![L'histoire secrète de Gerry Adams : Le patriote](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/08/14516_1;1920x768.jpg)
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L’histoire secrète de Gerry Adams : Le patriote
Héros ou terroriste? Gerry Adams, leader du Sinn Féin, de passage à Montréal ce week-end, est un peu des deux, s’il faut en croire l’auteur d’un livre controversé qui lève le voile sur sa soi-disant implication au sein de l’IRA.
Adaptation: Nicolas Tittley, Martin Patriquin Traduction
Lorsque Gerry Adams débarquera à Montréal, le 10 novembre prochain, il sera reçu en véritable politicien, à titre de membre élu du Parlement de Stormont et de leader du Sinn Féin, l’aile politique de l’Armée républicaine irlandaise (IRA).
Pour les curieux qui iront l’entendre ce dimanche au Holiday Inn de l’avenue Viger (info: 495-3689), comme pour une bonne partie du reste du monde, Adams est à la fois un homme d’État et un héros. C’est lui, plus que quiconque, qui semble avoir desserré d’un cran l’étau de violence et d’intolérance dont l’Irlande du Nord est prisonnière depuis plus de 80 ans.
Adams est taillé sur mesure pour le rôle de chef d’État. Photogénique, articulé et animé d’une conviction juste et inébranlable, il est le porte-parole idéal pour sa cause. Mais ce n’est pas grâce à ses talents oratoires ni à sa nature télégénique qu’il a atteint le zénith politique: Adams est tout simplement l’un des meilleurs politiciens de son époque.
C’est ce que nous rappelle, fort à propos, le récent A Secret History of the IRA, un livre écrit par le journaliste irlandais Ed Moloney. Exhaustif, presque encyclopédique dans sa passion du détail, le livre de Moloney documente l’ascension et l’accession au pouvoir de Gerry Adams, déboulonnant au passage quelques mythes entourant l’histoire trouble de l’IRA.
Politicien ou terroriste?
En habile politicien, Gerry Adams a toujours su se tenir à bonne distance de l’IRA. L’une de ses plus intelligentes manoeuvres politiques a consisté à garder un pied dans chaque camp, tout en préservant des airs d’intégrité. Si le leader du Sinn Féin a répété ad nauseam qu’il n’avait jamais appartenu à l’IRA, il reconnaît toutefois avoir servi d’agent de liaison entre la faction politique et ses vis-à-vis militaires. C’est cette double allégeance de bon aloi qui lui a permis de jouer sur les deux tableaux: d’un côté, une apparence de radicalisme "propre"; de l’autre, un attachement aux valeurs démocratiques qui lui a permis de préserver une légitimité politique au sein du Sinn Féin.
Or, c’est là son plus grand mensonge, s’il faut en croire la thèse d’A Secret History of the IRA. Preuves à l’appui, Moloney affirme que si Adams a pu gravir les échelons du Sinn Féin, c’est en jouant un rôle actif dans les affaires sombres de l’IRA. En d’autres mots, Adams aurait du sang sur les mains, et pas seulement celui de l’ennemi.
Moloney cite pour preuve plusieurs sources de l’IRA qui, pour des raisons évidentes, ont préféré garder l’anonymat. Celles-ci confirment ce qui est de notoriété publique dans les cercles politiques irlandais et britanniques (mais souvent occulté dans le reste du monde): Gerry Adams aurait été impliqué dans (voire responsable de) la plupart des opérations de l’IRA au cours des 25 dernières années.
Mais là où Moloney frappe fort, c’est en avançant qu’Adams aurait sciemment saboté plusieurs gestes d’éclat de l’IRA, de manière à laisser miroiter la possibilité d’une paix durable en Irlande du Nord. "Adams était alors commandant de la section Belfast de l’IRA et il dirigeait une petite cellule secrète appelée The Unknowns (Les Inconnus) dont le boulot consistait à se débarrasser des informateurs et des secrets embarrassants, explique Moloney. Ils commettaient des assassinats et enterraient les corps. Ils étaient spécialistes des "disparitions" à la mode chilienne et croyaient fermement que, du strict point de vue des relations publiques, il valait mieux que ces gens disparaissent en silence plutôt que de révéler leurs activités au grand jour."
Mais Moloney garde son attaque la plus audacieuse pour la fin. Il va jusqu’à suggérer que c’est Adams lui-même qui aurait imaginé et orchestré l’implosion "volontaire" de l’IRA, de manière à faire avancer les initiatives de paix entreprises par le Sinn Féin.
Un peu d’histoire…
En 1987, en l’espace de quelques mois, l’IRA a dû essuyer des revers dont l’accumulation a bien failli reléguer l’armée aux oubliettes. Premièrement, les services secrets britanniques (SAS) ont déchargé quelque 1000 coups de feu sur huit membres du corps d’élite de l’IRA. Cette embuscade, une attaque préventive empêchant l’explosion d’une bombe placée par l’IRA dans une caserne de police abandonnée, s’est soldée par les plus grandes pertes dans les rangs républicains en 30 ans de conflit. Quelques mois plus tard, un informateur avertissait les autorités de l’arrivée imminente d’un convoi d’armes de 150 tonnes destiné aux réserves de l’IRA, réduisant du coup la force de frappe de l’armée républicaine. Un mois après la saisie, l’IRA faisait exploser une bombe durant la parade du jour du Souvenir, faisant 11 victimes. Cet incident, largement condamné par la communauté internationale, a contribué à ostraciser l’IRA.
