseudo-impératifs psychologiques s’est insinuée dans les sociétés. Et c’est pour beaucoup chaque matin comme si le malheur et la culpabilité qui passent étaient des états obligatoires.

Cégeps, polyvalentes, services de garde? Le temps des supermarchés de la culture et de l’éducation où la jeunesse qui se cherche ne se retrouve pas sera un jour je l’espère révolu. La seule solution reste de revenir aux petites unités sociales où l’individu retrouve un visage humain. Il s’agit bien sûr en ce qui concerne les garderies de soutenir celles qui sont en milieu familial. De financer ces petits groupes où l’enfant, dans la tendresse et la chaleur d’un regard, d’une caresse familière, peut s’endormir en serrant son lapin.