![L'exode rural: de l'espoir? : Hémorragie rurale](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/08/14491_1;1920x768.jpg)
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L’exode rural: de l’espoir? : Hémorragie rurale
Les plus récents rapports sont clairs: même sous l’action des gouvernements et municipalités du Québec, on n’enrayera pas la migration des jeunes du milieu rural au milieu urbain. Portrait actuel de la saignée, de ses raisons et des garrots suggérés par les experts pour freiner l’hémorragie.
David Thibodeau
Dans la série "La ville comme choix", survolons la tablette des cas vécus: Josée, 20 ans, quitte sa Côte-Nord parce qu’on n’offre pas chez elle la formation qu’elle souhaite; Marie-Christine, 24 ans, qui avait pourtant bien peur de Montréal, quitte finalement sa Beauce pour travailler dans un bureau de comptables de la Métropole qui lui donne plus de possibilités d’avancement; Pascal, 28 ans, songe de moins en moins à regagner son patelin gaspésien depuis qu’il a découvert les joies et facilités de la grande ville… Et la liste s’allonge; ajoutez-y votre exemple, puisqu’il est fort probable qu’un cas d’exode fasse partie de votre réseau de connaissances.
Selon les chiffres du Partenariat rural canadien, "tout au plus 25 % des personnes qui quittent leur collectivité rurale y reviennent 10 ans plus tard". À l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), le plus récent rapport du Groupe de recherche sur la migration des jeunes fait état des statistiques suivantes: sur les 79,7 % de jeunes (20-34 ans) interrogés habitant en milieu urbain (en banlieue ou dans les municipalités-centres des régions métropolitaines et agglomérations urbaines), un peu plus de 10 % d’entre eux proviennent d’une municipalité rurale. Quant à la proportion de personnes vivant dans des régions à prédominance rurale, l’Institut de la statistique du Québec nous indique que l’Ontario et sa voisine québécoise obtiennent le pire score. De plus, tous les rapports, recherches et études sur le sujet sont unanimes: rien n’indique que cette tendance à la migration sera réversible avec le temps. Goodbye home, demain matin, Montréal, Québec ou Gatineau m’attend!
En fait, la migration des jeunes n’inquiète véritablement que si on la combine à deux facteurs très importants. Primo, seulement un jeune sur trois aurait l’intention de revenir habiter en région rurale. Secundo, le Québec affiche un taux de natalité toujours décroissant. Depuis le début des années 70, la fécondité québécoise est sous le seuil requis pour assurer le remplacement des générations. Des 98 000 naissances au Québec en 1990, on est passé à 73 600 neuf ans plus tard. Ajoutons un autre facteur de migration non négligeable, résumé sur les ondes de la radio publique le 8 octobre par Jacques Proulx, de l’Union paysanne: "Aujourd’hui, on vit où on veut par droit, pas par obligation."
Les causes de la vie
Mais attention, si le mythe veut qu’on quitte la maison pour le travail, on constate maintenant qu’il n’en est rien, ou si peu (13,2 %), en comparaison avec le principal motif de départ: la poursuite des études (45,5 %), au niveau collégial principalement. Autre constat drôlement intéressant: on migre désormais à près de 40 % pour… "vivre sa vie". Vivre sa vie? Madeleine Gauthier, professeure à l’INRS et responsable de l’Observatoire Jeunes et Société, explique: "Ça englobe plusieurs réponses qu’on a eues en entrevue. On nous a répondu qu’on migrait pour "sortir de la routine", "pour aspirer à un autre style de vie" ou encore "pour augmenter ses chances dans la vie". Surtout pour les femmes, le concept de "vivre sa vie" peut également signifier suivre son conjoint." Dans un résumé du mouvement migratoire des jeunes au Québec signé Yao Assogba, Lucie Fréchette et Danielle Desmarais, on explique que "pour les jeunes, tout se passe comme si se déplacer d’un lieu à l’autre signifiait trouver des réponses à leur quête de sens, d’insertion sociale et professionnelle et de repères culturels". Signe d’autonomie et d’indépendance? Ou différence sentie entre les aspirations des jeunes et la réalité en région?