Ces trois événements auraient pu n’être que des exemples isolés, mais Moloney avance qu’ils faisaient partie d’un plan destiné à discréditer l’IRA, un plan qui aurait germé dans ses propres rangs. L’IRA affaiblie, le Sinn Féin avait une occasion en or de prendre sa place comme unique représentant des revendications républicaines. "Les mêmes qualités impitoyables qui ont propulsé Adams au sommet de la hiérarchie de l’IRA lui ont aussi permis d’enclencher le processus de paix, affirme Moloney. Il a eu besoin de prendre de gros risques et de faire preuve d’une détermination à toute épreuve. La campagne militaire [de l’IRA] a dû être détournée de manière à servir certaines stratégies secrètes. D’une part, on pourrait dire: voilà un homme répugnant; mais de l’autre, on peut dire qu’il a fait ce qu’il avait à faire…"
"Ce qu’il avait à faire" consistait, entre autres, à jouer dans le dos du Conseil de sécurité de l’IRA en entretenant des négociations secrètes avec le gouvernement britannique honni, affirme Moloney. À cet égard, il cite deux ex-Secrétaires d’État irlandais, Tom King et Peter Brooke, qui confirment que ces négociations ont bel et bien eu lieu de part et d’autre. Par une étrange coïncidence, ces discussions secrètes entre Adams et nulle autre que Margaret Thatcher se sont déroulées durant l’annus horribilis de 1987.
Un homme de paix?
Pour sa part, Gerry Adams a réfuté avec véhémence toutes les affirmations contenues dans le livre de Moloney et continue à nier toute affiliation avec l’IRA. A Secret History…, déclarait-il récemment à un journaliste du Guardian, "n’est qu’un mélange de suppositions, d’affirmations recyclées et de clins d’oeil". Depuis la parution du livre, il y a un mois, Adams a clamé sur tous les tons ce qui ressemble aujourd’hui à un leitmotiv: "Je ne suis pas et je n’ai jamais été un membre de l’IRA."
À ce jour, Adams n’a pas intenté de poursuites, et Moloney voit dans ce silence une acceptation tacite des faits énoncés dans son livre. "Je pense que leur silence est éloquent, car s’ils avaient voulu contredire certaines des affirmations contenues dans mon livre, vous pouvez être sûr qu’ils l’auraient fait de façon très publique et très audible. Ils auraient tout fait pour prouver au public que de grossiers mensonges ont été écrits à leur sujet."
D’une certaine façon, il serait étrange d’assister à des poursuites contre l’auteur car A Secret History…, malgré ses charges assassines, fait aussi l’éloge des qualités de Gerry Adams. Durant l’interview, Moloney ira même jusqu’à comparer son sujet à Nelson Mandela et affirmera avec le plus grand sérieux du monde que le leader du Sinn Féin aurait dû se voir décerner le prix Nobel de la paix en compagnie de John Hume et David Trimble pour leur rôle dans les accords du Vendredi saint.
Si A Secret History of the IRA est un livre essentiel aujourd’hui, ce n’est pas tant pour ses révélations-chocs sur le groupe extrémiste irlandais, mais pour son illustration des mécanismes du terrorisme dans son ensemble. L’IRA, rappelle Moloney, n’a jamais été si populaire que lorsque la répression britannique était à son apogée. Après les événements violents du Bloody Sunday, par exemple, l’Armée républicaine a battu tous les records de recrutement. Une leçon, poursuit Moloney, que les protagonistes du conflit au Moyen-Orient auraient dû comprendre il y a longtemps. "Plusieurs des erreurs commises au Moyen-Orient ont pu être évitées en Irlande du Nord car le gouvernement britannique a su reconnaître qui était vraiment Gerry Adams et ils ont tout fait pour le soutenir." Du coup, la lutte de l’IRA est presque chose du passé. Il y a bien encore quelques obstacles, mais rien n’indique que les attentats vont recommencer.
"Au Moyen-Orient, en comparaison, tout a été fait pour affaiblir Yasser Arafat et, du coup, affaiblir le processus de paix, ce qui m’apparaît comme de la folie pure. Je peux comprendre la position des Israéliens à l’endroit d’Arafat, car les unionistes pensaient la même chose de Gerry Adams, qu’ils voyaient comme un simple assassin. Ce qui aurait dû arriver au Moyen-Orient aurait nécessité des décisions très difficiles: les Israéliens auraient été forcés de reconnaître qu’Arafat avait le potentiel pour amener la paix. Mais Sharon a choisi de l’affaiblir, de l’isoler et il a nommé au gouvernement des gens qui veulent carrément l’exiler. Vous imaginez la scène si le gouvernement britannique avait exilé Gerry Adams? La population catholique serait descendue dans la rue et en aurait fait un martyr instantané!"