Car même si on s’aperçoit que, contrairement à la croyance populaire, les jeunes en général gardent une bonne opinion sur leur région d’origine, il y a tout de même encore un mécontentement significatif… Ainsi, la majorité sont d’avis qu’il n’y a pas d’emplois pour eux (50,1 %) ou pour leur conjoint (47,2 %); près de 60 % trouvent que les leaders locaux sont trop lents à réagir; et quelque 40 % expliquent que leur région d’origine est trop contrôlée par des générations plus âgées. Autre particularité retrouvée dans les différentes études menées sur le sujet: on associe la vie urbaine à un plus haut statut social. Avides de reconnaissance, les jeunes Québécois qui se ruent en ville? "C’est moins le statut social que toutes les possibilités qu’offre la ville aux plus scolarisés, explique madame Gauthier. Ce n’est pas nécessairement qu’on ait plus d’ambition, c’est qu’on veut jouir au maximum des avantages que nous donne le diplôme." Quitte à quitter. Comme en fait état La Périphérie face à l’économie du savoir de Mario Polèse et Richard Shearmur: si la municipalité n’est pas desservie par un axe de transport important, qu’elle est éloignée d’une métropole régionale aux activités diversifiées, qu’on n’y offre pas de salaires concurrentiels et que le milieu d’affaires est anémique, il y a peu de chances qu’on trouve son patelin encore attirant avec son papier en poche. Madeleine Gauthier ajoute: "Tant qu’on ne pensera pas le développement des régions dans une société du savoir, le problème perdurera."
La situation révèle d’intéressantes particularités en Outaouais, là où la jeune main-d’oeuvre partie se former à l’extérieur revient principalement pour travailler. En fait, selon Lucie Fréchette de l’Université du Québec en Outaouais, qui a également participé au Groupe de recherche sur la migration des jeunes de l’INRS – principalement sur le cas de l’Outaouais -, autour de 65 % des jeunes qui quittent la région envisageraient d’y revenir. Ils sont aussi les plus intéressés de la province par l’avenir de leur milieu d’origine. "L’Outaouais est un pôle attractif important, explique madame Fréchette. C’est une région qui reçoit plus de jeunes qu’elle n’en perd: elle compte de nombreuses institutions d’enseignement des deux côtés de la rivière, son taux de chômage est moins élevé qu’ailleurs et la proximité d’Ottawa offre beaucoup de possibilités d’emploi."
Mesures pour mesures?
Pour enrayer l’exode, les stratégies proposées sont nombreuses. Elles consistent en des programmes comme Place aux jeunes, qui s’est notamment donné la mission "de faire connaître aux jeunes les potentialités de leur région". Ou ce sont les objectifs du ministre responsable de la Jeunesse, Richard Legendre, parties intégrantes d’un Plan d’action jeunesse 2002-2005, un investissement de 27 millions de dollars, dont plus de la moitié servira au développement de projets en région. Au premier palier du gouvernement, le Partenariat rural canadien jouit d’un fonds de 20 millions de dollars sur quatre ans, s’achevant cette année. Les angles d’attaque visent également à accroître les possibilités d’emploi. On suggère aussi de sensibiliser la population à la ruralité et de revoir les politiques fiscales et financières qui y sont rattachées. Par exemple, des réductions ou des remises de prêt pour un retour en région après les études. Mais voilà, est-ce un combat perdu d’avance? La migration des jeunes du milieu rural au milieu urbain et leur rare retour en terre d’origine sont-ils des faits de société incontournables et irréversibles? Il faudra, croit-on, encore quatre ou cinq ans pour mesurer l’impact réel des plus récents efforts consacrés au problème. Après des cas comme Murdochville où l’on anticipe la fermeture après épuisement des ressources naturelles, devrons-nous un jour fermer des municipalités faute de ressources humaines?